La paracha de Haazinou est lue à un moment particulier de l’année qui revêt une intensité spirituelle toute particulière. Au terme du processus de Teshouva entamé depuis 40 jours, et à proximité des fêtes de Kipour et de Souccot, les mots de ce texte retentissent tout particulièrement à nos oreilles, et ils font partie intégrante du réveil qui est attendu de notre part.
A quelques heures de son départ de ce monde, Moïse livre ses dernières recommandations et mises en garde au peuple. Aussi, il a synthétisé, sous l’inspiration divine, la quintessence de son message sous une forme certes poétique mais directe et sans détour.
Notre texte déplore l’inconstance de la nature humaine, et son infidélité récurrente à Hachem. Pourtant, les hommes auraient dû tirer des leçons de l’histoire, et mesurer combien le secours de l’Eternel est grand, et qu’Il est le seul garant de notre survie. « Est-ce ainsi que vous payez Dieu de retour, peuple insensé et peu sage? N'est-il donc pas ton père, ton créateur? N'est-ce pas lui qui t'a fait et qui t'a organisé ? » (Devarim 32.6)
Mais, ce n’est pas le cas, l’homme a ceci de particulier qu’il se tourne vers l’Eternel lorsqu’il rencontre des difficultés, et, lorsque tout va bien, il se détourne de Lui. Il impute à l’Eternel ses difficultés, mais il s’attribue à lui-même ses succès. « Yechouroun, engraissé, regimbe; tu étais trop gras, trop replet, trop bien nourri et il abandonne le Dieu qui l'a créé, et il méprise son rocher tutélaire ! » (Dévarim 32.15) « Et le rocher qui t'engendra, tu le dédaignes, et tu oublies le Dieu qui t'a fait naître. » (Dévarim 32.18)
Tout se passe finalement, comme si l’inquiétude et la précarité matérielle rapprochait de D.ieu, alors que l’autosatisfaction et l’opulence éloignait. La nature humaine semble ainsi faite qu’elle parait parfois très faible pour faire contrepoids aux pulsions et aux sentiments liés à sa condition matérielle, à son orgueil et sa volonté de se montrer « comme maître et possesseur de la nature ».
La Torah porte toutefois le témoignage, envers et contre tout, que l’homme ne saurait se résoudre à être l’otage de ses pulsions et de ses instincts, mais qu’il est appelé à se hisser à une dignité beaucoup plus haute de maîtrise de son esprit et de ses pulsions. C’est ainsi qu’il peut œuvrer à l’élévation spirituelle du monde et de lui-même.
Notre tradition porte ce témoignage, cette confiance dans la grandeur de l’homme, depuis la première paracha de Béréchit où D.ieu interpelle Cain en ces termes « Pourquoi es-tu chagrin, et pourquoi ton visage est-il abattu? 7 Si tu t'améliores, tu pourras te relever, sinon le Péché est tapi à ta porte: il aspire à t'atteindre, mais toi, sache le dominer! » (Béréchit, 4.6) jusqu’aux versets de notre texte qui exhorte l’homme à s’attacher à la Torah afin d’accéder à une qualité de vie autrement plus profonde "Prenez à cœur toutes les paroles par lesquelles je vous admoneste en ce jour, et que vous devez recommander à vos enfants pour qu'ils observent avec soin toutes les paroles de cette doctrine. Car ce n'est pas pour vous chose indifférente, c'est votre existence même! Et c'est par ce moyen seul que vous obtiendrez de longs jours sur cette terre, pour la possession de laquelle vous allez passer le Jourdain." ( Dévarim, 32.46)
Aussi convient-il de méditer les conseils que Moise nous transmet à traverse cette paracha et qui sont susceptibles de nous aider à surmonter les écueils qui guettent la nature humaine, et à connaître un bonheur authentique.
Il convient tout d’abord de développer en soi une profonde gratitude envers l’Eternel pour toutes les bontés qu’Il nous donne. Aussi évident que cela peut paraître, ce sentiment n’est pas naturel et il n’habite pas l’homme à moins que ce dernier ne l’exprime verbalement et qu’il lui consacre un temps dédié chaque jour. C’est là une recommandation constante de nos Sages : remercier D.ieu, prendre la mesure de nos réussites, et de tout ce que nous possédons, et exprimer verbalement des louanges et des remerciements à l’Eternel.
