Dans la Parachat Ki Tissa, nous lisons un dialogue étonnant entre Moché Rabbénou et Yéhochoua. Quand Moché revint des quarante jours passés sur le mont Sinaï, Yéhochoua, qui l’avait attendu en bas, entendit des bruits provenant du camp des Bné Israël et dit : « Il y a un bruit de guerre dans le camp ! »[1] Moché répondit : « Ce n’est pas le bruit de la victoire ni le bruit de la défaite ; c’est le bruit de la détresse (Anot) que j’entends. »[2]

La Guémara (Yérouchalmi, Taanit)[3] développe la réaction de Moché à la suite de la déclaration de Yéhochoua. Comprenant l’erreur de ce dernier quant aux émotions du peuple, Moché demande rhétoriquement : « Celui qui est destiné à diriger 600 000 personnes n’est-il pas capable de faire la distinction entre un cri et un autre ? » Quelle fut exactement l’erreur de Yéhochoua, et pourquoi cette faille fut-elle suffisamment importante pour justifier une réprimande aussi sévère ?

Yéhochoua eut du mal à saisir la situation. Il pensait que le peuple s’était engagé dans une bataille, alors qu’il se livrait à la faute du veau d’or. Rav Chimon Schwab va plus loin et explique que Yéhochoua comprit que le peuple commettait une faute. Quand il affirma qu’il y avait un bruit de guerre, il voulait dire que le peuple s’était tourné vers le veau d’or et en ce sens, qu’il menait une bataille contre Hachem. Il considéra très durement les actions du peuple et pointa du doigt leur comportement odieux.

Moché le reprit, déclarant qu’il ne s’agissait pas d’un bruit de guerre, mais d’un « Kol Anot ». Que signifie cette expression ? Rav Schwab explique que le mot « Anot » est lié au « Inouï », qui signifie affliction ou détresse. Certes, le peuple avait gravement péché, mais pourquoi avait-il agi de cette façon ? À cause d’une douleur et d’une confusion profondes. La cause première du ’Heth Haéguel fut l’idée que leur chef bien-aimé était mort. Les Bné Israël se sentaient entièrement dépendants de Moché ; il était l’intermédiaire entre Hachem et eux et ils craignaient d’être, dès lors, seuls dans le désert. Par désespoir, ils se tournèrent vers une autre source de leadership – une source qui ne mourrait pas – le Veau d’or. Ainsi, le Kol n’était pas un cri de victoire ou de défi, mais le cri lugubre d’un peuple perdu et anxieux.[4]

Il s’agit d’un enseignement profond sur l’importance de la perspective et du jugement d’un leader. Souvent, on voit une manifestation extérieure de la faute et l’on pense les pires choses à propos de la personne qui commet cette erreur. Moché montra à Yéhochoua qu’un leader doit regarder plus profondément. Il doit comprendre les causes profondes et réelles des actions d’une personne avant de réagir. Toute faute n’est pas un acte de défi ; parfois, c’est un appel à l’aide.

Cette idée est pertinente pour nous tous, même si nous ne sommes pas dirigeants d’une nation. Et elle concerne en particulier les parents et les enseignants, qui doivent savoir que lorsqu’un enfant agit de manière inappropriée ou lorsqu’un élève se comporte mal, la première question ne devrait pas être « Comment le punir ? », mais « D’où provient sa difficulté et comment puis-je l’aider ? » Les enseignants et les parents qui ont immédiatement recours à de sévères sanctions sans comprendre d’abord les difficultés de l’enfant risquent de l’éloigner davantage. Un enseignant dont l’élève a des difficultés ne doit pas supposer la défiance, mais doit chercher à comprendre ce qui le dérange.

L’histoire suivante illustre bien l’importance de cette Midda.

Un jeune étudiant en Yéchiva se mit soudainement à enfreindre le Chabbath, aux yeux de ses camarades. Les directeurs estimèrent qu’ils n’avaient d’autre choix que de le renvoyer de l’institution. Ils allèrent chez Rav Chakh pour avoir confirmation du bien-fondé de cette décision. Rav Chakh leur demanda si la paix régnait dans le foyer parental et quelle était la situation financière des parents du jeune homme.

Les directeurs de la Yéchiva, surpris par ces questions, demandèrent : « Comment pouvons-nous savoir ce qui se passe chez lui ? » Rav Chakh se leva d’un bond et s’écria, les larmes aux yeux : « Rodfim ! Sortez d’ici ! Je ne veux pas vous parler, vous ne savez pas quels sont les tenants et aboutissants, vous ne pensez pas à lui, ni à son avenir, tout ce que vous savez faire, c’est jeter ce Ba’hour à la rue ! » Après investigations, on découvrit que les parents du jeune homme avaient divorcé une semaine plus tôt, à cause de sérieuses difficultés financières !

Rav Schwab nous apprend qu’un leader ne doit pas considérer le comportement du peuple de manière superficielle, mais creuser jusqu’au cœur du problème. Un enseignant doit en faire de même avec ses élèves et un parent doit agir de la même façon avec ses enfants. Nous devons aussi apprendre à entendre non seulement les cris de méfaits, mais aussi les cris des Néchamot qui en souffrent.

 

[1] Chémot 32,17.

[2] Ibid. 32,18.

[3] Rapporté par Rav Issachar Frand.

[4] Bien évidemment, cela ne signifie pas qu’ils furent innocents. En effet, chacun fut puni en fonction de son implication dans la faute. Mais Moché enseignait à Yéhochoua qu’un leader doit comprendre pourquoi le peuple agit d’une certaine manière, surtout si ce comportement est étrange et sort de l’ordinaire.