« Moché dit aux enfants d’Israël : "Voici, Hachem a appelé par son nom Betsalel, fils d’Ouri, fils de ’Hour, de la tribu de Yéhouda." » (Chémot 35,30)
Moché Rabbénou précise au peuple qu’Hachem appela Betsalel par son nom, pour construire le Michkan. Le Midrach Tan’houma sur ce verset enseigne que chaque personne a trois noms : celui que ses parents lui donnent, celui que son entourage lui donne, et celui qu’il acquiert pour lui-même. En conclusion, il affirme que le prénom acquis par soi-même est le meilleur. Quelle est exactement la signification de ce Midrach et comment est-il lié au fait qu’Hachem appela Betsalel par son nom ?
Contrairement à d’autres langues, en Lachon Hakodech, les noms de personnes ou d’objets indiquent leur essence. La Torah raconte qu’Adam Harichon donna des noms aux animaux. Il ne donna pas un nom arbitraire à chaque animal, comme « chien » ou « vache ». Il fut capable de percevoir leur essence et de les définir. En effet, le mot « Chem », utilisé pour dire « nom », contient les mêmes lettres que le mot « Néchama, l’âme », car le nom de l’homme montre son essence.
Quand nos Sages affirment qu’une personne a trois noms, cela ne signifie pas littéralement que son prénom change, mais plutôt qu’il y a trois sources d’influences qui définissent l’essence d’un individu, à différentes étapes de sa vie. Après la naissance d’une personne, ses parents l’élèvent. Les parents forment ses traits de caractère pendant une partie de notre vie. Cela signifie que le « Chem » qui représente les qualités de l’âme implantées dans un enfant pendant les années où il est éduqué par ses parents est le premier « nom » qu’il reçoit. Les parents, les valeurs et les aspirations d’un enfant façonnent profondément les 10 à 15 premières années (environ) de sa vie.
Lorsque l’enfant atteint l’adolescence, tous les parents peuvent témoigner du fait que leur influence sur leur enfant commence à faiblir et qu’il est davantage marqué par son entourage. C’est le deuxième « Chem » de l’individu. Cela signifie que l’influence des amis sur la personnalité, les valeurs et la façon de penser de l’individu est essentielle à son essence. Les amis aussi, à une certaine étape de sa vie, définissent largement qui nous sommes.
Le Midrach ajoute toutefois qu’il faut finalement définir qui nous sommes, par nous-mêmes. Ainsi, le troisième et dernier nom de la personne est celui qu’elle se donne à elle-même. Ce nom est défini par ce que l’homme fait avec les dons, les talents et les traits de caractère acquis au cours de la première partie de son existence. Le Midrach conclut que le « Chem » le plus important est celui que l’on se donne à soi-même, c’est-à-dire ce que l’on devient, car c’est le seul nom à travers lequel une personne peut atteindre son plein potentiel, sans être encombrée par des influences extérieures.
Cette idée est magnifiquement mise en évidence par une explication du verset de Kohélet : « Un bon nom vaut mieux que de l’huile précieuse ».[1] Le roi Chlomo vante la valeur d’un bon nom en le comparant à l’huile. Le Séfer Acher Lichlomo[2] demande pourquoi un bon nom est comparé à l’huile et non à un autre liquide important, comme le vin ou le miel. Il explique que lorsque les autres liquides sont mêlés à de l’eau, ils se mélangent et ne restent pas séparés. En revanche, lorsque l’huile est ajoutée à un autre liquide comme l’eau, elle remonte à la surface et reste distincte. À l’instar de l’huile qui refuse d’être absorbée, l’individu doit affirmer son identité. Kohélet enseigne qu’une « bonne réputation » est le renom qu’une personne développe pour elle-même et elle est même meilleure que l’huile, puisqu’elle prouve que la personne a développé sa personnalité, qui n’est pas définie par les influences de la famille ou de la société.[3]
Pour revenir à Betsalel – il avait une ascendance illustre – il était un arrière-petit-fils de Myriam et un petit-fils de ’Hour. Pourtant, dans la Parachat Vayakel, il atteignit son propre niveau, un niveau personnel qui lui permit de construire le Michkan. Par conséquent, le Midrach qui parle de la bonne réputation vise le verset où Betsalel est appelé par son nom, indiquant qu’il atteignit son potentiel.
Prenons un exemple contemporain pour illustrer cette idée de jouer son rôle grâce à ses talents et ses aspirations : l’exemple de Rav Its’hak David Grossman. Né d’une prestigieuse dynastie rabbinique de Jérusalem, il aurait été naturel pour lui de suivre un chemin bien tracé de leadership et d’érudition. Cependant, en voyant le déclin spirituel de la jeunesse juive, il décida de faire tout son possible pour la ramener à sa source. Il se retrouva dans le quartier laïc de Migdal Haémek, obtenant même le surnom de « Rabbin de la discothèque », car c’est l’endroit où il trouva les jeunes. Grâce à cette empathie débordante, il fonda finalement « Migdal Or », un réseau d’écoles et de programmes de sensibilisation qui transformèrent des dizaines de milliers de vies. Ne cherchant pas à être défini par la réputation de sa famille ou par les normes de l’establishment religieux, il accéda à un niveau plus profond de son âme et son « nom » devint synonyme d’amour et d’empathie.
Puissions-nous tous mériter d’avoir un excellent « nom ».
[1] Kohélet 7,1.
[2] Acher Lichlomo, Iyoun 31, écrit par Rav Zéev Cohen.
[3] Selon cette explication, un bon nom devrait être équivalent à l’huile, et non meilleur que celle-ci. Alors pourquoi le verset affirme-t-il qu’un bon nom vaut mieux qu’une bonne huile ? Il est possible de proposer la réponse suivante. Le meilleur « nom » – celui qu’une personne développe elle-même – ne vient pas naturellement, mais on doit faire un effort intense pour trouver sa propre identité. En revanche, l’huile se sépare naturellement des autres liquides, sans faire d’effort spécial.