Chaque semaine, Déborah Malka-Cohen vous fait plonger au cœur du monde des Yéchivot pour vivre ensemble les intrigues passionnantes de quatre étudiants, sur fond d’assiduité et d’entraide…
Dans l’épisode précédent : Les quatre amis mettent du temps à sortir de la voiture, paniqués par la présence de la police devant la Yéchiva et occupés à mettre un plan d’action pour venir en aide à Ménou’ha, dont Avraham vient de leur révéler la disparition quelques mois plus tôt. Les amis décident de soutenir Avraham et répondent évasivement aux questions des officiers de police venus enquêter à la Yéchiva. De son côté, David se demande s’il n’existe pas un lien entre le fameux appel à l’aide trouvé dans ses papiers et la disparition de Ménou’ha. Eden Chetrit se trouve quant à elle dans l’avion qui la mène au Canada et se remémore ce fameux jour où Mme Hirsh était venue lui proposer de rencontrer Yona Amsellem. Le matin même, son amie Ilana lui avait révélé la disparition de l’une de ses meilleures amies, Ménou’ha...
Le lendemain de la visite de la police au sein de la Yéchiva, les choses avaient presque repris leur cours et chacun était retourné à ses occupations. À l’exception de Yossef qui n’avait pas pu fermer l’œil de la nuit. Lui qui avait toujours voulu consacrer sa vie à l’étude de la Torah ne comprenait pas pourquoi il avait été mêlé à une telle histoire. Les mots “enlèvement”, “police”, “hackage” étaient à des kilomètres de son univers et de ce qu’il avait pu imaginer vivre en venant à la Yéchiva qu’il avait lui-même choisie. Il avait toujours aspiré à un quotidien paisible, en souhaitant qu’on le laisse étudier. Non pas qu’il regrettait son amitié avec Avraham, au contraire, il éprouvait même beaucoup de compassion pour lui.
Contrairement aux autres, il avait du mal à l’exprimer. Il s’interrogeait sur cette situation jusque tard dans la nuit pour comprendre le message divin. Jusqu’où pouvait-il prendre part à la tragédie qui avait frappé la famille d’Avraham ?! Ce n’était en rien une question de lâcheté. Il voulait simplement comprendre s’il devait rester en retrait et apporter son soutien par le biais de l’étude de la Torah, en dédiant son étude au retour de Ménou’ha ou en rajoutant des chapitres à ses Téhilim quotidiens. Peut-être avait-il le devoir d’aller sur le terrain, au cas où Avraham réussissait à avoir une piste ? Où était sa place ?
Pris dans ce dilemme, lui qui depuis des heures ne trouvait pas le sommeil dans son lit, il décida de se lever, de s’habiller et d’aller en salle d’étude pour y voir plus clair. Plus les heures défilaient, moins Yossef avançait dans sa réflexion nocturne. Il était plus de 4h du matin quand il relisait un passage qu’il avait étudié la semaine passée. Celui-ci parlait de la gestion des épreuves qu’Hachem nous envoie.
Comme exemple, il était cité un père qui avait emmené son fils à une fête pour une après-midi. Le père ne fit que gâter l’enfant pendant plusieurs heures. Chaque fois que l’enfant voulait quelque chose, son papa acceptait. L’enfant lui répéta à plusieurs reprises “Papa, tu es le meilleur des papas. Je t’aime, mon papa”. Le lendemain, l’enfant commit une grosse bêtise. Le père fut obligé de le corriger. La manière dont l’enfant réagit, expliquait le texte, détermine en fait s’il aime vraiment son père. Son amour est-il le même dans les bons moments comme dans le moins bons ? Avec Hachem, c’est identique, reprenait le texte. Tout au long de notre vie, Il nous envoie des épreuves car Il veut nous tester pour savoir si nous L’aimons vraiment.
