« Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain. Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, son serviteur, sa servante, son bœuf, son âne, rien de ce qui appartient à ton prochain. » (Chémot 20,14)

« Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain. Tu ne désireras pas la maison de ton prochain, son champ, son esclave, sa servante, son bœuf, son âne ou tout ce qui appartient à ton prochain. » (Dévarim 5,18)

Dans le dernier des Dix Commandements de la Paracha de cette semaine, la Torah interdit de convoiter les biens de ses semblables – la Torah utilise le langage de « Lo Ta’hmod ». Lorsque les Dix Commandements sont répétés dans la Parachat Vaét’hanan, la Torah semble ajouter une autre interdiction ; « Lo Tit’avé », qui signifie littéralement « Tu ne désireras pas ». 

Le Ibn Ezra estime que l’interdit de Lo Ta’hmod concerne le désir en soi, même si l’on ne fait rien de concret pour acquérir l’objet.[1] Il pose ensuite une question de fond sur la Mitsva. Comment la Torah peut-elle interdire des sentiments ? Il serait tout à fait logique et compréhensible, par exemple, qu’une personne possédant une vieille voiture bon marché, soit jalouse de son collègue qui en a une neuve et luxueuse.

Le Ibn Ezra donne l’analogie d’un paysan et d’une princesse. Aucun roturier sain d’esprit ne pensera avoir une chance d’épouser une princesse ; il sait bien qu’elle est « hors-concours ». La nature humaine nous fait désirer des choses réalistes, auxquelles on peut s’identifier. Une personne sage sait que les gens n’acquièrent pas des biens et ne se marient pas avec telle ou telle femme en fonction de leur niveau intellectuel ou de leur sagesse, mais uniquement selon la volonté divine. Si un individu a une belle maison, une belle voiture ou une belle femme, c’est parce qu’Hachem sait que c’est ce qu’il y a de mieux pour lui. Et si quelqu’un d’autre ne reçoit pas toutes ces faveurs, c’est également dû à la volonté d’Hachem ; ce n’est pas ce qu’il y a de mieux pour lui. Par conséquent, la meilleure façon de ne pas convoiter, c’est de travailler sur la Émouna ; savoir que tout ce que l’on a provient d’Hachem, et tout ce que son prochain possède est également dicté par Hachem. Cela permet ainsi d’éviter de convoiter les biens d’autrui sans avoir à travailler et à refouler ses désirs naturels.

Voici une autre façon de répondre à la question du Ibn Ezra. Le Midrach[2] enseigne que les Dix Commandements sont répétés d’une certaine manière dans la Parachat Kédochim. On y trouve, par exemple, le verset « Je suis Hachem, votre D.ieu »[3] correspondant au premier des dix commandements. « Ne vous tournez pas vers les idoles et vous ne ferez pas de divinités en métal » [4] est une référence au deuxième, et ainsi de suite. Le parallèle avec le dixième commandement (Lo Ta’hmod) dans la Parachat Kédochim, on trouve le célèbre verset : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »[5] Comment comprendre le rapport entre les deux injonctions ?

Rav Issakhar Frand explique, au nom de Rav Sim’ha Zissel Broide : « Quand je vois que quelqu’un a une voiture ou une maison plus belle que la mienne et que je désire le même bien, l’émotion qui se cache derrière ce souhait n’est pas motivée uniquement par le désir de la voiture ou de la maison, mais par le sentiment que je vaux plus que lui, que je suis meilleur et qu’il est donc injuste qu’il ait quelque chose que je ne possède pas. En réalité, je pourrais très bien continuer de vivre avec mon vieux tacot, mais je suis dérangé par le fait que mon voisin ait quelque chose de mieux que moi ! Ce n’est pas une simple convoitise, c’est accepter que quelqu’un d’autre ait une chose que je ne possède pas. »

Si j’aime cet individu comme j’aime ma propre personne, alors sa belle voiture ne me posera aucun problème. D’ailleurs, la Guémara enseigne que l’on peut être jaloux de tout le monde sauf de ses enfants et de ses élèves. Rares sont les parents jaloux de leurs enfants. Pourquoi ? Parce que l’on aime beaucoup ses enfants et que l’on veut qu’ils réussissent dans la vie, encore mieux que nous. Si quelqu’un aime vraiment son prochain, il ne sera pas jaloux de lui. Ainsi, le moyen de surmonter la jalousie est d’aimer son prochain autant que l’on s’aime soi-même.

Ces deux explications prouvent qu’il est donc concevable de contrôler son désir et sa convoitise de ce qui appartient aux autres. Bon nombre de personnes convoitent, il s’agit d’un Nissayon courant, mais peu de gens tentent de faire pression sur leurs amis pour leur acheter leurs biens. Il faut donc savoir que l’interdit de convoiter ne se limite pas à exercer une pression sur l’individu pour qu’il vende l’article, mais aussi pour qu’il le prête ou qu’il le donne.[6] La Mitsva prend donc une ampleur bien plus importante, surtout chez les enfants. Ces derniers font presque quotidiennement pression sur leurs camarades pour que ceux-ci leur donnent de la nourriture ou leur prêtent des jouets. Les décisionnaires tranchent qu’il est permis de demander une ou deux fois, mais il est interdit d’en faire davantage. Il incombe donc à chaque parent dont l’enfant a atteint l’âge du ’Hinoukh [7] de lui apprendre qu’il s’agit d’un interdit de la Torah.

L’interdit de Lo Ta’hmod nous enseigne des leçons fondamentales sur notre attitude vis-à-vis du monde matériel et de nos frères juifs. 

Puissions-nous mériter de respecter cette Mitsva difficile dans son intégralité.

 

[1] D’après le Rambam, l’interdit de « Lo Tit’avé » consiste à réfléchir à des moyens de se procurer les biens d’autrui. Il estime que l’individu ne peut contrôler ses désirs, mais qu’il peut dominer sa pensée et éviter de réfléchir à des moyens d’acquérir les biens des autres. (Voir Choul’han Aroukh, ’Hochen Michpat, Siman 359, Séif 10.)

[2] Vayikra Raba 25,5.

[3] Vayikra 19,3.

[4] Vayikra 19,4.

[5] Vayikra 19,18.

[6] Rav Its’hak Berkovits statue ainsi.

[7] L’âge du ’Hinoukh varie selon les enfants et les différentes Mitsvot. Mais le principe général est qu’une fois que l’enfant est assez mûr pour comprendre l’interdiction, il a atteint l’âge du ’Hinoukh. En général, c’est approximativement à six ou sept ans.