Dans l’épisode précédent : Après l’entretien surprise qu’Avraham a passé avec le Roch Yéchiva, Rav Sofer, les quatre amis commencent à prendre leurs repères au sein de la Yéchiva. Après avoir appris à ses dépens que Yossef est asthmatique, David découvre stupéfait qu’Avraham dissimule un Smartphone dans ses affaires, chose strictement interdite par le règlement intérieur… lDans a salle d’étude, nos quatre compagnons tentent de se concentrer mais les révélations de Yona quant à ses origines non-juives font qu’ils en dévient régulièrement… Face à la découverte troublante qu’il vient de faire – son compagnon de chambre Avraham possède en cachette un Smartphone – David se remémore la manière dont lui-même a réussi à se sevrer de cet objet. Il est plongé dans ses pensées lorsqu’il surprend Avraham mener une conversation étrange avec sa mère…
David était toujours troublé par ce qu’il avait entendu, si bien que l’envie de se reposer lui était complètement passée. Il décida alors de retrouver Yona et Yossef. En descendant les escaliers, il réalisait qu’il avait pour Avraham un sentiment mitigé. Il ressentit le besoin soudain de se confier à ses amis sur ce qu’il avait entendu :
“Je cherche simplement à comprendre. En aucun cas je ne souhaite le critiquer ‘Has Véchalom. Mon seul désir est de lui venir en aide car je sens qu’il en a besoin.”
Ce fut Yona qui parla en premier : “C’est vrai qu’avec ce bout de conversation, on peut penser qu’il y a anguille sous roche... Cependant je pars du principe qu’il faut lui faire confiance. Avraham a l’air de savoir ce qu’il fait. Je te conseille de ne pas trop t’en faire pour lui. Il s’agit d’une personne posée, qui saura nous trouver s’il est réellement dans la difficulté.
– Mais vous ne pensez pas qu’il serait mieux d’aller le voir et de lui en parler directement ?, avait demandé David, inquiet.
– Le mettre en face des faits ? Oublie ça ! Il peut se braquer contre toi.
– Et le téléphone, alors ? Cela ne vous alarme pas qu’il en ait un ? Et si quelqu’un d’autre que nous trois s’en rendait compte ? Je ne veux pas qu’Avraham soit renvoyé. La vie à la Yéchiva lui est trop précieuse pour risquer une telle chose !”
Yossef, qui était en train de se préparer un café, rejoignit l’argumentation de Yona :
“On n’a pas toutes les cartes en main. Tu es peut-être un train de faire une montagne de rien. Je te conseille de te mêler de tes affaires.
– D’ailleurs en parlant d’affaires... Je dois rencontrer ma potentielle “future” ce soir même !
– Béhatsla’ha Yona ! C’est une Française ou une Israélienne ?
–Ses parents sont français mais elle est arrivée ici quand elle avait trois ans. Donc apparemment, elle a plutôt la mentalité israélienne.”
Yossef, qui avait mis deux cuillères de sucre dans son verre, était en train de touiller frénétiquement son gobelet à l’aide de sa cuillère en plastique :
“Ma foi, ce n’est pas plus mal. C’est même très bien. Si on est venu en Erets, c’est aussi pour découvrir d’autres personnes. Où comptes-tu l’emmener ? Parce que si c’était moi, je l’emmènerai sans hésiter au lobby du David Citadel. Tu sais, l’hôtel à côté de Mamilla. La vue depuis la terrasse est toujours époustouflante. Depuis quelques semaines, j’ai fait savoir à mes parents que je suis prêt pour commencer des rencontres. Ma mère est plus heureuse que jamais. À peine avait-elle raccroché avec moi qu’elle était déjà en train de parler avec une Chadkhanit hors pair, qu’elle connait depuis des lustres. Ce qu’elle souhaite plus que tout au monde c’est que Madame Sabra s’occupe de me présenter la fille unique d’un couple d’amis que mes parents connaissent de la synagogue : Anaëlle Dayan. Je ne l’ai vue qu’une seule fois et mis à part son appareil dentaire et ses cheveux bouclés, je n’en ai aucun souvenir.
– Tiens c’est drôle que tu parles de bagues, parce que je ne sais pas si tu as remarqué mais j’en porte moi aussi, pour remettre droites mes dents du dessous. Encore trois mois et je serais libre ! J’espère vraiment que cela ne va pas rebuter la jeune fille de ce soir.