À première lecture, ce passage n’avait rien à voir avec son dilemme. Puis, il passa la main sur son visage comme pour mieux se concentrer. À cet instant, à son petit niveau, il était clairement dans l’épreuve. Plairait-il toujours à Hachem s’il effectuait la Mitsva de Ahavat Israël en dehors de ses livres ? Brusquement, il repensa aux paroles de Rav Touitou, son professeur de Moussar l’année passée. À chaque début de cours, le Rav répétait à ses élèves et plus particulièrement à Yossef :
“N’oubliez jamais que nous étudions une Torah de Vie ! Même dans le cas où vous devez pour cela faire un détour en voiture qui vous prend plus de temps que prévu, n’hésitez pas à accomplir une Mitsva. Même si à vos yeux elle vous paraît minime, faites-la ! Chaque Mitsva à son importance. Soyez dans l’action !”
En se remémorant ces paroles, sa décision était prise. Il allait aider Avraham de n’importe quelle manière. Il ferma son livre et implora Hachem de l’aider. Il demanda dans sa prière que toute sa modeste intelligence et son tout aussi modeste savoir toranique soient mis à profit pour l’aider à élaborer un plan afin de venir en aide à Ménou’ha.
Ensuite, emporté par son inspiration, il prit une feuille et un stylo et se mit à noter en vrac toutes les idées qui lui venaient en tête. Ce ne fut qu’à l’heure de Cha’harit qu’il leva enfin le nez de sa feuille. Avec sa chaise, il s’éloigna du pupitre comme pour prendre du recul face à ses notes et réalisa que, contre toute attente, il tenait entre ses mains un plan d’action bien précis. Il avait hâte d’aller l’exposer à ses amis. Ce matin-là, avec empressement, il mit ses Téfilin avec une certaine ardeur pour remercier le Créateur d’avoir répondu à ses prières.
Une heure plus tard, Yossef avait demandé à ses compagnons de s’engouffrer dans une salle d’étude encore déserte. La plupart des Yéchivistes étaient en train de prendre leur petit-déjeuner. Ils ne risquaient pas d’être dérangés. Au vu de la délicate discussion qu’ils s’apprêtaient à avoir, Yossef alla tout de même fermer la porte derrière eux. Malgré la nuit blanche qu’il venait de passer, le grand brun était très enthousiaste et ne montrait aucun signe de fatigue. Comparé aux trois autres, c’était lui le plus en forme ! Il les pria de se dépêcher de s’assoir avant de rentrer dans le vif du sujet.
“Que de mystère, Yossef ! Qu’as-tu donc à nous dire ?!”
Il leur exposa ses réflexions de la nuit et conclut en brandissant ses notes.
“Donc, en premier lieu, Avraham, il faut revoir l’enquête depuis le départ. Ce serait bien de reconstituer heure par heure ce que Ménou’ha a fait 24h avant sa disparition. Il faudrait interroger toutes les personnes qu’elle a croisées.
– La police est déjà passée par là !, avait signalé Yona. Les gens vont trouver ça suspect s’ils nous voient débarquer et poser des questions à la ronde.
– C’est pour cela qu’il va falloir se montrer fins.”
Avraham fut très touché par l’implication de ses amis qui étaient emplis d’ardeur. Simplement, par souci de loyauté, il se sentait obligé de les mettre en garde face au danger potentiel auquel ils allaient forcément être exposés.
“Je ne veux pas que ‘Has Véchalom vous soyez impliqués dans quelque chose qui vous dépassera. Prenez un temps de réflexion. Recommencer à interroger des gens n’est pas aussi simple qu’on ne le pense. Et puis, on n’est même pas sûr que cela fera revenir Ménou’ha. Même la police n’a pas réussi à régler ce problème. D’après eux, les risques pour aller chercher ces jeunes filles enlevées sont trop élevés. Le contexte entre les Arabes et nous est trop tendu. En m’aidant à retrouver ma sœur, vous mettez vos vies en péril. Et je pèse mes mots. Le mieux est que vous restiez en dehors de cela. Je parle pour toi aussi, Yossef.”
Comme si ce qu’Avraham avait dit n’avait eu aucune importance, Yona demanda : “Comment tu sais ça ?
– Quoi ça ? Que vous mettez vos vies en danger ? Ça parait évident, non ?!
– Mais non, voyons ! Ça on le sait ! Je parlais du fait que le climat était trop tendu pour que la police intervienne.
– Ah ça ! J’ai pu avoir accès à certaines informations, grâce à lecture d’échanges d’e-mails confidentiels. Bien qu’ils soient cryptés, j’ai réussi à forcer le système et eu assez de chance pour accéder à certaines correspondances.
