La paracha de cette semaine est particulièrement connue car de nombreux versets sont égalements lus l’un des jours les plus solennels de notre calendrier : le jour de Yom Kipour. Et, de fait, notre texte développe la procédure que devait respecter le Cohen Gadol durant cette sainte journée, et notamment lorsqu’il pénétrait dans le « Saint des Saints », le « Kodesh Hakodashim ».
La lecture de cette paracha peut être l’occasion d’une réflexion sur la nature du rapport que nous devons entretenir avec la « kedousha », la « sainteté », et plus généralement tout ce qui relève dans nos vies du « sacré ».
Notre texte commence précisément par une mise en garde explicite :
« L'Éternel parla à moïse, après la mort des deux fils d'Aaron, qui, s'étant avancés devant l'Éternel, avaient péri, et il dit à Moïse: "Signifie à Aaron, ton frère, qu'Il ne peut entrer à toute heure dans le sanctuaire, dans l'enceinte du voile, devant le propitiatoire qui est sur l'arche, s'il ne veut encourir la mort; car je me manifeste, dans un nuage, au-dessus du propitiatoire » (Lévitique, 16, 1-2).
Le triste rappel de la mort des deux fils de Aharon vise probablement à nous rappeler que, en matière de Kedousha, l’homme ne peut se fier à sa spontanéité, ou aux élans de son cœur. Il doit, par-dessus tout, se conformer à une discipline rigoureuse. C’est ce que nous précise le texte quand il nous dit « Signifie à Aaron, ton frère, qu'Il ne peut entrer à toute heure dans le sanctuaire ». La Torah formule donc ce postulat : ce n’est pas l’exaltation qui doit mener l’homme vers le sanctuaire, c’est la Loi.
Pourquoi se méfier des élans du cœur et de la spontanéité ? En quoi représentent-ils une menace pour le « sanctuaire » ?
Cette question est d’autant plus forte que nous savons que la Torah valorise le cœur, elle recherche une adhésion authentique, « sentimentale », « émotionnelle » pourrait-on dire, et, elle se méfie d’une « sensibilité » anesthésiée par une trop grande distanciation.
Cela est vrai, mais elle se méfie d’un écueil désastreux dont elle cherche à préserver l’homme : la familiarité.
En effet, lorsque l’on devient familier avec un lieu, ou un être, notre sensibilité finit tôt ou tard par s’émousser, et nos sentiments par s’affadir. La force de l’habitude banalise nos émotions et diminue leur intensité. On perd ainsi de vue l’essentiel, et on finit par s’attacher à l’accessoire.
Consciente de ces dangers, la Torah a prévu un ensemble de règles impératives qui ont vocation à réguler l’accès de l’homme à la « sainteté », à la « kedousha », et à rendre cet accès rare, donc précieux. Les règles rigoureuses de pureté et impureté ont également vocation à limiter l’accès à la « sainteté » et à rappeler aux hommes tous les égards, et le respect dont ils doivent faire preuve.
C’est précisément cette même dynamique qui est à l’œuvre dans différentes lois de notre tradition. Nous pouvons penser également aux règles de pureté familiale qui prévoient un éloignement régulier entre l’homme et la femme, notamment pour éviter la banalisation de leur proximité et préserver leur respect et leur désir mutuels.
C’est également la familiarité qui peut expliquer certaines dérives incompréhensibles du peuple alors qu’il était dans le désert. Nous sommes bien souvent très surpris de lire les reproches que le peuple a eu l’audace de formuler alors qu’ils étaient entourés de miracles au quotidien.
Or, précisément, la familiarité menace de s’attaquer à tout ce qui est précieux, y compris, la proximité avec D.ieu. Elle peut faire naître des réactions aberrantes de mauvaise foi, ou d’ingratitude.
Chacun l’aura compris, ce danger guette également les relations entre les personnes les plus proches : les enfants vis-à-vis de leurs parents, ou bien les conjoints entre eux. Nous avons vite fait d’oublier l’abnégation, l’amour et la sollicitude que nous avons reçus pour nous attacher à des détails, et en venir à tenir des propos, ou formuler des reproches indécents.
Pour éviter ces écueils, l’homme doit s’efforcer de maintenir des digues de protection susceptibles de réguler sa relation au « sacré » et aux être qui lui sont chers. Nos maîtres ont ainsi prévu de nombreuses marques de respect formel concernant le respect des parents qui permettent de préserver les égards qui leurs sont dus et déjouent, au moins partie, certains risquent induits par la proximité.
La vertu qu’il convient d’observer et de renforcer est probablement celle de la retenue, et du respect.
Le respect crée une saine distance entre l’homme et « l’objet » ou « l’être » respecté, il empêche la (con)fusion. Comme le dit Vladimir Jankelevitch dans le Traite des vertus, « le respect est la reconnaissance d’un mystère ». Il rend impossible l’appropriation, le sentiment de maîtrise ou de contrôle, mais il préserve à l’endroit de l’objet ou de l’être respecté une distance révérencielle.
« L’homme respectueux est un homme envouté : à la fois attiré et repoussé par l’être prochain-lointain, sollicité par deux forces contraires qui se partagent sa conscience » nous dit Jankélévitch.
Et de fait la Torah semble nous inviter à préserver un mystère autour du « sacré », et à cultiver une double dynamique à la fois amour et pudeur, proximité et distance, spontanéité et retenue.