– Ne t’en fais pas Yona, elle sera bien plus concentrée sur tes Péot supra longues. D’ailleurs, tu n’as jamais pensé à te les faire couper un peu ?!”
Yona n’avait pas vraiment réagi à la plaisanterie de David car il était beaucoup plus stressé qu’il ne le laissait paraitre. Allait-il une fois encore droit vers l’échec ? C’est vrai qu’il venait à peine de se relever de ses fiançailles rompues... Pourtant, avec Tsipora, les choses étaient bien parties. Elle lui avait toute de suite plu, avec les fossettes qui se formaient au creux de ses joues chaque fois qu’elle souriait. Elle avait aussi cette façon charmante de l’écouter avec attention. C’est surtout les réflexions sur la vie qu’ils avaient eu l’occasion d’échanger – signe que Tsipora avait l’esprit affûté – qui avaient fait naître en lui l’espoir qu’elle serait une épouse parfaite.
Hélas, dès le jour où il avait rencontré ses parents pour officialiser leur union, il avait su que la suite des événements ne serait pas simple…
Le voyant plongé dans ses pensées, David avait demandé à Yona de lui raconter ce qui le tracassait.
“Oh et puis après tout, je ne dois pas avoir honte ! Ce sont des choses qui arrivent fréquemment.
– Honte de quoi ?”
C’était Avraham qui avait fait son apparition.
“Ah te voilà ! Tu ne devais pas siester ?
– Non, j’ai préféré vous rejoindre. Tu parlais de quoi à l’instant ?”
Yona lui fit un rapide résumé.
“Tsipora, elle était de quelle origine ?
– Tunisienne.
– Effectivement, cela arrive plus souvent qu’on ne le pense. Mon grand frère aussi avant de se marier avait dû faire face à un changement d’avis. Avec le temps, on s’en remet Baroukh Hachem. Maintenant il est marié à ma belle-sœur. Ils ont huit enfants et forment un couple épatant !
– Dans mon cas, avait repris Yona, après plusieurs rencontres, j’étais plein d’enthousiasme même si j’avais remarqué que ses parents l’appelaient un peu trop souvent lorsque nous étions ensemble. De son côté, elle répondait à leurs appels et leur racontait nos rencontres dans le détail… Ces immixtions constantes et ce lien un peu trop fusionnel ne me plaisaient pas vraiment, mais j’étais trop aveuglé pour y prêter attention à ce stade.
– Si ça se trouve, ça aurait changé après le mariage !, avait objecté Yossef.
– C’est ce que j’avais pensé, mais mon père m’avait affirmé qu’il est très difficile de changer une personne et encore plus une belle-famille. Dès le lendemain de ma rencontre avec ses parents, je n’ai pas pu m’empêcher d’en parler à Tsipora et lui dire que je trouvais que ses parents se mêlaient un peu trop de notre relation. Au début, elle avait nié être trop dépendante d’eux, puis avait reconnu être très attachée à ses parents et ensuite, elle avait décidé qu’elle n’était pas prête à opérer un vrai changement pour faire passer son couple en priorité. Après cette conversation, on avait rompu nos fiançailles. En plus, de son côté, un autre point lié à mes origines semblait vraiment la déranger...
– Tu t’appelles Amsellem, non ? Où est le problème ? Elle a eu peur qu’on lui demande à tout bout de champ si elle était en famille avec les célèbres bouchers ?
– Pas du tout ! En fait, Amsellem est le nom de jeune fille de ma mère. Depuis que je suis arrivé en Israël, je me présente toujours sous ce nom mais en réalité, sur les papiers officiels, je me nomme Yona… Oussam. Ce qui m’a valu quelques problèmes quand j’ai fait mon Alya.
– Ah oui, quand même, eut besoin de souligner David. Oussam comme Oussama Ben Laden. Eh bien…
– Voila ! Tsipora Oussam, ça ne sonnait pas trop à ses oreilles… Mais disons que tout cela était secondaire par rapport au problème de ses parents envahissants dont je parlais tout à l’heure. Donc vous comprenez mieux les choses.”
Avraham avait ajouté :
“Tu peux garder Amsellem pour de bon en effectuant quelques démarches administratives. Je peux te présenter un ami de mon père qui travaille dans l’administration, si tu veux.
– Merci c’est gentil. Je vais finir par le faire.
– Depuis ce Chiddoukh, tu t’es remis, ça va ? Ce n’est pas cette expérience ratée qui va t’empêcher de te marier !, l’avait rassuré David.
