« Ne hais point ton frère en ton cœur : reprends ton prochain, et tu n'assumeras pas de péché à cause de lui. »[1]
Nous avons abordé la semaine dernière l’un des aspects du commandement de ne point haïr : nous avons relevé que le fait de garder nos sentiments pour nous peut avoir un effet préjudiciable, qui alimente une haine croissante. Mais cet interdit ne se limite pas à garder littéralement nos sentiments dans notre cœur ; une autre manière de le transgresser consiste à agir de façon hypocrite avec l’objet de notre mécontentement, en lui parlant sur un ton plaisant en sa présence et en le démolissant derrière son dos.
Cette conduite est négative pour plusieurs raisons. Premièrement, nous avons expliqué la fois dernière qu’en parlant franchement et honnêtement avec cette personne, nous pouvons, espérons-le, régler le problème. Mais le fait de médire d’elle en présences d’autres personnes ne contribuera pas à réduire les sentiments antagonistes, qui risquent probablement d’augmenter. Le plus néfaste est peut-être le fait que la victime d’une telle critique est attaquée sans le savoir, et est donc incapable de se protéger. Il est cruel de placer un individu dans une telle position : il risque de subir des torts en conséquence des propos négatifs émis sur lui sans être en mesure de se défendre.
De plus, le fait de médire sur lui auprès d’autres personnes risque d’accroître leur sentiment d’hostilité envers lui, lui retirant une chance de maintenir une bonne relation. De surcroît, très souvent, de tels propos peuvent causer des torts à la réputation d’un individu et engendrer une perte financière pour lui.
Outre le préjudice du fait de médire d’une personne derrière son dos, une telle conduite reflète également une faille dans le caractère. Etre amical avec quelqu’un tout en l’avilissant en son absence est le signe d’une grande malhonnêteté. La Torah décrit dans les moindres détails l’inimitié ressentie par les frères de Yossef à son égard ; ils avaient le sentiment qu’il était arrogant et constituait une menace pour leur bien-être. En dépit de leur erreur de calcul dans ce domaine, ils sont néanmoins loués pour un aspect de leur comportement: ils ne se sont pas conduits envers Yossef de manière sournoise. Ils lui ont fait parfaitement savoir leur position à son égard et il n’a pas été placé dans une situation de fausse sécurité. C’est un reflet de leur trait positif d’honnêteté.
Nous devons, bien entendu, nous efforcer de résoudre les situations déplaisantes par un discours franc, mais même si nous en sommes incapables, nous devons certainement nous efforcer d’éviter d’agir de manière hypocrite envers notre prochain ; même si nous sommes irrités contre lui, il ne mérite pas d’être attaqué dans son dos.
La culture occidentale met l’accent sur notre droit à mener notre vie comme nous l’entendons, tant que cela ne porte pas préjudice aux autres. Une résultante de cette attitude est le concept de relativisme moral ; les défenseurs de ce concept prétendent que le bien et le mal objectif n’existent pas et en conséquence, nous n’avons pas le droit de juger les autres en raison de leur point de vue ou de leur mode de vie. La Torah rejette fermement ce concept et avance qu’il existe une moralité absolue et une manière « juste » et « fausse » de vivre sa vie.[2] Une telle attitude peut paraître antithétique par rapport au commandement de ne pas haïr notre prochain ; en réalité, l’histoire a prouvé que des désaccords idéologiques ont été la source d’une haine importante. Comment le judaïsme réconcilie-t-il cette dichotomie apparente ?
Un passage très important du Talmud peut nous aider à comprendre précisément l’attitude de la Torah dans ces domaines. Le Talmud explique que le Second Temple a été détruit en raison de la « haine gratuite ». Le peuple juif est composé de différents groupes épousant chacun une idéologie différente. Leurs différences d’opinion conduisirent à un conflit important et finalement à une guerre civile, qui a été une étape clé dans la destruction du Temple et l’exil du peuple juif qui a suivi. Le Talmud décrit ce conflit comme « inutile », à savoir qu’ils n’avaient aucune raison de se quereller à ce sujet.[3]Cette description est difficile à comprendre : après tout, chaque groupe avait bien des raisons de détester l’autre —ils pensaient que l’idéologie de leurs rivaux était non seulement fausse, mais aussi indéniablement dangereuse. De ce fait, comment le Talmud peut-il décrire cette haine comme infondée ?!
La réponse : un individu peut être en désaccord avec un autre, MAIS un tel désaccord n’est pas une cause valable de haine : les Juifs à l’époque de la destruction du Temple avaient des raisons d’être en désaccord les uns avec les autres, MAIS ces raisons ne justifiaient pas la haine ; en conséquence, le Talmud décrit celle-ci comme dénuée de fondement, car elle n’avait pas de base légitime.
Nous pouvons désormais comprendre comment la Torah peut prêcher une moralité absolue et simultanément interdire la haine. Nous croyons en l’existence d’un bien et d’un mal, et nous devons nous évertuer à vivre notre vie en suivant la voie du bien. Si un individu se conduit d’une manière qui ne correspond pas à la conception de la Torah en matière de mœurs, sa conduite sera en conséquent décrite comme inconvenante et même immorale. Toutefois, cela ne signifie pas que nous sommes libres de le détester : nous pouvons désapprouver ses actions et dans le même temps, l’aimer dans son essence. En comprenant ceci, l’exhortation de la Torah d’éviter la haine prend une nouvelle dimension —même si nous avons un désaccord idéologique avec notre prochain, nous ne devons pas le transformer en bataille personnelle.
[1] Parachat Kédochim, 19:17.
[2] En vérité, peu de gens souhaitent suivre la ligne morale relativiste jusqu’à son aboutissement logique : on n’a le droit de critiquer AUCUNE idéologie, même si elle nous semble moralement répugnante, en conséquence, des actes tels que le meurtre, le vol et l’antisémitisme deviennent des actes subjectifs qui ne peuvent être jugés comme du mal simplement parce que le concept de mal objectif n’existe pas.
[3] Yoma 9b.