– Stop, stop, stop ! Je ne veux rien savoir de plus ! Et par chance, tu veux plutôt dire par effraction.
– La seule chose que je peux vous divulguer, c’est que le dernier rapport de l’enquête concernant les mystérieuses disparitions de jeunes filles juives indique qu’elles ont toutes un point commun. Les filles ont toutes laissé un mot expliquant qu’elles quittaient leur domicile de leur plein gré.
– Mais c’est impossible ! s’était écrié David. Dans le cas de ta sœur, jamais elle ne se serait enfuie. Cela ne colle pas du tout avec votre éducation.
– Nul besoin d’essayer de me convaincre, mon ami. Je suis de ton avis.”
Depuis que David s’était rappelé des yeux bleus de la jeune fille au garage, il n’arrêtait pas de se mordre l’intérieur des joues. Tique nerveux qui refaisait surface chaque fois qu’il était dépassé par ses émotions. Il s’en voulait beaucoup de ne pas avoir tout de suite fait le lien entre le mot et la fille voilée. Il aurait dû sentir que quelque chose clochait. Il essayait de calmer sa culpabilité qui rongeait sa conscience, en essayant de ne pas trop se focaliser sur les remords. Il se secouait de l’intérieur afin de transformer ce sentiment négatif en une source inépuisable de motivation pour faire face aux dangers qui se profilaient à l’horizon. Intérieurement, il se jurait d’aller jusqu’à sacrifier sa vie pour essayer de sauver cette jeune fille qui lui avait demandé son aide.
Yona quant à lui trouvait Avraham très abattu. En repensant aux jérémiades qu’il avait formulées la veille dans la voiture au sujet de son Chiddoukh, il avait ressenti une grande honte. En comparaison avec le calvaire que vivait chaque jour Avraham et sa famille depuis la disparition de Ménou’ha, il n’avait pas le droit de s’apitoyer sur son sort.
Sur le chemin du retour, il n’avait pas cessé de se plaindre de sa situation alors qu’en réalité, rien n’avait été concrètement annulé. Il devait simplement attendre des nouvelles de Madame Hirsh comme Yossef le lui avait conseillé. Parfois l’attente d’une réponse à laquelle on tient vraiment nous parait interminable tant nous sommes impatients. Pour se rattraper, il décida lui aussi de concentrer toute son énergie sur la recherche de la jeune fille. Yona se jura d’aider du mieux son ami même si au fond de lui, il avait très peur des conséquences. Il masqua sa propre frayeur par une phrase réconfortante envers Avraham :
“Ce n’est pas le moment de repousser notre aide. Maintenant que nous avons plus d’éléments, il faut garder la Emouna. Je suis convaincu qu’un miracle va bientôt avoir lieu et vous serez de nouveau réunis avec ta sœur. En unissant nos forces, nos quatre cerveaux et nos prières envers Hachem, nous allons y arriver.”
Revigoré par les paroles sages de Yona, Yossef avait choisi cet instant pour soulever un point sur lequel ils devaient tous se pencher : Comment allaient-ils s’y prendre pour infiltrer un village arabe sans se faire remarquer ?
David sentit que c’était le moment pour lui de partager ce qu’il savait. Il mit enfin au courant Yona de ce qu’il s’était passé le jour où celui-ci l’avait accompagné au garage. Comme phrase d’approche, il avait lancé :
“On va utiliser la société de mon père.”
Les quatre amis furent surpris par l’angle d’approche de David.
“J’attendais d’être plus sûr de moi pour vous en parler, mais vous devez savoir quelque chose d’important.”
David leur raconta alors toute l’histoire en leur montrant le bout de papier sur lequel on lui demandait de l’aide. Les trois autres étaient stupéfaits par la coïncidence et se mirent tous à parler en même temps pour commenter ce qu’ils venaient d’entendre. Soudain, quelqu’un fit irruption dans la pièce et mit fin à la cacophonie. C’était Moché, un autre étudiant de la Yéchiva, qui avait un message à leur transmettre.
“Enfin, je vous trouve ! Ça fait dix minutes que je vous cherche. Le Roch Yéchiva a demandé à vous voir tous les quatre dans son bureau. Allez-y maintenant. On ne fait pas attendre le Rav.”
