Nous nous acheminons progressivement vers la fin de la Torah, mais une étude récente du Daf Hayomi (étude quotidienne d’une page du talmud) nous invitait à faire un retour à la création de l’homme.
Les Sages du Talmud s’interrogent sur une forme grammaticale étonnante du texte de la Torah qui écrit le mot « vayyitser » « et D. créa l’homme» (Béréchit, 2.7) avec deux lettres « youd ». Différentes réponses sont apportées par les Maîtres de la guemara mais intéressons-nous à celle de Rabbi Shimon ben Pazi qui nous dit « les deux youd font allusion au « Yetser Hara » (le mauvais penchant) et au « Yotser » (le Créateur) » (Erouvin 18 a).
Ainsi, l’homme, durant sa vie est tiraillé entre deux tendances : d’une part, une tendance spirituelle, positive qui l’encourage à se rapprocher du Créateur en raffinant ses traits de caractères grâce notamment à l’étude de la Torah et la pratique des mitsvot ; et, d’autre part, une tendance négative qui flatte ses bas instincts, et le dissuade de faire des efforts pour essayer de mettre en pratique la volonté de D.ieu.
- Shimon ben Pazi résume cela de la manière suivante « Malheur à moi à cause de « Yetsri » - mon Yetser Hara’ (Rashi : qui vient contrarier ma volonté de servir Hashem), et malheur à moi à cause de « Yotsri » - mon Créateur (Rashi : qui me sanctionne si je fais la volonté du yetser hara’) » (traduit par Pr. F. H. Lumbroso, Récits Talmudiques commentés).
Dès la création de l’homme, le texte de la Torah posait la question du libre-arbitre de l’homme, et de sa liberté à suivre la voie du bien, ou, D.ieu nous en préserve, son opposé. Notre paracha, à fin du cinquième livre de la Torah, ne dit pas autre chose lorsqu’elle interpelle l’homme de manière très claire et limpide : « J'en atteste sur vous, en ce jour, le ciel et la terre : j'ai placé devant toi la vie et la mort, le bonheur et la calamité; choisis la vie! Et tu vivras alors, toi et ta postérité. » (Dévarim, 30.19)
A nouveau, notre sainte Torah revient sur ce qui lui tient de leitmotiv : rien ne prédétermine l’homme à agir dans le sens du bien ou de son contraire. Aucun déterminisme social, culturel, économique ne retire à l’homme sa liberté de choisir dans quelle voie il veut s’orienter. L’homme est certes face à un choix, face à deux tendances qui s’opposent en lui pour l’inciter à agir dans une direction ou une autre, mais aucune n’a plus d’emprise sur lui que l’autre.
En ce dernier Shabat avant Roch Hashana, il était important que notre tradition rappelle à l’homme qu’il est le seul maître à bord pour décider quel sens donner à sa vie, et, dès lors, que rien ne s’oppose à sa volonté de faire teshouva et de revenir vers l’Eternel.
La Torah n’ignore pas tous les arguments, raisonnements, prétextes qui s’entrechoquent dans la tête des hommes pour les encourager au mieux au statu quo, mais elle veut nous rappeler qu’il est une structure fondamentale de l’être humain qui précède et dépasse tout : la volonté, et notamment la volonté de l’homme de choisir à chaque instant le bien, de définir ses priorités et de nourrir les ambitions les plus élevées. Cette volonté n’est pas qu’une vue de l’esprit, elle a une force intrinsèque qui peut briser les barrières mentales que nous nous étions parfois imposées artificiellement.
Et, d’ailleurs, chacun d’entre nous en fait l’expérience bien souvent durant sa vie. Combien de fois nous surprenons-nous à avoir réussi bien au-delà de nos espérances ? Combien de fois réalisons-nous que l’on a pu atteindre ce que l’on pensait impossible, réservé à d’autres, hors de portée ?
Chaque fois que nous faisons de tels constats, nous devrions avoir le réflexe de lever les yeux vers le Ciel afin de remercier le Maître du monde et comprendre qu’en réalité l’homme a des ressources insoupçonnées qui vont bien au-delà de ce que son esprit peut concevoir, ou anticiper.
L’auteur du Petit Prince avait raison lorsqu’il disait « On ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux. » Bien souvent la perception du réel que nos yeux, ou notre raison nous offre est trompeuse, et seuls le cœur, ou l’âme, peuvent donner à l’homme l’intuition juste du chemin qu’il doit emprunter et du sens qu’il doit donner à sa vie. La providence divine se charge ensuite d’ajuster le réel pour permettre à l’homme d’atteindre ses objectifs spirituels.
En cette fin d’année, là où, d’ordinaire, nous avons la tentation de faire des bilans généraux de l’année écoulée, cet exercice nous parait fort imprudent tant l’épreuve que le monde a traversé cette année invite à l’humilité, au retour sur soi, et au dialogue personnel avec le Maître du monde.
Chacun, dans son for intérieur, a probablement une intuition des leçons qui s’imposent pour lui.
Chacun a probablement perçu durant cette période des réalités qui lui échappaient, et trouvé une force qui lui faisait jusque-là défaut pour prendre de nouvelles résolutions.
Chacun a sans aucun doute mesuré le trésor que représentent les relations familiales, sociales ou encore d’amitié qui animent notre quotidien et dont nous ne mesurons pas toujours la pleine valeur.
Ce dernier Shabat de l’année juive, ces derniers jours du mois d’Eloul sont probablement des moments opportuns pour donner davantage de force à toutes ces résolutions, ces envies de faire mieux, de changer, de se rapprocher de D.ieu.
« Cherchez le Seigneur pendant qu'il est accessible ! Appelez-le tandis qu'il est proche ! » nous exhorte le prophète Isaïe (55.7). Or, même si D.ieu est près de l’homme toute l’année, ce sont ces jours-ci où D.ieu est tout particulièrement proche de nous !
A nous, alors, de transformer l’ébranlement que nous avons ressenti, le sentiment de vulnérabilité qui s’est imposé à nous, en une ferme résolution de donner à l’avenir le meilleur de nous-mêmes, de dévoiler les trésors qui reposent dans notre neshama, et de servir D.ieu de la plus belle manière possible.
Puissions-nous être tous inscrits, avec l’aide d’Hashem, dans le livre de la vie matérielle et spirituelle, et assister très rapidement à la fin de cette épidémie, à la venue du Mashiah’ et à la reconstruction du Beth Hamikdash !