« Il se leva cette nuit-là, il prit ses deux femmes, ses deux servantes et ses onze fils et traversa le gué de Yabok. » (Béréchit, 32:23)
Rachi explique sur les mots « Et ses onze fils » : Et où était Dina ? Il la plaça dans une malle qu’il ferma afin qu’Essav ne place pas son regard sur elle. Yaakov fut puni pour ceci ; parce qu’il la priva à son frère bien qu’elle ait pu le faire revenir vers une conduite vertueuse. Elle tomba par la suite entre les mains de Chékhem.[1]
L’auteur du Na’halat Yaakov note une contradiction entre ce commentaire et un autre, relatif à un précédent épisode de la Torah. Le Midrach raconte que lorsque Léa sut qu’elle était vouée à épouser Essav, elle pleura amèrement. Ses larmes et ses prières lui épargnèrent ce destin.[2] Pourtant, nous ne voyons nulle part qu’elle eut tort de ne pas désirer cette union. N’aurait-elle pas pu, elle aussi, l’influencer positivement et le mener à la Téchouva ?
Dina était plus à même d’influer sur le Racha (d’ailleurs, elle eut un impact positif sur Chékhem qui fut prêt à se convertir après avoir abusé d’elle). Elle avait un don naturel – que Yaakov aurait dû détecter – à rectifier le mal.
Le Targoum Yonathan nous informe qu’au départ, c’est Ra’hel qui était enceinte de Dina (et Léa attendait un septième garçon – Yossef), mais qu’à la suite de la prière de Léa qui se souciait de la honte de sa sœur[3] (qui risquait de mériter moins de tribus que les servantes), les fœtus s’interchangèrent : Léa donna naissance à Dina et Ra’hel accoucha de Yossef peu après.[4]
Dina et Yossef ont donc un destin lié. ’Hazal nous révèlent l’une des qualités de Yossef juste après sa naissance. Yaakov était resté chez son oncle Lavan durant de longues années pour échapper à son frère Essav. Mais dès la naissance de Yossef, il se mit en route pour Erets Israël. Ceci, car Yaakov sentit que Yossef avait la force de combattre le mal incarné par Essav. (D’ailleurs, à plusieurs occasions, nous voyons que c’est par le mérite des descendants de Yossef que le peuple juif vainquit les descendants d’Essav.)
Cette force innée chez Yossef provenait de sa mère, Ra’hel. Elle subtilisa les idoles de Lavan, afin d’empêcher son père de se livrer à l’idolâtrie[5]. Cela montre sa propension à éliminer le mal. Cette forme de Avoda est décrite comme « Sour Méra », sur la base du verset de Téhilim qui affirme : « Sour Méra Véassé Tov » c’est-à-dire, éloigne-toi du mal et fais le bien[6]. Il s’agit de deux approches dans le service divin ; l’une consiste à éviter le mal et à vaincre ses mauvais traits de caractère et l’autre, à se focaliser sur l’amélioration de ses qualités. Léa était plus portée par le « Assé Tov » et était donc moins disposée à vaincre le mal que Ra’hel. À leur tour, les descendants de Ra’hel étaient – plus que ceux de Léa – capables de combattre Amalek, personnification du mal.
Nous comprenons à présent pourquoi Dina était plus à même d’influencer positivement Essav que sa mère. Bien que fille de Léa, elle était également imprégnée du don de Ra’hel et pouvait donc aussi vaincre le mal. Mais sa façon d’y parvenir différait de celle de Yossef. Ce dernier pouvait éliminer le mal en le détruisant, tandis que Dina le transformait. (C’est dans cette intention qu’elle sortait voir les filles de son pays ; son but était de les rapprocher d’Hachem.) D’où la critique faite à Yaakov qui empêcha Dina de se marier avec Essav tandis que Léa n’est pas réprimandée de n’avoir pas voulu épouser ce mécréant.
Ainsi, il y a deux manières de vaincre les influences négatives qui nous entourent ; les détruire ou les rectifier. Le ’Hazon Ich écrit que de nos jours, la meilleure façon de réduire le ’Hilloul Hachem causé par l’éloignement de la Torah n’est pas de lui faire affront, mais plutôt de le transformer. Et pour y arriver, il faut montrer un regard positif à l’égard d’autrui et lui prouver que le mode de vie indiqué par la Torah est celui qui lui apportera la plus grande satisfaction. À notre époque, c’est la force de Dina – celle de corriger le mal – qui est la plus applicable.
[1] Béréchit Raba, 76:9, rapporté par Rachi, Béréchit, 32:23.
[2] Béréchit Raba, 70:15, rapporté par Rachi, Béréchit, 29:17.
[3] Guémara Brakhot, 60a.
[4] Targoum Yonathan, Béréchit, 30:21. La Maharcha propose la même explication dans ’Hidouché Haggadot, Nida, 31a., au nom du Paanéa’h Razi.
[5] Béréchit, 31:34.
[6] Téhilim, 34:15.