« Ceci est la règle du sacrifice rémunératoire qu'on offrira à l'Éternel. Si c'est par reconnaissance qu'on en fait hommage, on offrira, avec cette offrande de reconnaissance, des gâteaux azymes pétris à l'huile, des galettes azymes ointes d’huile ; plus, de la fleur de farine échaudée, en gâteaux pétris à l'huile. » (Vayikra 7,11-12).
Rachi explique sur le mot « Si » : Si c’est pour un miracle qui a été accompli en sa faveur, par exemple ; celui qui traverse la mer, celui qui traverse un désert, celui qui a été emprisonné et un malade qui a guéri. Ces personnes doivent remercier, comme il est écrit : « Ils remercieront Hachem pour Sa bonté et les prodiges qu’Il fait à l’homme… »
La Parachat Tsav parle des lois du Korban Toda (sacrifice de gratitude). Rachi explique que le Korban Toda était apporté par celui qui avait vécu un miracle, puis il rapporte les exemples donnés par nos Sages – celui qui traverse la mer, celui qui traverse le désert, celui qui sort de prison et celui qui recouvre la santé après une maladie. Rav Yossef ’Haïm Zonnenfeld[1] pose une question intéressante à propos de ces lois du Korban Toda. Il souligne que presque tous les sacrifices individuels sont évoqués dans la Parachat Vayikra, à l’exception du Korban Toda. De plus, le fait d’en parler précisément dans la Parachat Tsav est surprenant ; toute cette section est réservée au service des Kohanim et s’adresse à ces derniers. Elle ne concerne pas les autres, étant donné que le reste du peuple n’approchait pas les offrandes. Or, le Korban Toda concerne tous les Juifs. Alors pourquoi en parle-t-on au milieu d’une Paracha qui touche les Kohanim ?
Rav Zonnenfeld pose une dernière question à propos des termes employés par Rachi quand il évoque les événements qui exigent un Korban Toda. Il les décrit comme des miracles, alors qu’il s’agit de phénomènes naturels – qui impliquent, certes, un certain risque ou un danger, mais que l’on ne considère pas vraiment comme des prodiges, alors pourquoi les décrire de la sorte ?
Rav Zonnenfeld répond en enseignant un principe fondamental. Quand on emploie le mot « miracle », on fait généralement allusion à un événement où les lois de la nature sont défiées. Il est alors clair que le miracle provient d’Hachem. En revanche, les événements qui ont lieu régulièrement semblent normaux et n’ont pas l’air de provenir d’en Haut. En réalité, la nature n’est pas moins prodigieuse qu’un miracle exceptionnel et dévoilé, mais puisqu’on y est habitué, on ne la considère pas comme tel. Les cas qui exigent une Korban Toda sont tous « naturels » mais ils restent, malgré tout, miraculeux.
On retrouve cette idée de remerciement pour les « miracles naturels » lors de la naissance de Yéhouda. La Guémara[2] raconte que quand Léa eut son quatrième enfant, elle le nomma Yéhouda, déclarant : « Cette fois, je remercierai Hachem »[3], et elle précise que c’est la première fois de l’Histoire qu’une personne exprima sa gratitude à Hachem. Cette Guémara surprend plusieurs commentateurs, étant donné que dans plusieurs épisodes antérieurs à celui de Léa, des personnes exprimèrent leur reconnaissance, par exemple, quand Noa’h apporta des sacrifices à Hachem en sortant de l’Arche. En réalité, jusqu’alors (jusqu’au moment où Léa fit ce remerciement), les gens apportaient des Korbanot ou exprimaient leur gratitude pour des miracles dévoilés et exceptionnels (comme la survie de Noa’h dans l’Arche durant le déluge). Léa remercia pour la naissance de son quatrième enfant, chose qui ne correspond pas à un miracle dévoilé. Elle remercia toutefois comme s’il s’agissait d’un véritable prodige et c’est en ce sens qu’elle fut la première, la précurseur. C’est aussi la raison pour laquelle Rachi parle des personnes apportant un Korban Toda comme ayant vécu des miracles.
Nous pouvons à présent comprendre la position du chapitre du Korban Toda dans la Torah. Rav Issakhar Frand explique pourquoi on en parle dans la Parachat Tsav et non dans la Parachat Vayikra. « Les Kohanim ont besoin d’une exhortation particulière concernant les "miracles naturels". La Michna (Avot 5,5) affirme qu’il y avait des miracles tous les jours au Beth Hamikdach. Les mouches ne s’approchaient jamais des animaux abattus, le vent ne faisait jamais vaciller la colonne de fumée montant de l’Autel, etc. Ils vivaient dans les miracles. Or, quand on voit des prodiges quotidiennement, on s’y habitue, le miracle devient une routine, il fait partie de la vie. Et l’on risque de ne même plus les apprécier. C’est la raison pour laquelle les lois du Korban Toda se trouvent dans la Paracha de Tsav. Nous avons tous besoin de ce rappel, de nous souvenir que la Providence divine est un miracle, une véritable Intervention Divine, quand bien même elle est manifeste au jour le jour. Et les Kohanim qui en voyaient tous les jours avaient d’autant plus besoin de ce rappel. Voilà pourquoi le Korban Toda est mentionné dans la Parachat Tsav, qui vise principalement les Kohanim. »
Finissons par une anecdote qui illustre bien cette idée. Un homme vint voir le Rav Chakh un an après son mariage, juste après la naissance de sa première fille, lui demandant s’il devait organiser un Kiddouch pour célébrer l’événement. Rav Chakh lui répondit : « Supposons que vous ayez été mariés depuis huit ans et que pendant toute cette période, ta femme était restée stérile ; qu’après toute cette attente, elle soit tombée enceinte et qu’elle ait eu une petite fille ! Auriez-vous organisé un Kiddouch dans ce cas de figure ? Bien évidemment ! Et là, Hachem vous a épargné sept ans d’attente et de frustration, d’angoisse et de soucis ! Ne devriez-vous pas exprimer votre immense gratitude ? » Rav Chakh enseignait par là une leçon de taille – il ne suffit pas de voir le miracle quand une femme a un enfant après plusieurs années d’attente, même un an après son mariage, la naissance d’un enfant est prodigieuse !
Puissions-nous tous mériter d’atteindre ce niveau et de prendre conscience de tous les « miracles naturels » que nous vivons.
[1] Rapporté par Rav Issakhar Frand.
[2] Brakhot 7b.
[3] Béréchit 29,35.