Avec la Paracha de cette semaine, nous ouvrons le deuxième livre de la Torah, le livre de « Chémot » « l’Exode », qui narre notamment l’esclavage égyptien puis la libération miraculeuse et la construction du Michkan.
A travers la Paracha de cette semaine, nous assistons à la transformation rapide de la famille de Ya'acov, composée de 70 membres, en un véritable peuple. Et il est intéressant de constater que de nombreux enseignements nous sont transmis dans cette Paracha à travers ce qui se déroule dans la cellule familiale.
En effet, les premiers décrets de Pharaon hostiles au peuple juif s’attaquent aux familles et les mettent en péril. Nos Sages nous enseignent ainsi que, suite au décret de Pharaon de tuer les enfants garçons, ‘Amram, le grand sage de la génération, prit la décision de se séparer de son épouse, et il ordonna de faire de même à tous les couples, afin d’éviter de donner naissance à des enfants qui pourraient être tués (cf. Talmud de Babylone, Traité Sota, 12a).
Toutefois cette décision va révolter la propre fille de ‘Amram, Myriam, qui fit observer à son père que son décret était « pire » que celui du Pharaon, dans la mesure où ce dernier ne condamnait que les garçons, alors que la décret de son père empêchait même la naissance des filles.
Et, de fait, l’argument de Myriam a ébranlé son père qui est revenu sur son décret, l’a annulé et s’est remarié avec son épouse Yokhévèd. Rav Elie Munk fait observer que c’est précisément dans ce type de famille où la confiance en D.ieu l’a emporté sur les risques et les menaces de l’époque qu’est né Moché Rabbénou, le futur libérateur du peuple Juif.
Nous pouvons probablement élargir la leçon qui nous est transmise dans ces versets. La libération de l’esclavage trouve sa racine dans la capacité d’un homme à écouter les conseils de sa petite fille et de reconnaître, avec humilité, la part de vérité dont elle était porteuse et qui avait échappé aux adultes, même au plus grand de la génération. Beaucoup d’arguments auraient pu être opposés au raisonnement de Myriam, mais Amram a perçu, avant tout, la justesse de son indignation et son authenticité, et il ne s’est pas laissé enfermé dans une logique d’« autojustification ». C’est là précisément le signe des grands hommes, ne pas rechercher leur propre « honneur » mais rechercher avant tout la part de vérité dont l’autre est porteur et qui peut m’éclairer et compléter mon point de vue.
Or, ce que la Paracha vient nous rappeler, c’est que cette démarche d’humilité et d’écoute de l’autre se joue au quotidien dans la cellule familiale, entre un mari et son épouse, les parents et leurs enfants. La famille est une école de modestie et d’ouverture à l’altérité. En effet, appartenir à une même famille, comme chacun en fait l’expérience au quotidien, ne signifie pas l’homogénéité des points de vue et des sensibilités. Les relations avec les conjoints ainsi qu’avec les enfants permettent d’apprendre à se confronter aux différences et d’accueillir avec ouverture et bienveillance les avis divergents. De la capacité à réussir ces tests quotidiens dépend probablement la capacité à accueillir positivement la confrontation avec l’altérité en dehors de la cellule familiale.
Et, comme l’indique la Paracha avec la naissance de Moché Rabbénou, le futur libérateur, il s’agit d’une qualité si fondamentale qu’elle est à l’origine de la délivrance, la « Guéoula ».
Les Sages attirent également notre attention sur la manière dont la Torah évoque la naissance de Moché Rabbénou, en omettant les noms de ses parents et en indiquant uniquement « un homme de la tribu de Lévi alla et prit une femme de la tribu de Lévi » (Exode 2. 1). Le texte biblique omet délibérément de mentionner le nom de Amram et Yokhévèd afin de nous enseigner d’une part que cette naissance était prévue de toute éternité par le plan divin et qu’elle n’est pas liée à la personnalité de ses parents, bien qu’ils fassent partie d’une tribu prestigieuse (Maharal de Prague, Gvourot Hachem, rapporté par R. E. Munk). Et d’autre part, l’absence de ses noms et le contexte de la naissance de Moché Rabbénou nous invitent à traiter chaque enfant qui arrive au monde comme un « Moché Rabbénou » potentiel. Et, dès lors, à déployer le maximum d’efforts pour préserver la pureté de sa Néchama et lui donner la meilleure éducation possible.
C’est aussi, à la lumière de cette explication qu’il faut comprendre le stratagème mis en place par Myriam pour permettre à sa mère Yokhévèd d’allaiter son petit-frère Moshé. Les Sages du Talmud nous disent ainsi « la bouche qui va parler avec la Chékhina pourrait-elle absorber quelque chose de « Tamé », d’impur ? » (Traité Sota, 12). Aussi était-il primordial, pour préserver son potentiel spirituel, que ce soit sa propre mère, si vertueuse, qui l’allaite directement jusqu’à ce qu’« il grandit », qu’il puisse être suffisamment grand physiquement et spirituellement pour quitter sa famille sans être menacé par les influences extérieures néfastes. Sa mère a ainsi pu lui raconter l’histoire de sa famille, lui inculquer les valeurs morales héritées des Patriarches et lui donner la force de caractère nécessaire pour demeurer, même dans la palais de Pharaon, un Hébreu conscient de ses origines et imperméable à l’impureté qui régnait alors en Egypte.
Les Sages nous exhortent, à cet égard, à être vigilants, dans la mesure du possible, à ne pas déléguer toute l’éducation des enfants à des personnes ou des institutions tierces qui ne seraient pas porteuses des valeurs morales et spirituelles qui animent notre peuple.
En effet, l’éducation qu’un enfant reçoit lors de son enfance est bien souvent déterminante pour sa future vie d’adulte et lui permettre de mener une existence épanouie et fidèle à son héritage. « 'Hanokh Lana'ar 'Al Pi Darko, Gam Ki Yazkine Lo Yassour Miméno » « Eduque l’enfant selon sa voie, lorsqu’il grandira, il ne s’en écartera pas », nous dit le roi Salomon dans les Proverbes (22.6).
Puisse l’Eternel nous permettre de réussir dans cette voie, à cette époque où tout particulièrement les familles se retrouvent confinées entre elles, ont l’opportunité à la fois de faire l’expérience de l’altérité pour l’accueillir avec bienveillance, mais aussi de passer du temps avec les enfants et leur transmettre un héritage éternel.