La Mitsva de Mézouza est l’une des obligations fondamentales présentes dans la Paracha de cette semaine ; nous sommes tenus de placer une Mézouza qui contient les Parachiot du Chéma à l’entrée de notre maison. D’après le Séfer Ha’hinoukh[1], cette Mitsva permet à l’individu de se souvenir d’Hachem dès lors qu’il entre chez lui. Le Séfer Ha’hinoukh rapporte également une Guémara[2] dans laquelle Raba estime qu’il convient de placer la Mézouza du côté du domaine public – Réchout Harabim, pour que celui qui entre dans la maison se trouve immédiatement face à une Mitsva.
Ainsi, la maison doit être un endroit imprégné de la conscience de la présence d’Hachem, autant que tout autre endroit saint, comme les maisons d’études ou les synagogues. Ce concept se retrouve dans plusieurs épisodes racontés par la Torah.
Dans la Paracha de Balak, Bilaam fit de belles bénédictions et des louanges au peuple juif, et ce, contre son gré. Parmi ses plus célèbres déclarations, on trouve le verset : « Ma Tovou Ohalékha Yaacov Michkénotékha Israël – Qu’elles sont bonnes tes tentes, Yaacov, tes sanctuaires, Israël »[3]. Dans la première partie du verset, le vil prophète chante les louanges des maisons juives. Rachi explique que Bilaam remarqua que leurs portes d’entrée n’étaient pas en face les unes des autres, afin de préserver l’intimité de chaque foyer. Par contre, on ne comprend pas vraiment à quoi le terme Michkénotékha (qui évoque généralement un sanctuaire, un édifice saint) fait référence, à la fin du même verset. Rav David Orlofsky[4] explique qu’il s’agit également des tentes juives. Bilaam déclarait alors que les Juifs considéraient leurs maisons comme un véritable Michkan. Il véhiculait ainsi le message qu’en agissant avec pudeur au sein du foyer, celui-ci s’élève, il n’est plus un simple lieu d’habitation – où l’on mange et où l’on dort –, mais il s’imprègne d’une grande sainteté.
Le personnage qui incarna cette capacité à associer l’élévation spirituelle aux activités mondaines (y compris celles effectuées dans la maison) fut certainement Yaacov Avinou. ’Hazal[5] affirment que les Avot décrivent le Temple (et, par extension, le service divin) de différentes façons. Avraham l’appelle « montagne », Its’hak le nomme « champ » tandis que Yaacov le considère comme une « maison ». Les commentateurs expliquent que ces différents titres nous montrent comment chaque Patriarche abordait la Avodat Hachem. Pourquoi Yaacov qualifia-t-il le Temple de « maison » ?
La maison est l’endroit où l’on effectue toutes les actions de la vie quotidienne (manger, dormir, et toutes autres tâches ménagères).
Parmi les patriarches, Yaacov fut le plus exposé aux vicissitudes de la vie ; il eut affaire à des gens malhonnêtes, dut travailler durant de longues journées, élever une grande famille... Durant de nombreuses années, il dut affronter ces difficultés sans pouvoir consacrer son temps à l’étude ou à la prière.
C’est l’une des forces de Yaacov – il parvint à élever ses activités journalières et à les transformer en actes saints. C’est d’ailleurs le message qu’il transmit à son frère Essav lors de leur fameuse rencontre : « J’ai vécu (Garti) avec Lavan ». Le mot Garti contient les mêmes lettres que Taryag, qui fait référence aux 613 Mitsvot. Yaacov faisait allusion à sa loyauté envers Hachem, en dépit de son entourage hostile, des conditions de vie qui ne l’incitaient pas à s’élever spirituellement[6]. Il ennoblit ces activités mondaines, parce qu’à ses yeux, elles constituaient des opportunités d’accéder à la sainteté, des moyens d’améliorer sa Avodat Hachem.
Cette leçon est très importante et fut d’autant plus pertinente ces derniers mois, durant lesquels tant de Juifs furent confinés chez eux, à travers le monde. Les synagogues et les maisons d’étude furent fermées. C’est alors qu’une déclaration faite par un Rav ayant vécu au XIXe siècle fut publiée. Il disait que s’il n’en tenait qu’à lui, il aurait fermé toutes les synagogues pendant un siècle ! On aurait imaginé qu’une telle déclaration proviendrait d’une personne mal acceptée dans les cercles de Torah, mais il ne s’agit de nul autre que Rav Chimchon Raphaël Hirsch, le dirigeant spirituel de l’Allemagne à cette époque, qui sauva le judaïsme allemand et dont l’influence dans le monde de Torah se fait encore sentir. Comment put-il affirmer une telle chose ? À cette époque, un mouvement révolutionnaire cassait les croyances fondamentales du judaïsme et prônait un nouveau « mode de vie juif ». Le judaïsme devait alors se limiter à la synagogue, tandis que dans son foyer et lors de ses activités mondaines, le Juif devait s’efforcer de paraître le moins différent possible de ses voisins gentils. Ainsi, la maison devait être un lieu dépourvu de toute sainteté. La déclaration « outrageuse » de Rav Hirsch fut donc une réaction à ce point de vue. Il montrait qu’en fermant les synagogues, l’individu serait tenu de prier et d’étudier la Torah chez lui et qu’ainsi, il se focaliserait à nouveau sur l’élévation spirituelle de sa maison.
La situation a drastiquement changé depuis cette époque et Rav Hirsch n’aurait certainement pas affirmé une telle chose dans un contexte si différent. Néanmoins, le message reste pertinent. Un homme peut encore, de nos jours, avoir cette attitude, à savoir d’aller prier à la synagogue et étudier dans la maison d’étude, mais se relâcher en rentrant chez lui ou en effectuant des activités banales, quotidiennes. Ceci va à l’encontre de la conception de la Torah ; chaque aspect de la vie doit être imprégné de sainteté. C’est l’enseignement de la Mézouza – elle nous rappelle que D.ieu ne se trouve pas seulement à la synagogue, Il est partout et nous avons l’obligation de Le faire entrer dans notre vie, et dans tous les domaines de la vie.
[1] Séfer Ha’hinoukh, Mitsva 423.
[2] Ména’hot 33a.
[3] Bamidbar 24,5.
[4] Conférencier à Or Saméa’h.
[5] Pessa’him 88a.
[6] Vayichla’h 32,5, Rachi s.v Garti.