Sans hésiter, ils se levèrent tous d’un bond et partirent à la rencontre de leur directeur de Yéchiva. Heureusement que la sensation de crainte que pouvait provoquer une convocation chez un supérieur était atténuée, vu qu’ils étaient adultes. Et puis, même s’ils ne s’étaient pas consultés entre eux, ils savaient que le Rav était de leur côté.
Yona tapa à la porte et aussitôt, ils furent invités à rentrer. Il était impressionnant de pénétrer dans ce bureau car tous les pans de murs étaient remplis de livres de Torah jusqu’au plafond. Sans perdre une minute, le Roch Yéchiva les invita à prendre place entre le fauteuil et les chaises individuelles installées en face du bureau.
Au début, le Rav évoqua les qualités de chacun en leur donnant un programme très strict d’étude à suivre. Il avait constaté que depuis quelques jours, ils avaient l’air agités et avaient tendance à s'éparpiller. Il prit le temps de parler à Yossef, Yona et David sans leur faire le moindre reproche, juste en les recadrant avec douceur. Quand vint le tour d’Avraham, il pria les autres de le laisser seul avec lui.
Sans discuter, ils se levèrent et quittèrent les lieux. Une fois seuls, le Rav avait utilisé un ton un peu plus dur que celui pris auparavant avec les trois autres Yéchivistes.
“Monsieur Yéchaya, le temps est venu pour moi de vous révéler mon parcours. Je veux que vous compreniez comment je suis arrivé jusqu’à cette chaise sur laquelle je suis assis aujourd’hui.”
Le jeune homme avait trouvé étrange que l’imminent Rav souhaite partager ce sujet avec lui. Il avait opté pour le silence en attendant que le Rav poursuive ce qu’il avait à lui dévoiler. Le moins que l’on pouvait, dire c’est qu’il n’allait pas être au bout de ses surprises.
“J’étais un ancien de la pire espèce, qui a fait une très grande Téchouva. Un peu comme notre maître Rech Lakich. Je venais d’une famille très pauvre et je n’ai pas eu la moindre difficulté à prendre un mauvais chemin. J’ai fait des choses terribles dans mon passé et pas un jour ne passe sans que je le regrette profondément. J’ai vécu une très mauvaise passe entre 15 et 18 ans. J’ai fait une mauvaise rencontre qui aurait pu me faire basculer vers le monde de Cheker. Heureusement, mon père, ce grand homme, n’a jamais coupé la communication. Même si ma façon de lui parler était souvent irrespectueuse, il a été patient. Le temps que je revienne à moi.”
Avraham étaient stupéfait de ce qu’il entendait tant il ne s’en serait jamais douté.
“Vous devez vous demander pourquoi je vous parle de cette partie sombre de ma vie aujourd’hui. La réponse est simple. Maintenant que je vous ai dévoilé quelque chose sur moi, c’est à votre tour de me dévoiler quelque chose sur vous ! Depuis votre arrivée en ces murs, je vous observe essayer de camoufler une partie de votre histoire. Je suis de votre côté. Je serais là pour vous en cas de besoin. Comme mon père ne m’a jamais laissé tomber, je ferai de même avec vous, Monsieur Yéchaya.
– C’est que je ne suis pas très à l’aise. J’ai peur de vous causer des problèmes.
– Ne craignez qu’Hachem. Je ne suis qu’un modeste enseignant. Et puis, pour être tout à fait honnête, je n’ai pas eu besoin de la police pour savoir que c’est vous qui aviez utilisé l’ordinateur du secrétariat pour accéder à des documents top secrets. Je ne vous ai pas dénoncé et je ne le ferai pas. Allez-y, parlez-moi.”
Se sentant plus en confiance, Avraham lui relata toute son histoire. Le Rav fut très affecté par le récit de son Ba’hour Yéchiva. La preuve en était les remarques qu’il n’avait cessé d’émettre tout le temps qu’Avraham parla : “C’est une catastrophe. Une véritable catastrophe. Lo ‘Alénou !”. Aussitôt après avoir pris connaissance du malheur qui avait frappé la famille Yéchaya, le directeur contourna son bureau pour prendre son étudiant dans les bras.
