« Et considère la perte [occasionnée par l’accomplissement] d’une Mitsva en regard de la rétribution (Skhar) [accordée pour son observance] et le gain occasionné par une faute en regard de la perte (Hefsed) [qu’elle te vaut]. »
Première partie
Les commentateurs[1] commencent leur discussion de cette partie de la Michna en relevant une contradiction apparente avec la clause précédente stipulant que nous ignorons la récompense de la pratique des Mitsvot. La Michna déclare que l'on doit considérer la récompense de la Mitsva afin de se motiver à accomplir les Mitsvot. Comment peut-on considérer la rétribution de la Mitsva si on ignore sa récompense ?! Ils répondent que lorsque la Michna nous exhorte à considérer la récompense de la Mitsva, cela ne signifie pas que nous devons calculer exactement ce que nous recevrons pour la Mitsva, chose impossible. D'après la Michna, il faut plutôt avoir à l'esprit que la récompense pour toute Mitsva est accordée dans le Monde à Venir, et toute récompense dans le Monde à Venir est incomparablement supérieure à la plus grande récompense que l'on puisse recevoir dans ce monde-ci, comme il est dit dans Avot : un moment de plaisir dans le Monde à Venir est supérieur à toute combinaison de plaisirs dans ce monde.
Cette réponse explique l'interprétation simple de cette partie de la Michna : lorsqu'un individu est confronté au choix de réaliser ou non une Mitsva, il peut être tenté de s'abstenir de réaliser la Mitsva qui présente des difficultés ou coûte de l'argent – la Michna s'y réfère à titre de Hefsed Mitsva -, la perte engendrée par la Mitsva. Donc, la Michna nous rappelle que quelle que soit la « perte » dans ce monde liée à la Mitsva, le gain dans le Monde à venir la surpasse totalement, peu importe la teneur exacte de la récompense. Si, par exemple, un homme est confronté à la possibilité de gagner de l'argent s'il cesse d'étudier avant la fin du délai qu'il s'est fixé, il doit se remémorer que la récompense pour un instant d'étude dépasse de loin tout l'argent au monde.
C'est également l'intention de la seconde partie de cette clause : on doit considérer les gains d'une faute par rapport à la perte si on évite de la commettre. Lorsqu'un individu a l'occasion de commettre une faute, il est tenté par le plaisir temporel obtenu par la faute. Par exemple, il tirera du plaisir à regarder une scène interdite ou à manger un aliment avec une Cacheroute douteuse. Cette personne devra considérer les conséquences négatives qui l'attendent dans le Monde à Venir pour avoir commis cette faute, qui surpassent totalement le plaisir temporaire dont il jouira en conséquence de la faute. D'après l'Alter de Kelm, tout comme un instant de plaisir dans le Monde à Venir est supérieur à tout le plaisir dans ce monde-ci, de la même manière, un instant de souffrance dans le Monde à Venir surpasse toute la douleur possible dans ce Monde. Si l'on prend ce principe à cœur, on sera en mesure de résister à la tentation de fauter.
Cette idée est issue d'un verset de la Torah : la Paracha de 'Houkat s'achève sur le récit de la description de la conquête par le peuple juif de la ville de 'Hechbon aux mains des Emorites. Cette ville appartenait à Moav jusqu'à ce que Si'hon, roi des Emorites, vainque Moav et acquière 'Hechbon. À propos de cette guerre, la Torah nous dit : « C'est à ce propos que les poètes (Mochlim) disaient : « Venez à 'Hechbon ! Cité de Si'hon, qu'elle se relève et s'affermisse. »[2] Au sens simple, les Mochlim sont ceux qui récitent des Machalim (poèmes), Bilaam et Béor, qui demandaient à Si'hon de venir conquérir 'Hechbon des Moabites. Mais la Guémara discerne un message caché dans ce verset : « En conséquence, pour ceux qui sont maîtres de leurs impulsions : faisons le compte, la perte (qui intervient dans le sillage) d'une Mitsva vis-à-vis de son gain, et le gain d'une faute vis-à-vis de sa perte. »[3] C'est exactement le même message que celui de la Michna.
La question se pose : comment un individu peut-il être sûr de pouvoir faire ce calcul au Cha'at Ma'assé, au moment où il fait face à cette décision ? Il est très difficile d'être assuré, dans le feu de l'action, de pouvoir l'emporter sur son Yétser Hara' (mauvais penchant) qui se concentre sur les plaisirs immédiats, et se focaliser sur les ramifications à long terme de ses actions. Réponse : c'est pratiquement impossible et d'après la Michna, on doit prendre en compte les gains et pertes des Mitsvot et fautes réalisées plus tôt, lorsqu'on n'est pas confronté à la tentation de fauter ou de ne pas réaliser de Mitsva. Dans une période de calme, lorsqu'on n'est pas influencé par son Yétser Hara', il faudra analyser les gains et pertes qui augmenteront en fonction de nos diverses actions. Ceci nous permettra d'acquérir les outils grâce auxquels nous pourrons prendre les bonnes décisions dans le feu de l'action.
En conséquence, par exemple, si un homme sait qu'il est tenté d'observer des scènes interdites, il devra étudier des ouvrages de Moussar (éthique juive) qui lui prodigueront des conseils pour relever ce défi, et le renseigneront sur la gravité de cette faute, afin qu'à un moment de défi, il soit plus équipé pour le relever. De même, si un homme étudie la valeur des Mitsvot, comme l'étude de la Torah, et a conscience que toute la richesse provient de Hachem, il lui sera plus facile de relever les tentations du Yétser Hara' qui cherche à le détacher de l'étude.
[1]Abrabanel et Dérekh 'Haim.
[2]'Houkat, 21:27.
[3]Baba Batra, 78b.