« Hillel dit : ne vous séparez pas de la communauté. »
La question la plus élémentaire à poser sur cet adage de Hillel est de comprendre ce que recouvre exactement cette phrase. Nous avons plusieurs réponses qui seront abordées dans les articles à venir.
Rachi et Barténoura expliquent que Hillel se réfère à des périodes de difficulté pour le Tsibour (communauté) et il nous demande de ne pas nous détacher de la souffrance vécue par le Tsibour. Ce principe s'appuie sur la Guémara[1] qui fait cette remarque et déclare que toute personne qui se sépare de la communauté lorsqu'elle traverse des difficultés, ne verra pas la Né'hama du Tsibour, c'est-à-dire qu'elle n'aura pas le mérite de participer aux événements joyeux du Tsibour.
Le Midrach Chmouël ajoute que Hachem Lui-même, si l'on peut dire, se joint à la collectivité en période de souffrance. Nous en avons pour preuve que lorsque Hachem demanda à Yaakov de descendre en Égypte, Il lui assura qu'Il descendrait avec lui en Égypte, c'est-à-dire qu'Il s'associerait à la souffrance de l'exil égyptien.
Le Gaon de Vilna semble comprendre la Michna de manière semblable à Rachi et Barténoura dans son commentaire sur Avot. Il ne rédige généralement pas de longues explications, mais cite plutôt des versets qui se rapportent à la manière dont il comprend la Michna. Sur cette Michna, il cite le verset lorsque Yéhochou'a conduisit le peuple juif pour combattre Amalek et Moché resta à l'arrière et pria pour la réussite du peuple. Il leva ses mains en prière, et lorsqu'il se fatigua, il voulut s'asseoir, mais ne prit pas place sur une chaise confortable ou un coussin, mais s'assit sur une pierre.[2] Ce verset, cité par la Guémara, constitue une preuve que Moché s'était joint à la communauté en période de difficulté.
Une question se pose : un autre verset semble plus révélateur de la volonté de Moché de partager la souffrance de la collectivité. Alors que le peuple juif était asservi, Moché grandissait comme un prince dans le palais de Pharaon, et n'avait donc aucun rapport avec la douleur endurée par le peuple. Or, la Torah affirme qu'il sortit pour voir leurs souffrances [3] et les commentateurs expliquent qu'il fit un effort concerté pour s'identifier aux souffrances qu'ils enduraient, même si cela n'affectait absolument pas son mode de vie. Les Maîtres du Moussar (éthique juive) citent la conduite de Moché comme un exemple type du principe de Nossé Bé'ol 'Havéro : porter le fardeau d'autrui. En conséquence, pourquoi la Guémara, suivi par le Gaon de Vilna, citent ce verset de Moché assis sur un rocher comme l'ultime exemple du partage de la souffrance de la communauté ?
Rab Avraham Its'hak Barzel[4] suggère que les actions de Moché pendant la bataille contre Amalek dévoilent un aspect supplémentaire d'association à la souffrance du public. Il s'explique par une analogie : lorsqu'un général envoie ses troupes en guerre, il reste en général à l'arrière pour organiser de loin la stratégie des divers soldats. Au cours de la bataille, les troupes traversent de grandes difficultés et se trouvent dans un environnement extrêmement inconfortable : ils ont probablement faim et soif et soit très froid ou très chaud. Au même moment, le général se trouve dans ses quartiers-généraux à diriger les événements, dans une situation bien plus confortable – il a de la nourriture et de la boisson à sa disposition, une chaise pour s'assoir, etc. Personne ne pourra prétendre qu'il ne partage pas le fardeau de ses soldats, du fait qu'il se trouve dans un environnement plus confortable, mais il effectue son travail vital : guider les soldats. On comprend qu'il ne fait rien de mal en évoluant dans un cadre bien plus agréable que celui des soldats. Mais s'il adoptait une mesure supplémentaire, et de manière symbolique, réduisait le confort de son environnement, cela témoignerait d'un plus grand sens du partage avec ses soldats.
C'est la noblesse de la conduite de Moché Rabbénou lors de la bataille avec Amalek. Resté debout toute la journée, il était fatigué. Personne ne lui aurait reproché de s'assoir sur une chaise normale. Mais il a fait un effort supplémentaire et s'est assis sur un rocher inconfortable et a déclaré que puisque le peuple juif souffrait, il s'associerait à leur souffrance.
Nos grands maîtres en Torah ont également incarné cette vertu de s'associer à la souffrance de leur communauté. Un jour, un terrible feu détruisit de nombreuses maisons à Brisk. La maison du Rav de Brisk, Rabbi 'Haïm Solovetchik, échappa à la destruction. Mais outre ses efforts intenses pour aider les membres de sa communauté, il dormit à même le sol plutôt que sur son lit. Il expliqua qu'il ne pouvait dormir dans son lit confortable, tandis que les membres de sa communauté n'avaient plus de toit sur la tête.
Nous avons traité un aspect de l'idée de ne pas se séparer de la communauté : être présent lorsque la communauté souffre, même si la souffrance ne touche pas directement la personne. Et Moché Rabbénou nous indique un niveau plus élevé : effectuer une action symbolique pour partager d'une certaine manière la douleur des personnes souffrantes.
[1] Ta'anit 11a
[2] Chémot 17:12.
[3] Chémot 2:11.
[4] Iniyané Daf, Chémot 17:12.