“Il fallait me le dire plus tôt ! Je vous serai venu en aide !
– Comment ?
– Si vous me l’autorisez, je vais tout de suite donner l’ordre que l’on organise une prière collective. Tous les Ba’hourim volontaires pourront jeûner un jour entier afin qu’Hachem, dans Sa grandeur nous vienne en aide !”
Avraham, trop ému par les paroles réconfortantes du Rav, se mit à pleurer à chaudes larmes. Il bredouilla entre deux sanglots :
“Vous ne me mettez pas dehors après ce que j’ai fait. Et en plus vous faites tout cela pour Ménou’ha. Je ne sais pas comment vous remercier.
– C’est le minimum, mon fils. Puisse la peine que tu éprouves aujourd’hui se transformer bientôt en joie. Tu verras, nous fêterons bientôt son retour.”
Les deux hommes se quittèrent plus unis que jamais. Avraham était plus que prêt pour passer à l’action. C’est sur cet état d’esprit revigoré qu’il retrouva ses amis.
Dès qu’ils l’aperçurent, ils le bombardèrent de questions. Le sourire qu’offrait le jeune Ba’hour montrait que l’entretien individuel s’était bien passé.
Après une journée pleine d’étude, vers 23h00, Yossef avait attendu que ses trois autres colocataires soient réunis pour leur exposer son plan d’attaque.
“Il faut avant tout consacrer nos recherches à retracer l’emploi du temps des quelques jours qui ont précédé l’enlèvement de Ménou’ha. Le mieux serait que l’on réinterroge les voisins chez qui ta sœur devait faire du babysitting.
– On peut aussi interroger ses amies les plus proches. Quoi d’autre ?”, avait demandé Yona.
– Moi, je pars dès demain matin au village arabe pour m’entretenir avec le garagiste avec lequel mon père avait fait affaire.”
David avait réussi à le contacter et obtenir un rendez-vous. Il priait pour une seule chose, que la jeune fille voilée travaille encore là-bas.
Ce que Monsieur Laloum était loin de se douter, c’est que la jeune fille en question était au même moment en train d’être prise en charge par deux femmes musulmanes. Les brutes avaient réveillé Ménou’ha sans ménagement. Elle avait ouvert les yeux en sursaut en se demandant si elle s’était enfin réveillée de son cauchemar. La réalité vint la frapper de plein fouet. Elle avait compris. On la préparait de force pour son futur mariage. Elle n’avait plus d’espoir. Plus envie de vivre. Tout lui demandait un effort, même le simple fait de respirer. Alors elle se laissa complètement faire, sans émettre aucune objection. Demain, elle serait de toutes les manières perdue à jamais.
Elle se remémorait ce jour maudit où deux hommes déguisés en religieux l’avaient suivie juste après les cours. Elle voulait juste rentrer à la maison au plus vite pour se rafraichir un peu avant de se rendre à son baby-sitting. Et puis, ne comprenant pas trop pourquoi ces hommes la suivaient de près, elle avait accéléré le pas. C’est sur une intersection qu’ils l’avaient empoignée par le bras avec force, en lui demandant de les suivre sans faire d’histoires. En écoutant leurs accents, elle avait compris qu’ils n’étaient pas ce que leurs allures prétendaient être. Avant de l’engouffrer dans une voiture, le plus petit de ses deux ravisseurs lui avait tendu un papier et un crayon. Dans un parfait hébreu, il lui dicta ce qu’elle devait faire.
“Ecris un mot à ta famille. Il ne faut pas qu’ils essayent de te retrouver.”
Terrorisée, elle s’était exécutée sans rien dire.
“Écris que tu as décidé toi-même de partir. Ça fait un moment qu’on te suit. On sait où tu habites. On va le déposer dans ta chambre pour que ta famille croit que tu t’es enfuie.”
Contrainte et forcée, elle griffonnait les paroles imposées. La suite, elle la connaissait par cœur. Demain, elle allait devoir se marier. Une robe horrible avait été posée à même sol avec des chaussures. C’est ce qu’elle était censée porter le lendemain. En fixant le morceau de tissu qui représentait sa fin, elle pria de toutes ses forces D.ieu de lui venir en aide au plus vite.
A suivre mercredi prochain….