– Je t’avoue que depuis, j’ai perdu quelques degrés de confiance en moi mais j’essaye de remonter la pente, comme ce que je m’apprête à faire ce soir. En fait, le pire a été la réaction de mon père.
– J’imagine qu’il devait être énervé contre cette Tsipora, quand il a su que ton nom de famille lui posait problème.
– Loin de là ! Il m’a dit qu’il allait changer lui aussi de nom à la préfecture de Paris. Il ne voulait en rien compromettre mes projets de vie à cause de son origine.
– Et qu’as-tu répondu ?
– Je l’ai remercié pour les efforts qu’il était prêt à faire et pour tous les autres qu’il avait déjà accomplis en faveur de la Torah. Si un homme est prêt à tant de sacrifices pour Hachem, c’est qu’il est plus que méritant.
– Je trouve tes paroles très belles. J’en ai des frissons. Pourquoi j’ai dit ça à voix haute ? Cela ne fait pas très virile !, avait plaisanté Yossef.
– Allez je suis sûr que ce soir, ça va marcher entre vous deux ! Donc, si je résume : Yossef ne va pas tarder à rencontrer son Anaëlle. Quant à Yona, peut-être va-t-il rencontrer son âme sœur ce soir, qui sait ? Me concernant, j’ai besoin d’encore un peu de temps. Il ne manque plus qu’Avraham.”
Tel un seul homme, tous les trois s’étaient tournés vers lui :
“Alors, et toi dans tout ça ?
– Je suis comme toi, David. Pour le moment je n’ai pas vraiment la tête à ça. Mais dans quelques mois, je serai d’accord pour commencer les Chiddoukhim activement.”
Avec cette phrase, David sauta sur l’occasion pour en savoir plus :
“Tu as peut-être envie de nous dire quelque chose de particulier sur le sujet ?”
Étonné par la question, Avraham lui avait répondu :
“Non, pas spécialement. Disons que… Hum, je ne me sens pas assez mûr… Bon on s’y remet ?”
Un peu plus tard dans la soirée, nos quatre amis s’étaient retrouvés dans l’une des bibliothèques qui se trouvaient au sein de la Yéchiva. Ils avaient en effet une ‘Haboura (exposé sur une problématique talmudique) à rédiger. Les bibliothèques de la Yéchiva étaient en fait le seul et unique lieu où les étudiants avaient accès à l’ordinateur. La direction tolérait en effet la présence de l’outil informatique dans le seul but de pouvoir effectuer des recherches en Torah. Tous les autres sites étaient inaccessibles et les ouvrages de Torah étaient répertoriés de manière très précise.
C’est à peine arrivé sur les lieux qu’Avraham s’était emparé du premier ordinateur qui se situait en plein milieu de la pièce. Au lieu de s’atteler à la tâche du jour, il était parvenu en quelques clics à faire sauter les filtres et atterrir sur le site web de la Knesset. Ses amis, qui étaient à côté de lui, avaient les yeux rivés sur l’écran et ne comprenaient pas ce qu’il venait de se passer. Sauf Yossef, qui avait réagi tout de suite :
“Mais qu’est-ce que tu fais ? Ça ne va pas, non ! Ce n’est pas du tout autorisé.
– Oh ça va, c’est pour plaisanter.
– Plaisanter ? On n’a pas le même sens de l’humour ! Déconnecte-toi tout de suite ! Imagine que quelqu’un arrive et que l’on se fait prendre !
– Allez, laisse-moi juste trois petites minutes, pour voir si je peux envoyer un email à Monsieur Chmoulik Its’hak.
– Le premier ministre !
– En personne. Cela fait un moment que je veux lui parler de l’état déplorable des murs entre lesquels des Yéchivistes comme nous vivent à longueur de temps. David, fait le guet s’il te plait.”
Yona, qui avait été comme David totalement abasourdi par la rapidité avec laquelle Avraham s’était connecté au réseau, lui avait ordonné de fermer le site :
“David ne fera rien et aucun de nous ne te suivra sur ce terrain-là. Clique sur la petite croix en haut de la fenêtre ou c’est moi qui vais le faire à ta place. Je refuse d’être impliqué dans ce genre de problèmes !”
