La quête du bonheur dans la paracha de cette semaine nous invite à faire un détour par les fêtes qui rythment le calendrier juif et qui sont évoquées dans le texte de la Torah cette semaine. Celles-ci sont intimement liées à la notion de « simha » selon le verset bien connu « vesama’hta be ‘hague’ha » « Et tu te réjouieras durant les fêtes… ».
Mentionnons tout d’abord, la fête de Souccot qui est évoquée dans notre paracha, et qui incarne tout particulièrement la simha, il s’agit du « temps de notre joie » « zeman sim’hatenou ». Elle est mentionnée dans notre texte à travers le verset suivant : « Vous prendrez, le premier jour, du fruit de l'arbre hadar, des branches de palmier, des rameaux de l'arbre aboth et des saules de rivière; et vous vous réjouirez, en présence de l'Éternel votre Dieu, pendant sept jours » (Levitique, 23.40).
Nos Sages voient dans les quatre espèces que nous saisissons à Souccot, et plus particulièrement dans le loulav, l’étendard de notre victoire contre le yetser hara’ et le trophée que nous avons remporté à Yom kipour avec l’expiation de nos fautes. Ce qui est à la source de la joie de l’homme, et de son épanouissement, c’est la conscience que nous avons de notre capacité à vaincre les pulsions destructrices et mortifères qui menacent l’homme dans son existence, tout comme sa capacité à se repentir et à obtenir l’expiation de ses fautes.
En effet, contrairement aux tragédies grecques, qui rendent l’homme prisonnier d’un destin (le fameux « fatum ») qui le dépasse et auquel il ne peut échapper, la Torah postule la liberté fondamentale des hommes qui peuvent rebattre les cartes de leur vie à chaque instant en s’attachant à D. et en mettant un terme à leurs péchés.
Passant en revue les différentes solennités du calendrier, notre paracha évoque également la période que nous vivons depuis le deuxième jour de Pessah’, celle du « omer ». Chaque jour, nous sommes ainsi invités à compter un nouveau jour durant les quarante neuf jours qui séparent Pessah’ de Shavouot « Aujourd’hui, nous sommes le XX jour du omer », dans un ordre croissant de 1 à 49. Cette mitsva a ceci de particulier qu’elle s’accompagne d’une bénédiction qui doit être impérativement récitée individuellement. On ne se rend pas quitte de cette mitsva en répondant « Amen » à la bénédiction d’un autre, contrairement à ce qui prévaut d’ordinaire dans la récitation de certaines bénédictions. Quel est donc le sens de cette mitsva du « omer » ?
A travers la mitsva du « omer », la Torah nous livre un formidable secret pour conquérir notre « épanouissement », « notre bonheur » et, pour reprendre un terme à la mode, « notre développement personnel ». Lorsque nous souhaitons corriger certains de nos traits de caractère, nous pouvons être saisi d’un vertige tant ce projet peut nous sembler irréaliste et hors de notre portée. De même, certains commandements de la Torah sont si exigeants et ambitieux que l’on pourrait être découragés avant même de commencer !
Comment puis-je m’engager à ne jamais dire de « mauvaise parole » alors que je passe un temps considérable à parler chaque jour ? Pourquoi mettre la kippa ou faire le birkat hamazone lors de ce repas, alors que je ne le fais pas d’ordinaire et que je ne pense pas pouvoir le faire à l’avenir ? Comment puis-je ne jamais me mettre en colère ?
Ces arguments du yeter hara’ sont bien connus, ils cherchent finalement à nous décourager d’entamer des actions positives au motif qu’elles sont vouées à rester de simples coups d’éclat sans lendemain, et qu’il ne sert à rien de s’imposer des objectifs trop ambitieux.
Le omer nous invite à changer de perspective. Pour changer en profondeur son existence, il ne s’agit pas de se projeter sur la longue durée, mais simplement de se fixer des objectifs à court terme. Pour paraphraser l’expression populaire, nous pourrions dire : « A chaque jour suffit son accomplissement ! ». Chaque jour, chaque instant où j’ai réussi à maintenir une conduite vertueuse, j’ai créé une grande lumière dans le monde, et c’est déjà cela de gagné ! Je ne regarde pas le futur dont je ne peux pas préjuger, je ne me noie pas dans l’incertitude de l’avenir, j’essaie simplement au jour le jour, à chaque décision que je prends, de « sauver » une bonne action. Et, même si une fois, je n’y suis pas parvenu, ce n’est pas grave, la prochaine fois, je réussirai.
Et ainsi va la vie, décision après décision, heure par heure, jour par jour, je peux sauver des quantités infinies de bonnes actions, de mitsvot qui réorientent sur la longue durée ma vie vers le bien, et vers mon épanouissement.
Le compte modeste du omer, jour par jour, nous rappelle que les grandes victoires sont bien souvent le fruit d’une succession de petites décisions positives qui ont pavé la voie à un grand succès.
Cette méthode est également celle que l’on conseille bien souvent aux victimes d’addiction : noter sur un calendrier chaque jour où elles ont réussi, par exemple, à ne pas boire d’alcool (R. A. J. Twerski, L’art de bien vivre). Au bout d’un certain temps, en faisant le compte des jours où ils sont restés sobres, ils sont les premiers surpris de leur prouesse, jusqu’à réaliser un beau jour « en fait, je ne bois plus ! ». Leur objectif était simplement à l’origine de sauver quelques jours, ils ont en réalité sauvé leur vie.
Le omer nous enseigne ainsi à valoriser chaque jour qui compose notre existence, car ils sont porteurs d’un potentiel de bonheur et d’épanouissement que, bien souvent, nous sous-estimons. Or cette prise de conscience de la valeur de chaque instant et de chaque jour ne peut être délégué à personne d’autre que nous-mêmes. Voilà pourquoi, la bénédiction qui précède le compte du omer doit être récitée individuellement.
Et de même que chaque jour est unique et précieux, les maîtres du ‘hassidisme nous enseignent que chaque homme est également précieux et unique aux yeux de l’Eternel. Et c’est là également un des sens du compte individuel du omer : faire prendre conscience à chacun de som éminente dignité. Chaque homme est comme un fils unique aux yeux de D.ieu et Il le chérit comme tel (R. Nahman et R. Nathan de Breslev).
Rappelons pour conclure cette anecdote. Une journaliste américaine interrogeait récemment la rabbanite Esther Jungreis, rescapée de la Shoah et qui avait eu une vie particulièrement intense et riche à travers ces multiples engagements dans les communautés juives à travers le monde. Et la journaliste de lui demander « Quel a été le moment le plus intense de votre vie ? ». Et la Rabanite de répondre « Maintenant ! ».
Et de fait, chaque instant de vie que l’Eternel nous donne est porteur d’une lumière infinie, l’occasion de faire le bien autour de nous, et de nous rapprocher de notre Créateur par l’étude, la mitsva, ou simplement la pensée. La longue durée de nos vies n’est rien d’autre que la juxtaposition de ces instants de vie révélés à nous-mêmes et qui sont la source potentielle de grands accomplissements, le prélude à de grandes victoires spirituelles. Ces victoires sont parfois silencieuses, elles n’existent que dans le secret de nos consciences, mais elles n’en demeurent pas moins déterminantes.