« Ya’acov demanda, il dit : "Divulgue, de grâce, ton nom !" Il dit : "Pourquoi donc t’enquiers-tu de mon nom ?" Il le bénit là-bas. » (Béréchit, 32:30)
Rachi commente ce verset : « Nous n’avons pas de nom fixe, nos noms changent en fonction de la mission pour laquelle nous avons été envoyés. »
Après la victoire de Ya’acov sur l’ange, ce dernier demande à Ya’acov quel est son nom et à la suite de sa réponse, l’ange lui annonce qu’on l’appellera désormais Israël. Ya’acov demande alors au Malakh son nom, mais celui-ci refuse de répondre et demande à Ya’acov pourquoi il lui pose cette question. Rachi explique que l’ange voulait dire que les Malakhim n’ont pas de noms bien définis, mais que ceux-ci dépendent de la mission qu’ils sont en train d’effectuer. Deux questions peuvent être soulevées à propos de cet épisode. Tout d’abord, pourquoi Ya’acov chercha-t-il à se renseigner sur l’identité de l’ange ? Et deuxièmement, nous savons qui était ce Malakh : ’Hazal nous précisent qu’il s’agissait de l’ange gardien d’Essav, également appelé Satan, et qui représente le Yétser Hara' (mauvais penchant). S’il en est ainsi, pourquoi affirma-t-il que son nom est modifié selon sa mission ?
Quand Ya’acov demanda à l’ange son nom, il n’essayait pas simplement de l’identifier. Il savait qu’un nom définit l’essence d’une chose. Il lui demandait donc quelle était sa nature. De cette façon, il espérait comprendre plus profondément le caractère du Satan et les défis qu’il lancera à ses descendants. Quand le Malakh lui répondit qu’il ne servait à rien de connaître son essence, c’est parce qu’il n’y a pas un seul aspect à combattre, pour vaincre le Yétser Hara'. L’ange laissait sous-entendre que par nature, il s’adapte aux circonstances et aux moments pour imposer un défi au peuple juif dans son ensemble et à chaque Juif en particulier, et ce, au fil des générations.[1] Parfois, il se présente sous forme d’idéologies dangereuses (comme l’hellénisme ou le communisme) et parfois sous forme d’avancées technologiques.
À un niveau plus individuel, la Guémara dans ’Houlin[2] fait allusion aux deux manières d’agir du Yétser Hara'. La Guémara rapporte une Ma’hloket (un débat) quant à l’apparence de ce Malakh. Un avis pense qu’il se présenta à Ya’acov comme un idolâtre et un autre avis estime qu’il avait l’apparence d’un Talmid ’Hakham (érudit). Rav Issakhar Frand précise que le Yétser Hara' peut prendre ces deux masques ; il n’a pas qu’une seule définition et un seul champ de bataille. Mais il nous faut tout de même saisir ce que ces deux manifestations représentent. L’aspect idolâtre que prend le Yétser Hara' n’est pas difficile à comprendre ; il nous incite à amenuiser notre Avodat Hachem en nous empêchant d’accomplir les Mitsvot, mais qu’obtient le Yétser Hara' déguisé en Talmid ’Hakham ?
Rav Frand répond sur la base de la Téfila que nous récitons le soir : « Retire le Satan de devant nous et de derrière nous. » Le « Satan de devant » fait allusion à ses tentatives de nous empêcher de faire les Mitsvot et le « Satan de derrière » est celui qui se tient parfois derrière nous et qui nous pousse à en accomplir. Qu’est-ce que cela signifie, comment est-ce possible ? Parfois, l’individu évolue et s’engage à mieux respecter les commandements de la Torah. C’est une grande chose et le Yétser Hara' est incapable de l’empêcher de progresser. Mais il ne reste pas non plus assis, les bras croisés, à laisser la personne agir à sa guise, sans entrave. Au contraire, il tente de l’inciter à changer trop vite et à transformer trop de choses à la fois, plutôt que d’adopter une approche sensée, visant une amélioration par étapes. D’ailleurs, il n’est pas rare que les Ba'alé Téchouva affrontent ce genre d’épreuves ; ils avancent trop vite et se sentent, à un certain moment, surchargés, accablés par leurs nouveaux engagements.
Le Yétser Hara' fait un effort particulier pour empêcher le Juif d’étudier la Torah, étant donné que c’est la base de toute notre 'Avodat Hachem. Pour certains, il lui suffit de les distraire de diverses façons, mais il peut également utiliser la méthode « derrière nous » en incitant l’individu à se surmener dans son étude au point qu’il se fatigue et tombe malade à cause d’un manque de repos. Certains Guédolim subirent cette épreuve et ils durent par la suite récupérer durant une période relativement longue, où leur étude ne pouvait plus se faire au même rythme. Après cette expérience, ils exhortent leurs disciples à veiller à ne pas aller trop loin, trop vite.[3]
Pour résumer, le Yétser Hara' n’a pas qu’une facette, il s’adapte aux moments et aux circonstances, et également aux individus. Il incombe à tout un chacun de mettre le doigt sur les domaines dans lesquels son Yétser Hara' agit avec le plus de force.
[1] Ce développement est basé sur les enseignements du Rav Issakhar Frand, au nom du Rav ’Haïm Dov Heller.
[2] ’Houlin 91a.
[3] Inutile de préciser que le but du Yétser Hara' en ce qui concerne l’Étude est de la laminer et l’affadir et non de nous inciter à mieux faire.