Yossef était si contrarié qu’il avait préféré quitter la bibliothèque. Face aux réactions de ses compagnons, Avraham avait compris qu’il avait été trop loin. Résigné, il avait capitulé et fermé la fenêtre du mail, non sans émettre un souffle de frustration. Dans la foulée, il s’était levé pour aller trouver Yossef, bien décidé à lui demander pardon. Au fond de lui, il appréciait sa forte personnalité et ne voulait en aucun cas lui causer du tort :
“Avec un gros ‘Bli Néder’, je te promets de ne plus lui causer le moindre potentiel problème de ce type, même pour plaisanter”…
Yossef avait hésité et lui avait tendu la main comme pour sceller leur accord.
Plus tard, Yossef et Avraham s’étaient tous deux retrouvés sur le petit balcon qui donnait sur le patio, là où quelques Ba’hourim avaient l’habitude de prendre leurs collations. Avant il servait de fumoir, mais depuis huit mois, la loi sur l’interdiction de fumer dans des lieux publics était entrée en vigueur.
“Au fait, comment connais-tu tous ces trucs informatiques ?
– Disons que depuis tout petit, j’ai une sorte de don pour ça. Tu me crois si je te dis qu’avant ces quelques minutes, je n’étais jamais allé aussi loin ?
– Pourquoi as-tu voulu faire ce test ?
– Juste comme ça. Pour être tout à fait honnête, l’année dernière, j’ai été convoqué par Tsahal. Au début, j’avais été surpris qu’ils souhaitent me voir car j’avais dépassé l’âge requis pour faire mon service militaire. De plus, à dix-huit ans je m’étais déjà présenté et avais obtenu un report puisque je leur avais expliqué que je consacrais ma vie à la Torah.
– Qu’est-ce qu’ils te voulaient ?
– Ils m’ont proposé d’intégrer leur section de cyber-renseignement.
– Comment ont-ils su que tu étais doué en informatique ?
– Ah ça, c’est une autre histoire. L’été passé, ma tante, toute désolée de voir son fils ne pas décoller de ses jeux vidéos, m’avait appelé pour que j’essaye de convaincre mon cousin de décrocher et de venir étudier avec moi. Il jouait à un jeu en ligne très connu, je ne me rappelle plus le nom... Pour l’inciter à me suivre, je lui avais lancé un défi : si je gagnais la partie, il repartait avec moi, si je perdais, il pouvait rester et jouer comme il le faisait du matin au soir. Si tu savais quel gâchis intellectuel ! Par chance, il accepta mon challenge. N’ayant jamais joué à ce jeu de ma vie, je t’avoue que je n’étais pas très sûr de moi. Juste après avoir posé mon chapeau, m’être assis sur la table basse et avoir posé mes mains sur la manette, je me souviens avoir prié Hachem pour qu’Il m’aide, dans le seul but d’aider mon cousin. C’est alors que j’ai eu une idée : je ferais encore mieux que de bêtement gagner la partie… Comme il m’avait fallu deux minutes pour comprendre comment ce jeu fonctionnait, j’employais le reste de mon temps - soit vingt minutes - pour hacker la plateforme. Si j’avais pu filmer la tête d’Igal qui me regardait trafiquer les codes-source, je me serais passé ce moment plus d’une fois tant c’était drôle ! On aurait dit que sa mâchoire allait se décrocher. Bon joueur, il avait compris qu’il n’en mènerait pas long… Il avait éteint son PC et m’avait suivi. Sur tout le chemin qui mène à la Yéchiva, il n’avait pas arrêté de commenter chacune de mes actions. Pour être tout à fait honnête, je ne savais quasiment pas de quoi il parlait.
– Fascinant ! Du coup comment t’es-tu retrouvé en tête-à-tête avec Tsahal ?
– Mon oncle, qui est officier de réserve pour les services de renseignement militaire, nous avait scrutés silencieusement pendant toute cette petite séance de piratage à pied levé. Il avait alors informé ses supérieurs qu’il y avait là une pépite à aller chercher et c’est comme ça que quelques semaines après, j’avais reçu une nouvelle convocation, très amicale cette fois...
– Que leur as-tu dit ?
– Simplement qu’une carrière dans l’armée, aussi prometteuse soit-elle, ne m’intéressait pas. J’étais déjà dans l’armée complémentaire de Tsahal, celle des textes, et leur rappelais que l’une ne peut pas exister sans l’autre.
– On s’y remet ? Notre ‘Haboura ne va pas s’écrire toute seule.
– Allez.”
En réalité, pendant toute la durée de leurs recherches, Avraham n’arrêtait pas de penser à ce qu’il venait de se passer. Le hackage n'avait pas été une simple plaisanterie, mais bel et bien une première lueur d’espoir pour lui et sa famille…
A suivre mercredi prochain...