La lecture de la Paracha Lèkh Lékha marque une rupture dans la nature du récit biblique. En effet, depuis l’ouverture du livre de Béréchit, la Torah semble s’adresser à l’humanité toute entière. C’est le cas notamment de l’histoire de la création du monde, puis des premiers hommes ; c’est le cas également du déluge qui s’abat sur le monde ou encore de la tour de Babel.
Avec la Paracha Lèkh Lékha, comme le note le Rav Jonathan Sacks, la Torah braque subitement son regard sur une famille, celle de Téra'h et plus particulièrement de son fils Avraham. La suite du récit des cinq livres de la Torah suivra de près l’évolution de cette famille, notamment la branche des patriarches Avraham - Its'hak - Ya'akov.
Est-ce à dire que D.ieu a créé l’humanité et ne s’intéresse qu’aux descendants de Ya'akov, les Hébreux ? Si l’on en croit les propos des prophètes, cela ne semble pas être le cas. Ainsi Amos nous dit que de même que D.ieu a fait sortir les Israélites d'Égypte, Il a aussi fait sortir les Philistins de Caphtor et les Araméens de Kir (Amos 9:7). De même, le livre de Yona nous conte le sauvetage miraculeux de la ville de Ninive, ou encore le prophète Isaïe évoque un temps où les Égyptiens adoreront D.ieu et où il les sauvera de l'oppression comme il a sauvé Israël (Isaïe 19:20-21).
C’est donc entendu, l’Éternel se soucie de toute l’humanité. Mais, que signifie donc ce regard particulier posé dans la Torah, à partir de maintenant, sur une partie des descendants d’Avraham ?
La Torah n’a pas vocation à être simplement un livre d’histoire, compilant les histoires et les récits des débuts de l’humanité ; elle recherche avant tout à inspirer les hommes afin de les guider dans les défis de l’existence humaine.
C’est une chose d’enseigner des valeurs morales de manière théorique, mais c’est autre chose de pénétrer dans les complexités de la psyché humaine pour aider les hommes à faire les bons choix au fil des situations complexes qu’ils peuvent rencontrer et des dilemmes cornéliens auxquels ils doivent répondre dans leur vie courante.
Or, la Torah cherche précisément à accompagner les hommes concrètement, elle cherche à les inspirer pour leur permettre de faire les bons choix et relever avec succès les défis qu’ils rencontreront dans leur vie. Pour y parvenir, la Torah ne pouvait pas se contenter d’énoncer des valeurs abstraites mais elle avait besoin de proposer des exemples d’hommes et de femmes inspirants susceptibles de représenter des modèles pour l’ensemble de l’humanité, et plus particulièrement pour les Juifs.
Et de fait, le personnage d’Avraham introduit par la Paracha de cette semaine semble être l’archétype du modèle vertueux, du leader inspirant. Dès les premiers mots de la Paracha, nous le voyons prendre une décision courageuse en quittant son pays, sa ville, sa maison pour préserver son avenir spirituel et celui de sa famille.
De même, il ne cessera d’inspirer ses contemporains qui verront en lui non seulement un homme vertueux, mais aussi et surtout un ambassadeur de D.ieu sur terre. C’est ainsi qu’Avimélekh, roi de Gérar, s’exclamera « D.ieu est avec toi dans tout ce que tu fais » (Béréchit 21:22), ou encore les Hittites diront de lui « Tu es un prince de D.ieu au milieu de nous » (Béréchit 23:6). Il en sera de même de ses descendants, et notamment de Yossef Hatsadik à propos duquel le pharaon s’exclamera « Peut-on trouver quelqu'un comme cet homme, en qui réside l'esprit de D.ieu ? » (Béréchit 41:38).
Voilà pourquoi, probablement, la Torah a décidé, à partir de notre Paracha, de braquer son regard sur une famille particulière. Il s’agit d’offrir à l’humanité l’exemple de femmes et d’hommes exceptionnels qui, en dépit des défis de l’existence, des épreuves auxquels ils sont confrontés comme chaque être humain, parviendront à demeurer des exemples de vertu et de piété. Plus que cela, la Torah nous dit, à cinq reprises, qu’ils apporteront la bénédiction à l’ensemble de l’humanité « Par vous seront bénies toutes les familles, ou toutes les nations, de la terre » (Béréchit 12:2, 18:18, 22:18, 26:4, 28:14, rapporté par le Rav J. Sacks)
L’observation de leurs vies, qui n’est pas un long fleuve tranquille, et dont le récit biblique ne nous épargne pas les zones d’ombre, permet donc de comprendre comment des hommes peuvent vivre près de D.ieu et représenter un modèle pour l’ensemble de l’humanité.