Le début du livre de l’Exode nous présente notamment les deux intermédiaires principaux de la libération d’Egypte : Moché et Aharon. Alors que la fraternité, comme nous l’avions vu, dans le livre de Béréchit est bien souvent conflictuelle, la relation entre Aharon et Moché est exemplaire, elle ne souffre d’aucun sentiment de concurrence ni de jalousie, à telle enseigne que le texte biblique les rassemble comme s’ils ne faisaient qu’un « C’est à Aharon et Moïse que D.ieu dit… » (Exode, 6-26).
A propos de ce verset, Rashi nous apporte la précision suivante « Parfois Aharon est nommé avant Moïse, parfois Moïse avant Aharon. Pour nous dire qu’ils sont équivalents ».
Ce rapprochement est renforcé par la présence du pronom hébreu « Hou » («Il » traduit ici par « C’est ») qui est un singulier alors qu’il a vocation à désigner à la fois Moshé et Aharon. Cette syntaxe étonnante est délibérée et souhaite attirer notre attention sur « l’union harmonieuse » (R. E. Munk) qui prévalait entre les deux frères. Bien qu’ils incarnaient chacun des fonctions éminentes, la transmission de la loi pour Moshé, la prêtrise et le service de D.ieu pour Aharon, ils gardaient un amour et un respect réciproques inaltérables.
Or l’harmonie, la paix, le « Chalom » sont des qualités extrêmement précieuses aux yeux de l’Eternel, qu’Il chérit tout particulièrement. Les plus grandes délivrances peuvent naître des efforts que les hommes font pour maintenir la paix autour d’eux.
Rapportons à cet égard, le très beau commentaire de Rabbi Ya'acov Abi'hssira, dans son ouvrage « Pitou’hé 'Hotam » (rapporté dans « La’hazot No’am Hachem »). Lorsque le peuple hébreu a été libéré d’Egypte, la tradition rapporte qu’ils étaient « 600 000 », or ce nombre correspond précisément à la Guématria de « Moché Ouaharon » qui s’élève à 601, l’unité supplémentaire étant symbolisée par le « Alef » de « Aharon », et qui peut également signifier « mille » (« Chèch Méot Alef » « 600 000 »).
C’est ainsi que le mérite de l’harmonie parfaite qui a prévalu entre Moché et Aharon a rendu possible la libération d’Egypte de tout le peuple d’Israël !
Le Rav Moché Feinstein s’est également interrogé sur la signification de cette équivalence, ce trait d’union apposé entre Moché et Aharon. Pourquoi les mettre sur un même pied d’égalité, et ne pas souligner plutôt les spécificités de chacun ? On aurait pu, par exemple, souligner la capacité prophétique extraordinaire de Moché Rabbénou d’une part, et d’autre part, louer l’amour et la recherche permanente de la paix chez Aharon.
Rav Moché Feinstein nous explique cette équivalence faite entre Moché et Aharon est porteuse d’une leçon fondamentale sur le mérite d’un homme, et sa valeur aux yeux de l’Eternel. Hachem désire, avant tout, qu’un homme fasse de son mieux. Tous les hommes ne naissent pas parfaitement égaux. Chacun est doté d’une sensibilité singulière, reçoit une éducation particulière, évolue dans un milieu intellectuel, social, économique spécifique qui façonne en partie sa perception du monde, et ses désirs. Face à cette grande diversité d’êtres humains, l’Eternel désire que chacun exploite les facultés qui se logent en lui pour Le servir de la meilleure façon possible.
Les hommes ne sont pas tous interchangeables, mais ils sont complémentaires. Le mérite d’un individu ne se mesure probablement pas, aux yeux de D.ieu, de manière absolue, mais de manière relative, en fonction de son point de départ, de l’éducation qu’il a reçue, de certaines facultés qu’il a pu développer…
Le rapprochement permanent opéré entre Aharon et Moché, leur mise sur un pied d’égalité, a vocation à nous rappeler que dès lors qu’un homme a fait de son mieux pour servir Hachem, il a le même mérite que les plus grands prophètes d’Israël.
Voilà pourquoi, observe Rav 'Haïm de Brisk, lorsque la Torah mentionne ce que Hachem a transmis par prophétie aux deux frères, elle mentionne Aharon en premier (« Hou Aharon oumoché », Ex. 6. 26), alors que c’est Moïse qui avait la plus grande prophétie et capacité à entendre ce que D.ieu leur dit, pour souligner qu’ils étaient équivalents devant l’Eternel ; et, inversement, lorsque la Torah mentionne ce que les deux frères ont dit Pharaon, elle mentionne Moïse en premier (« Hou Moché Véaharon », Ex. 6. 27), alors que c’était pourtant Aharon le porte-parole, pour souligner, ici encore, qu’ils étaient équivalents aux yeux d’Hachem.
C’est ainsi que nous pouvons constater, une fois de plus, que les relations familiales sont l’occasion pour la Torah de donner aux hommes de toutes les générations des enseignements dont la valeur est éternelle et qui dépassent la cadre de la famille. La fraternité n’est pas l’apanage exclusif des frères biologiques, elle a vocation, comme nous l’enseignent nos Sages de manière constante, à être le sentiment qui anime les relations entre chacun d’entre nous. Cet état d’esprit constitue, comme nous l’avons vu, rien de moins qu’une clef pour la délivrance.
La situation exceptionnelle que le monde traverse depuis plusieurs mois à présent et qui a ébranlé les relations sociales de manière inouïe, nous fait ressentir avec une acuité toute particulière à quel point nous sommes dépendants les uns des autres, et combien la solidarité, la bienveillance et la fraternité sont des valeurs fondamentales pour l’humanité.
Puisse l’Eternel nous permettre de parvenir à voir dans l’autre un « frère » et créer ainsi, chacun à niveau, des relations de paix et d’harmonie avec autrui.