Avec la paracha de cette semaine, nous découvrons l’un des passages les plus emblématiques de l’histoire juive : la sortie d’Egypte et la libération de l’esclavage. A présent, le peuple doit faire l’apprentissage de la liberté et de l’autonomie. Il s’apprête à recevoir la Torah et est destiné à prendre possession de la terre qui lui a été promise par l’Eternel.
Comme le note le Rabbin Jonathan Sacks, il est intéressant de constater que la nature du discours de Moshe aux enfants d’Israël ne relève pas d’un éloge de la liberté après tant d’années d’oppression, il ne les entretient pas non plus des difficultés de l’exode qu’ils s’apprêtent à connaitre, ou encore, il ne leur adresse pas d’encouragements en leur décrivant le pays merveilleux dans lequel ils se rendent.
Non, la nature du discours de Moshé est autre, il semble préoccupé avant tout par le récit qui sera fait aux enfants, aux futures générations, de cet évènement.
Aussi, à trois reprises dans notre texte, Moshé évoque explicitement les enjeux de la transmission, et comment les adultes doivent s’efforcer de répondre aux enfants.
Et quand vos enfants vous demanderont : Que signifie pour vous ce rite ?, vous direz ... (Exode 12:26-27)
Et vous expliquerez à votre enfant ce jour-là : " C'est à cause de ce que le Seigneur a fait pour moi quand je suis sorti d'Égypte " (Exode 13:8).
Et lorsque ton fils, un jour, te questionnera en disant: "Qu'est-ce que cela?" tu lui répondras: "D'une main toute puissante, l'Éternel nous a fait sortir d'Égypte, d'une maison d'esclavage. (Exode 13:14)
Et, de fait, un enjeu essentiel de la tradition juive réside dans la transmission qui s’opère d’une génération à l’autre. Notre peuple est celui de la « mémoire » et de la lutte contre l’oubli. Il ne s’agit pas de braquer son esprit sur le passé, au détriment du présent, et dans l’insouciance du futur. Il s’agit plutôt de comprendre d’où l’on vient pour mieux appréhender notre situation présente et préparer notre avenir.
La tentation est grande chez les nouvelles générations de faire « table rase » du passé, de déposer les valises de l’histoire à l’entrée de sa vie afin d’écrire la sienne à partir d’une feuille vierge. On ne peut ignorer les arguments qui justifient une telle attitude : combien de traumatismes sont parfois transmis d’une génération à l’autre, parfois en sautant même une ou deux générations ! Combien de parcours de vie sont entravés par des fidélités inconscientes à un passé familial problématique !
Ces arguments sont vrais, ils ne peuvent être ignorés. Toutefois, la volonté légitime de ne pas être l’otage d’une histoire familiale parfois erratique, ne doit pas empêcher l’homme de pouvoir rattacher son histoire personnelle à la grande Histoire qui l’a précédée. Cette dernière n’est pas la somme des faits et gestes de ses ascendants, mais elle rappelle à l’homme le destin des générations dont il est issu, elle lui enseigne les valeurs portées par ses ascendants et elle l’exhorte à prendre sa part, à son tour, à cette chaîne de la transmission.
Or, précisément, Moshé souhaite ici souligner la nécessité de donner aux enfants une identité fondée sur leur histoire. Cette dernière a vocation à être transmise aux enfants à travers une mémoire porteuse d’enseignements moraux et spirituels, qui permettra également de donner aux nouvelles générations une éthique de la responsabilité fondée sur leur passé.
Des études récentes en psychologie ont ainsi montré tout le bénéfice que les enfants retiraient d’une éducation précoce à la spiritualité (Lisa Miller, The spiritual child, rapporté par R. J. Sacks). En effet, il s’agit d’une aspiration naturelle et spontanée chez les enfants qui sont portés dès leur plus jeune âge à s’intéresser au monde qui les entoure, aux mystères des origines. Ils questionnent ainsi leurs parents au gré du regard, souvent poétique et bienveillant, qu’ils portent spontanément sur le monde. Ils adhèrent naturellement aux valeurs morales, et sont rassurés par les rituels. L’enfant est naturellement et spontanément spirituel.
Les études montrent également que les familles qui répondent positivement et entretiennent cette aspiration spirituelle des enfants renforcent leur équilibre psychologique et les rend moins sujets, en grandissant, à la dépression, à l’agressivité ou aux conduites dangereuses.
Aussi, au moment précis où le peuple accède à la liberté, la Torah nous rappelle qu’il n’y a pas de liberté durable et authentique pour un peuple sans un souci porté aux plus jeunes et aux nouvelles générations. Il ne s’agit pas seulement de veiller à leur formation intellectuelle, mais également de se préoccuper de leur aspiration spirituelle.
La liberté individuelle s’acquiert également dans la relation apaisée entre parents et enfants, dans la transmission des valeurs, au premier rang desquels compte la présence bienveillante et protectrice de D.ieu à nos côtés. C’est là l’objet des questions que posent les quatre enfants le soir du Seder de Pessah et qui constituent une étape fondamentale du récit de la libération d’Egypte.
C’est ainsi que l’on permet aux enfants de faire l’apprentissage de la transcendance, mais aussi qu’on leur permet de faire une place à l’autre, de ressentir de la compassion et d’être porté par une force positive et constructive tout au long de leur vie.
Puisse l’Eternel nous permettre de maintenir cette chaîne de la transmission qui a cimenté notre foi et de nous préparer à la venue prochaine du Mashia’h !