La Paracha de cette semaine nous raconte la naissance de l’un des personnages les plus importants du peuple juif ; Moché Rabbénou. Mais ce récit est très insolite : « Un homme alla, de la maison de Lévi, il prit une fille de Lévi. »[1] La Torah évite de nous révéler l’identité des parents de Moché. Ce n’est que plus tard, qu’elle annonce vaguement qu’il s’agit d’Amram et de Yokhéved, qui étaient issus de la tribu de Lévi. Pourquoi la Torah évoque-t-elle la naissance de Moché Rabbénou de façon si singulière ?
Le Oznaïm Latorah[2] propose une réponse intéressante. Selon lui, la Torah nous véhicule ici un message fondamental. On pourrait penser que seul un illustre personnage peut espérer mettre au monde un enfant qui sera, à son tour, une grande figure. Certes, le père de Moché – Amram – était le Gadol Hador et sa mère – Yokhéved – était également très vertueuse, mais la Torah omet délibérément de nous mentionner leur identité, pour nous montrer que la possibilité d’élever un enfant qui deviendra un Gadol ne dépend pas forcément du statut des parents, mais de leur comportement et de leur volonté de vivre comme des Juifs pieux. Si la Torah avait signalé le nom des parents de Moché, dès le début de son histoire, on aurait pu penser que ce dernier n’est devenu le chef de la nation que parce que ses parents étaient Amram et Yokhéved. Or, ce n’est pas le cas. Même une personne « ordinaire » peut avoir un enfant Tsadik et il convient de donner à chacun une chance de devenir un Gadol.
Rav Yaacov Kamenetsky ajoute que lorsque Moché était bébé et qu’il fut récupéré par Batya, la fille de Pharaon, celle-ci demanda à une Égyptienne de le nourrir, mais l’enfant refusa de boire de son lait. Rachi en explique la raison ; plus tard, Moché allait « parler avec la Chékhina ».[3]
Le Rama statue qu’il faut éviter, autant que possible, de nourrir son enfant avec du lait d’une non-juive[4], et cette règle est tirée de l’incident susmentionné, avec Moché et la nourrice non-juive[5]. Mais comment peut-on calquer le cas de Moché à chaque enfant juif ? Tout le monde n’est pas apte à parler avec la Présence Divine… Il répond que chacun doit élever son enfant comme s’il allait atteindre ce niveau, comme s’il allait pouvoir parler avec Hachem, comme s’il allait devenir une grande personnalité.
Rav Tsvi Méir Bergman[6] pose la même question que le Rav Sorotskin et donne une réponse similaire, mais l’aborde sous un autre angle. L’approche de Rav Sorotskin vise à donner une leçon aux parents, tandis que Rav Bergman s’adresse à l’enfant. Il ne faut pas croire que l’on ne peut devenir un Gadol que si l’on est issu d’une famille de Guédolim, nous n’avons pas besoin d’une prestigieuse lignée pour devenir illustres. Chacun est capable d’atteindre de hauts niveaux, grâce à ses propres mérites et ses propres capacités. Il est vrai que ce fut le cas de Moché, mais la Torah désaccentue ce détail. Les parents de Moché sont laissés dans l’anonymat pour montrer que ce n’est pas son ascendance qui lui permit d’atteindre son niveau. Le Rambam écrit d’ailleurs : « Chaque individu peut devenir aussi vertueux que Moché. »[7]
Lors de la Brit Mila de chaque enfant juif, nous exprimons le souhait que « ce petit devienne grand ». On fait ici référence à la grandeur spirituelle, et non physique. Cela doit rappeler aux parents quelles aspirations ils doivent avoir. Il ne faut pas éduquer notre enfant à devenir un Juif « ordinaire », mais l’aider à devenir « grand ». Et il ne suffit pas de « vouloir » que son enfant atteigne de hauts niveaux, il faut lui tracer la voie, lui faciliter la tâche au maximum. On peut y arriver en se souvenant des mots de Rav Kamenetsky et en élevant chaque enfant comme s’il pouvait devenir un « Moché Rabbénou ».
[1] Chémot 2,1.
[2] Écrit par le Rav Zalman Sorotskin. Rapporté par Rav Issakhar Frand.
[3] Chémot 2,7.
[4] Rama, Yoré Déa, Siman 81, séif 7.
[5] Biour Hagra, Yoré Déa, 81, s.k 31.
[6] Rapporté par Rav Issakhar Frand.
[7] Michné Torah, Hilkhot Téchouva 5,2.