Il est écrit dans notre paracha Vayétsé (28, 22) : וְכֹל אֲשֶׁר תִּתֶּן לִי עַשֵּׂר אֲעַשְּׂרֶנּוּ לָךְ (Et tous les biens que tu m’accorderas, je veux t’en offrir la dîme).
A propos de ce verset, le Midrach écrit que Yaacov Avinou institua, pour lui et ses descendants, la règle de prélever la dîme sur les revenus ( תו"ס , Hadar Zékénim). Le récit suivant nous révèle la véritable dimension de cette pratique :
Rabbi Chemouël Hanaguid (993-1046), figure majeure de l’âge d’or du Judaïsme espagnol, occupait les fonctions de grand vizir et trésorier du royaume de Grenade. A la fois talmudiste, grammairien, poète et philosophe, il se distinguait en outre par sa générosité, sa droiture et sa haine du lucre. Aveuglés par la jalousie, les ministres du royaume, qui ne pouvaient supporter de voir un Juif accéder à un poste aussi prestigieux, répandirent la rumeur selon laquelle il aurait détourné les caisses royales en sa faveur. Le roi, qui connaissait la loyauté et la probité de son vizir, balaya ces accusations d’un revers de la main.
Mais les ministres, décidés à tout prix à le discréditer, dressèrent le bilan financier de la fortune colossale de Rabbi Chemouël, qui comprenait capitaux, troupeaux et biens immobiliers, et le présentèrent devant le souverain en arguant qu’une telle richesse provenait certainement du Trésor Royal. Cette fois, le roi fut contraint de convoquer Rabbi Chemouël Hanaguid au palais, et il lui ordonna de dresser l’inventaire précis de sa fortune sous quelques jours.
Le trésorier s’exécuta et présenta au souverain un bilan financier dont le montant s’élevait à à peine un dixième de son patrimoine réel. Fou de rage, le roi s’écria : « Est-ce là toute ta richesse ? Je sais pertinemment que tu possèdes bien plus que cela ! » Et Rabbi Chemouël de répondre : « Votre altesse ! Vous m’avez ordonné de dresser l’inventaire de « ma fortune », et c’est exactement ce que j’ai fait. Je vous ai présenté le bilan de « ma fortune réelle », à savoir la dîme que j’ai versée à des oeuvres caritatives et à des institutions de Torah et qui est conservée dans les mondes supérieurs où nul n’a de prise, comme il est écrit : "La justice et le droit sont la base de Ton trône" (Téhilim 89, 15).
Quant au reste des biens qui sont en ma possession, ils ne m’appartiennent pas vraiment, car si votre altesse désire me les confisquer, qui pourra l’en empêcher ? » En entendant ces paroles, le roi serra chaleureusement la main de Rabbi Chemouël, et le renvoya avec tous les honneurs.
A la lumière de ce récit, la déclaration de Yaacov Avinou se prête à une toute autre lecture : « Et tout ce que tu m’accorderas je veux t’en offrir la dîme » – ce qui m’appartient réellement n’est que ce que j’ai offert en dîme aux instituts de Torah et de charité.