La deuxième des dix plaies envoyées aux Égyptiens fut celle des grenouilles – tsefardéa. Rachi rapporte la description qu’en font ‘Hazal ; au début, une seule grenouille émergea du fleuve et les Égyptiens tentèrent de la tuer en frappant dessus. Mais, au lieu de succomber, elle se transformait en essaims de grenouillettes à chaque coup, jusqu’en envahir le pays.[1]
Le Steipler zatsal soulève une difficulté majeure à ce sujet ; les Égyptiens virent dès la première fois qu’ils n’arrivaient pas à l’abattre. Plus que cela, ce sont leurs coups qui généraient cet effet inverse. Pourtant, ils continuèrent à la frapper à plusieurs reprises, et le seul résultat fut l’invasion de l’Égypte ! Pourquoi ne l’ont-ils pas compris ?
Le Steipler répond en expliquant comment la colère incite la personne à agir. Quand quelqu’un est offensé, il ressent un besoin de revanche et répond à son agresseur de manière incisive. Ce dernier rebondit et ressent lui aussi le besoin de répliquer ; on se retrouve vite dans un cercle vicieux où les représailles inutiles et les querelles généralisées n’ont que des conséquences dévastatrices sur toutes les personnes impliquées.
Dans le même ordre d’idées, quand les Égyptiens durent affronter cette grenouille menaçante, ils eurent le réflexe de frapper, et quand plusieurs grenouilles surgirent de la première, leur colère s’enflamma et ils voulurent se venger en la frappant davantage. Quand leur plan échoua, ils entretinrent cette réaction hostile, jusqu’à ce que l’Égypte soit envahie de ces animaux nuisibles.
Nous en déduisons l’effet dommageable de la colère, et à quel point elle pousse la personne à réagir de manière autodestructrice[2].
Il est intéressant d’analyser plus en détail les raisons d’une telle conduite. Quand un homme est offensé, il ressent un grand plaisir à réagir spontanément et à redresser celui qui a osé lui parler de la sorte. Par contre, après cette satisfaction instantanée, il doit affronter une réaction brutale qui entraîne des sentiments négatifs.
Logiquement, il aurait pu tirer leçon, reconnaître les dommages à long terme de son impulsivité et se maîtriser dans une situation semblable à venir. Mais ce n’est pas ce qui se passe ; dans la plupart des cas, il continue à tomber dans le même piège. Malheureusement, on s’habitue à se focaliser sur les résultats immédiats de ses actions plutôt que sur les répercussions à long terme. Il faut de gros efforts et beaucoup d’autodiscipline pour se départir de ce genre d’attitude pernicieuse.
Ce comportement problématique est présent dans de nombreux aspects de la Avodat Hachem.
Le Midrach Tan’houma fournit un exemple illustrant ce phénomène. Un homme vertueux dont le père était un alcoolique invétéré aperçut un jour un ivrogne se vautrer dans les égouts de la ville. Des jeunes spectateurs le frappaient et le traitaient de manière très dégradante. Quand le fils vit cette scène déplorable, il décida de faire venir son père, avec l’espoir que celui-ci se rendrait alors compte des effets dramatiques qu’entraîne l’alcoolisme. Que fit le père ? Il alla vers l’ivrogne et lui demanda chez quel marchand de vin il avait acheté sa bouteille ! Le fils choqué dit à son père qu’il l’avait amené pour qu’il prenne conscience de l’humiliation que cet homme était en train de subir et qu’il sache qu’il lui ressemblait quand il était aviné, en espérant qu’il arrête de boire. Son père lui répondit que son plus grand plaisir dans la vie était la boisson[3]. Il était très probablement conscient du tort que l’alcool pouvait causer, mais il était tellement préoccupé par le plaisir immédiat qu’il procure, qu’il en fut aveuglé et négligea ses dégâts.
Cette stratégie du yétser hara, qui cherche à troubler la personne quant aux conséquences négatives de son comportement sur le long terme, est très efficace pour entraver sa avodat Hachem. Que ce soit les réponses destructives, les accoutumances ou d’autres domaines, il est essentiel de régler ce problème si l’on désire réaliser son potentiel.
Pour commencer, nous devons réaliser, savoir (dans l’intellect) que ce genre de réaction, qui est devenue une seconde nature, est extrêmement nuisible. Si l’on prend l’exemple de la colère, il faut prendre conscience que le court plaisir que l’on peut ressentir après avoir crié sur sa femme, sur son enfant ou sur son ami est un bonheur illusoire créé par le yétser hara ; et il ne sert, par la suite, qu’à endommager ses relations.
La deuxième étape consiste à anticiper les situations de nissayon, avant qu’elles ne se présentent, afin de pouvoir préparer mentalement sa réponse sans se laisser emporter par les émotions, dans le feu de l’action. Ainsi, quand on sera offensé, on pourra faire preuve de sang-froid et ne pas se laisser aller à une irritation naturelle, car on saura que les cris ne feront qu’aggraver la situation.
Ce n’est pas chose facile, mais avec un peu d’espoir et de temps, on parviendra à intérioriser ce savoir et à réagir de manière calme et raisonnée. La plaie des grenouilles nous offre un enseignement vital quant à la nature destructrice de la colère et des réflexions sur le court terme.
Puissions-nous apprendre la leçon donnée par le Steipler et canaliser positivement nos réactions.
[1] Rachi Parachat Vaéra, Chemot, 8:2.
[2] Birkat Peretz, Vaéra.
[3] Midrach Tan’houma (fin de parachat Chemini), rapporté dans Si’hot Moussar, maamar 1, p. 4.