Cette gratitude oblige en retour l’homme à être à la hauteur de ce que D.Ieu lui a donné. Certes, les bontés de l’Eternel sont bien souvent gratuites, et nous savons bien que nous ne sommes pas à la hauteur de pouvoir justifier par notre comportement tout ce que nous recevons dans tous les domaines.
Mais, à tout le moins, nous avons le devoir d’essayer de nous amender continuellement, de faire nos meilleurs efforts pour prouver à l’Eternel qu’Il est pleinement associé à notre vie. Nous devons poursuivre les bonnes actions que nous faisons naturellement et facilement, mais aussi rechercher toutes celle à côté desquelles nous passons, et que nous n’avons peut-être même pas encore en tête.
La fête de Souccot que nous nous apprêtons à célébrer peut nous aider dans cette direction en nous rappelant la précarité de la vie humaine et l’indispensable secours de D.ieu. En effet, lorsque nous résidons dans les cabanes de Souccot, nous ressentons tout particulièrement la fragilité de la vie, combien l’homme est peu de chose face à la nature. Les maisons, et le confort matériel qui nous donnent l’illusion de la maîtrise et de la stabilité s’effacent durant cette fête pour nous permettre de mesurer notre entière dépendance de la providence divine.
Par ailleurs, de même que l’homme doit développer en lui la gratitude, il doit aussi « prendre à cœur les paroles » de la Torah, selon les mots de Moïse. Et c’est là probablement, un des plus grands défis de l’aventure humaine.
En effet, nous avons tendance à considérer que le plus grand écueil qui menace l’homme est de ne pas avoir accès à la connaissance, ou à la sagesse. Or, bien souvent, l’homme y a accès, mais il ne les laisse pénétrer pas en lui, il y est indifférent, il ne les prend pas à cœur, il jette sur elles un regard froid et distant.
L’homme semble maintenir une distance qui le rassure car elle ne l’oblige pas, il opère une distinction permanente entre sa connaissance et sa volonté. Il sait ce qu’il devrait faire, mais il ne désire pas vraiment le faire.
Pour résoudre cette aporie, cet embarras a priori insoluble, il faut méditer ce conseil de notre paracha et « prendre à cœur » la Torah. Il s’agit de rendre notre compréhension non pas simplement intellectuelle mais aussi « émotionnelle », de prendre le temps de ressentir dans notre chair et dans notre cœur, pourquoi nous devrions accomplir la Torah, et plus particulièrement tel ou tel commandement.
C’est uniquement à ce prix que l’on pourra sortir du dilemme qui se présente bien souvent devant nous : « je veux » (mes désirs, mes pulsions) ou « je dois » (la sagesse, la Torah). Tant que les situations se présentent à nous de cette manière, c’est le « je veux » qui l’emporte (R. Benchetrit, R. Bloch). En effet, la dimension matérielle, animale, pulsionnelle de l’homme sécrète spontanément une énergie destinée à assouvir ses besoins (nourriture, colère, jalousie, oisiveté…).
Pour y résister et savoir canaliser ces passions, l’homme doit se construire intérieurement et développer un désir personnel, une envie intérieure irrésistible de servir D.ieu. C’est précisément en « prenant à cœur » la Torah que l’on peut espérer échapper à l’impasse du « je veux » face au « je dois », et lui substituer un face à face entre deux « je veux ». L’homme n’éliminera pas de suite les envies de son corps, les passions de son esprit, mais il pourra leur opposer un autre désir tout aussi fort : celui d’accomplir la Torah, la volonté de son Créateur et de coïncider ainsi avec son essence profonde, son âme. Y-a-t-il plus grand bonheur ?
Animés par des sentiments de gratitude, et portés par une Torah vivante en nous, nous pourrons comprendre les mots du merveilleux chant de David dans notre Haftara évoquant les ennemis extérieurs et intérieurs « Seigneur, tu es mon rocher et ma forteresse, un libérateur pour moi; Mon Dieu tutélaire en qui je m'abrite, mon bouclier et mon puissant sauveur, mon rempart et mon refuge; mon protecteur, qui m'assistes contre la violence! Gloire m'écrié-je à l'Eternel, qui me délivre de mes ennemis » (Samuel 2, 22.2-4)