« Rabban Gamliel, fils de Rabbi Yéhouda Hanassi dit : "Il est bon de concilier l’étude de la Torah avec le Dérekh Erets, car leurs efforts associés occultent [la tentation de] la faute ; et toute étude de la Torah qui n’est pas accompagnée d’un travail est vouée à la perte et entraîne la faute." »

Dans l'article précédent, nous avons abordé l'approche de Rabbi Ichmaël au travail et à l'étude. Il tenait qu'il est nécessaire de passer un certain temps à travailler pour gagner sa vie. Il est néanmoins d'accord que l'étude de la Torah doit être le principal centre d'intérêt de l'homme. Abordons à présent l'approche de Rabbi Chimon : comme nous l'avons mentionné, Rabbi Chimon soutenait qu'un homme doit centrer son attention uniquement sur son étude de la Torah, et s'appuyer sur Hachem pour subvenir à ses besoins. Nous avons également vu que d'après la Guémara, la majorité des hommes ne peuvent réussir à vivre conformément à l'approche de Rabbi Chimon.

Il semblerait que Rabbi Chimon ne soit pas du même avis que l'auteur de cette Michna, Rabban Gamliel, qui déclare que l'on doit à la fois gagner sa vie et étudier la Torah. Mais en réalité, ils ne sont peut-être pas véritablement en désaccord : Rabban Gamliel évoque la majorité des hommes qui ne sont pas capables de vivre au niveau de Bita'hon (confiance en D.ieu) requis pour se concentrer uniquement sur l'étude, à l'exclusion d'une profession pour gagner leur vie. En revanche, la conception de Rabbi Chimon n'est appropriée qu'à de rares individus qui vivent à un haut niveau de Bita'hon.

Mais une question s'impose alors : il semble y avoir un très grand nombre d'hommes qui passent toute leur journée et leur soirée à étudier la Torah, à l'exclusion d'une profession pour gagner leur vie. C'est particulièrement le cas en Erets Israël. Comment concilier cette réalité avec les sources examinées, qui semblent concorder avec l'idée que l'approche de Rabbi Chimon n'est adaptée qu'à un faible nombre d'individus vivant à un très haut niveau ?

La réponse fondamentale à cette question est que la majorité, si ce n'est la totalité, de ceux qui passent leur journée à étudier, ne vivent pas réellement conformément à l'opinion de Rabbi Chimon. En effet, Rabbi Chimon a prescrit une attention complète sur l'étude, sans aucun effort nécessaire pour gagner de l'argent. Ce n'est pas le cas de nos jours, sur un certain nombre de points : tout d'abord, la majorité des hommes qui étudient reçoivent une bourse de leur lieu d'étude, bien que celle-ci soit considérablement moins élevée que le salaire de la majorité des personnes qui travaillent. Deuxièmement, il est courant que les épouses de ces hommes travaillent d'une manière ou d'une autre pour contribuer à soutenir leurs époux. Troisièmement, ces hommes passent souvent du temps à gagner de l'argent par le biais de cours de soutien, ou étudient des heures supplémentaires tôt le matin ou le weekend. En conséquence, ces hommes ne comptent pas totalement sur le fait d'obtenir leur gagne-pain sans fournir le moindre effort.

Il n'en reste pas moins qu'ils gagnent généralement moins que des familles qui travaillent. Cette réalité semble s'appuyer sur deux facteurs : premièrement, comme nous l'avons mentionné dans le texte précédent, plus un individu a de Bita'hon, moins il a besoin de consacrer son temps à gagner sa vie, et plus il obtiendra de l'argent directement par Providence divine. En conséquence, les familles qui consacrent leur vie à l'étude de la Torah, s'efforcent de vivre à un haut niveau de Bita'hon, et ont moins besoin de faire de Hichtadlout (efforts) que les autres. Et en effet, un grand nombre d'entre eux peuvent témoigner de nombreuses histoires de quasi-miracles dans leur vie qui leur ont permis de gagner suffisamment pour vivre. [1]

Second point : ces Juifs vivent conformément à l'exhortation de nos Sages de Histapek Bémo'at – de se suffire de peu. Cela signifie en gros que chacun doit s'efforcer de s'arranger avec moins de biens matériels. L'un des bénéfices évidents est que selon cette conception des choses, un tel homme a besoin de passer moins de temps à travailler afin de gagner ce qu'il a « besoin » pour vivre. Les familles qui consacrent leur vie à l'étude à plein temps vivent presque invariablement à un niveau bien plus simple que la majorité des autres. Relevons néanmoins que ce trait est requis pour tout le monde, même ceux qui travaillent. L'attachement au matérialisme joue un grand rôle dans le fait d'entraîner l'homme à passer plus de temps à travailler que nécessaire pour gagner suffisamment sa vie. Chaque personne, à son niveau, devrait aspirer à diminuer sa dépendance aux objets de luxe et biens matériels dont il n'a pas vraiment besoin pour mener une vie confortable.

Nous avons vu que même ceux qui consacrent leur vie à étudier la Torah ne vivent pas selon les idéaux élevés de Rabbi Chimon, mais ils aspirent à vivre plus simplement, avec un niveau plus important de Bita'hon. Il est aussi important de relever qu'il y a d'autres moyens prescrits par les décisionnaires qui permettent à un homme d'étudier la Torah sans travailler, pouvant lui permettre de recevoir des moyens de subsistance. Le plus connu est l'accord d'Issakhar et de Zévouloun, qui s'appuie sur le modèle de deux fils de Ya'acov : Issakhar, qui passait tout son temps à étudier la Torah, et Zévouloun, qui se consacrait au travail, dans le but de soutenir Issakhar. Pour le rétribuer, Zévouloun partageait sa récompense de son étude de la Torah avec Issakhar. C'est un modèle courant grâce auquel les élèves en Torah sont soutenus financièrement.

La question se pose néanmoins : il était plus fréquent autrefois que la majorité des hommes, y compris d'illustres érudits en Torah, consacraient du temps à acquérir des moyens de subsistance. Pourquoi la situation aurait changé aujourd'hui où ces hommes consacrent tout leur temps à étudier ? C'est une discussion plus longue qui dépasse la portée de cet article, mais brièvement, les commentateurs expliquent que les générations précédentes vivaient à un niveau bien plus élevé, au point qu'ils pouvaient passer du temps à travailler tout en étant très érudits en Torah. De nos jours, nous sommes à un niveau bien inférieur, et il est accepté que chaque homme doive passer quelques années à étudier à plein temps, simplement pour connaître suffisamment la Torah et respecter ses lois, et être capable de se familiariser avec un mode de vie conforme à la Torah. De surcroit, pour devenir un véritable érudit en Torah, il est nécessaire, pour la majorité des avis, de passer tout son temps à étudier la Torah.

 

[1] Inutile de préciser que si un homme qui étudie la Torah à temps plein n'est pas capable de subvenir aux besoins de sa famille, il relève de sa responsabilité de trouver un moyen de le faire, même si cela nécessite de passer du temps à travailler.