« Un nouveau roi se leva sur l’Égypte, qui ne connaissait pas Yossef. Il dit à son peuple : "Voici, le peuple des enfants d’Israël est [plus] nombreux et puissant que nous. Allons, agissons avec sagesse contre lui, de peur qu’il ne se multiplie ! Ce sera, quand surviendra une guerre, il se joindra lui aussi à nos ennemis, il guerroiera contre nous, il montera depuis le pays." Ils placèrent sur lui des chefs de corvées afin de l’opprimer avec leurs fardeaux… Et plus ils [les Égyptiens] l’opprimaient [le peuple juif], plus il se multipliait et s’étendait ; ils [les Égyptiens] furent dégoutés à cause des enfants d’Israël. » (Chémot 1,8-12).

Rachi explique que l’expression « ils furent dégoutés » signifie qu’ils détestèrent leurs propres vies.

L’asservissement du peuple juif commença quand les Égyptiens se mirent à redouter qu’il se joigne à leurs ennemis dans les guerres. De ce fait, ils décidèrent de soumettre les Juifs pour éviter qu’ils continuent à se multiplier. Mais leur projet échoua et le peuple juif continua de grandir. La Torah précise que dès lors, les Égyptiens « furent dégoutés à cause des enfants d’Israël ». Rachi explique que cette expression un peu vague signifie qu’ils furent écœurés par leurs propres vies. Le verset n’affirme pas qu’ils furent dégoutés des enfants d’Israël, mais à cause des enfants d’Israël. Cela signifie que du fait de leur haine à l’égard des Juifs, la vie des Égyptiens devint répugnante ; cette hostilité les consuma au point qu’ils détestèrent leurs propres vies. Cela semble difficile à comprendre. Comment la haine les Égyptiens rendit-elle leur vie si horrible ? N’était-ce pas les Juifs qu’ils détestaient et non eux-mêmes ?

Rav Bentsion Shafier propose une réponse intéressante, sur la base d’une Guémara[1] qui parle d’un sentiment négatif lié à la haine – celui de la colère. « Si quelqu’un est habitué à la colère, sa vie n’en est pas une et il n’est jamais content. » Ceci, parce que sa colère prend toute son énergie et tout son esprit – ses émotions et sa pensée. Il est incapable de passer à autre chose, parce qu’il est trop préoccupé par cette colère engendrée par un événement extérieur. Les flammes de son courroux brûlent tout sur leur passage et ravagent son esprit. D’autres personnes autour de lui en souffriront, mais qui en pâtira le plus ? C’est lui-même. Il ne peut profiter, jouir de la vie ; tous ses biens, toute sa famille ne valent rien parce qu’il n’est pas en paix avec lui-même. En bref, sa colère a ruiné sa propre vie.

C’est ce qui explique l’effet de la haine des Égyptiens à l’égard des Juifs. « Les Égyptiens étaient consumés par leur haine envers les Juifs. Ils marchaient avec cette musique en tête : "Je hais ces Juifs. Ces sales Juifs, squelettiques et dégoutants ! Ils sont répugnants, ils m’emplissent de rage !!" Et ce n’était pas juste une ou deux fois par semaine que les Égyptiens étaient amenés à rencontrer les Juifs. "Ils sont partout ! Sur la place du marché et dans les bains publics, dans l’écurie et dans la grange ! Chaque matin, quand je vais au fleuve, je les vois. BERKKKKK ! Je ne peux plus supporter ces Juifs abominables !!!" Et ainsi, tout au long de leurs journées, ils étaient tenaillés par la haine, l’inimitié, le dégout, au point que leur propre existence devint misérable. Les Égyptiens détestaient leurs propres vies. »

Ce concept ne semble pas limité à la haine ou à la colère. Plusieurs défauts et attitudes peuvent briser toute source de profit dans la vie d’un individu. C’est ce que nous enseigne la Michna dans Pirké Avot : « La jalousie, la recherche des honneurs et les désirs font sortir l’homme de ce monde »[2].

Qu’est-ce que cela signifie ? On peut expliquer simplement qu’une telle personne meurt jeune à cause de ses fautes ou bien qu’elle perd son Olam Haba. Mais on peut l’interpréter différemment – cet individu peut bénéficier d’une longue vie, mais celle-ci sera rongée par ses mauvais traits de caractère. Par exemple, celui qui est jaloux ne pourra profiter de rien, même s’il est très riche, parce qu’il passera son temps à se comparer aux autres et à se sentir inférieur à celui qui a plus que lui. Prenons l’exemple de Haman. Il atteignit d’incroyables nivaux, il était presque au sommet de la hiérarchie et possédait une richesse exceptionnelle ; il avait plusieurs enfants et fut même invité personnellement au  banquet privé entre le roi et la reine. Malgré tout, en voyant Mordékhaï qui s’entêtait à ne pas se prosterner devant lui, il affirma que tout ce qu’il avait ne valait rien tant que Mordékhaï ne s’inclinerait pas. Comment ce petit détail pouvait-il tant déranger Haman au point de ne jouir aucunement de tout son succès ? C’est parce que sa recherche des honneurs était si forte que toute faille lui causait une douleur indescriptible. Il ne pouvait pas profiter de la vie, parce que même quelqu’un de richissime ne peut jamais se sentir satisfait de ce qu’il possède dès lors qu’il a ce défaut (celui de la recherche des honneurs).

Pour résumer, les sentiments négatifs peuvent, au mieux, avoir des effets néfastes sur le bien-être de l’individu et au pire, détruire des vies. Cela se manifeste de différentes façons. L’une des situations les plus courantes est celle d’une personne qui subit une grande injustice à cause d’une négligence ou bien d’un acte délibéré à son encontre. Il serait humain que dans une telle situation, la victime veuille que justice soit faite. Cependant, il arrive trop souvent que celle-ci soit tellement prise d’une volonté de revanche que cela ronge toute sa vie. Il est généralement conseillé dans de tels cas, de renoncer à faire appel à la justice et de poursuivre sa vie[3].

Il nous arrive souvent de nous sentir frustrés ; par exemple quand nous nous levons en retard le matin ou que quelqu’un nous a mal parlé. Dans de tels cas, quand nous ne pouvons rien faire pour changer la situation, il vaut mieux traverser cette étape et passer à autre chose.

L’exemple des Égyptiens qui détruisirent leurs propres vies nous sert dons d’avertissement quant aux mauvais sentiments qui risquent de ruiner nos vies.

 

[1] Pessa’him 113b.

[2] Avot 4,21.

[3] Bien évidemment, nous savons que la vraie Justice est toujours faite, étant donné qu’elle provient d’Hachem. De plus de Séfer Ha’hinoukh explique que l’interdit de se venger est basé sur la conscience que tout ce qui arrive provient d’Hachem ; il est donc inutile de se venger, quand bien même la personne était en tort.