La Haftara de cette semaine est issue du livre de Hochéa (Osée) qui est le premier prophète rapporté dans le livre des douze prophètes (« Tré Assar »). Son livre est assez court, même s’il est l’un des plus longs parmi les douze prophètes (14 chapitres), mais la figure du prophète Hochéa est marquante et restée célèbre dans la tradition juive pour différentes raisons.
Tout d’abord, la tradition nous enseigne que le prophète Hochéa avait atteint une grandeur spirituelle prodigieuse. Il était lui-même fils d’un prophète, Bééri, et nos Sages nous enseignent qu’il était plus « grand » que les trois autres prophètes qui vivaient à son époque, à savoir Isaïe, Amos, et Mikha (Talmud, traité Pessa’him, 87a).
Pourtant, Isaïe lui-même est comparé à Moché Rabbénou tant il était élevé, et on disait de lui que sa proximité avec Hachem était telle qu’il était comme un « habitant de la ville » habitué à voir le « Roi », alors que Yé’hezkel, un autre prophète éminent, était comme un habitant des villages. Et pourtant, Hochéa était plus grand qu’eux. Probablement, nous ne comprenons pas vraiment ce que cela signifie, mais simplement qu’il se joue dans sa prophétie des notions fondamentales pour le peuple juif et l’humanité.
Hochéa inaugure également une nouvelle période de la prophétie, car son livre s’ouvre avec les mots suivants : « Commencement de la parole de D.ieu adressée à Hochéa » (1.2), comme si, avec ce livre, s’ouvrait une nouvelle page de la prophétie en Israël, distincte de celle qui l’a précédée.
Hochéa est resté célèbre également pour certains évènements liés à sa vie personnelle. En effet, lorsque D.ieu lui fait part des errements du peuple Juif, il ne prend pas la défense immédiate des enfants d’Israël et va même jusqu’à suggérer à D.ieu de changer de peuple. Afin de lui comprendre l’affection que D.ieu ressent pour Son peuple, et l’impossibilité fondamentale de le substituer à un autre, Hachem va lui faire vivre personnellement une situation similaire. Ainsi, il devra épouser une femme de petite vertu qui lui donnera des enfants, puis on lui demandera de répudier son épouse. Hochéa signifiera alors la difficulté qu’il éprouve à répudier la mère de ses enfants, et Hachem lui fera toucher du doigt qu’il Lui est également impossible de rejeter Ses enfants, furent-ils infidèles.
Cet épisode, interprété par nos Sages de différentes manières, a valu à Hochéa la réputation d’être « davantage soucieux de l’honneur du père (D.ieu) que celui du fils (Israël) », contrairement au prophète Yona qui souhaitait préserver l’honneur d’Israël, quitte à refuser la mission que lui confiait Hachem.
Rappelons également qu’il est issu de la tribu de Réouven, et qu’il a vécu dans le Royaume d’Israël. Ce dernier regroupait les 10 tribus du Royaume du nord, et avait fait sécession des tribus de Yéhouda et Binyamin qui incarnaient le Royaume de Judée. Le Royaume d’Israël était à cette époque rongé par l’idolâtrie qui avait été introduite à l’origine par les Rois d’Israël. Et, précisément, Hochéa va reprocher au fil de son livre leur mauvaise conduite à ses contemporains, les exhorter à y mettre un terme et à se rapprocher de D.ieu. Il ne cesse de rappeler au peuple Juif que D.ieu conserve tout Son amour pour Ses enfants, et qu’Il attend simplement leur repentir et leur retour vers une Avoda(Service divin) authentique.
Trois Haftarot sont tirées du livre de Hochéa dont celle fameuse du Chabbath Chouva, le Chabbath du repentir entre Roch Hachana et Yom Kippour.
Liens entre la Haftara et la Paracha
Tout d’abord, d’un point de vue factuel, la Haftara évoque la figure de Yaakov et son antagonisme avec son frère Essav. Cette opposition est à l’origine du départ de Yaakov de Béer Chéva pour ‘Haran afin d’échapper à la colère de son frère et qui constitue la trame de fond de notre Paracha.
De même, la Paracha évoque la nuit passée par Yaakov près du Mont Moria où il fera le fameux rêve de l’échelle qui relie la terre au ciel. A son réveil, saisi par la Présence divine qu’il ressent fortement en ce lieu, il donnera à cet endroit le nom de Beth El. C’est précisément cette localité qu’évoque également la Haftara pour y dénoncer cette fois l’idolâtrie qui l’entachait, notamment en raison de la statue en forme veau que Jéroboam y avait placé.
Enfin, d’un point de vue global, notre Haftara peut se lire en contrepoint de la Paracha. Le texte de la Torah fait l’éloge des qualités de cœur, d’honnêteté et de proximité permanente avec Hachem de Yaakov, en dépit de l’hostilité et du mauvais exemple que lui montrait Lavan. Après 20 ans à son service, Yaakov n’avait pas changé, il avait gardé sa foi intacte, il n’avait rien pris de Lavan et l’avait servi avec intégrité. La Haftara nous montre, quant à elle, un visage plus sombre du Royaume d’Israël (désigné également comme Ephraïm), qui succombe à la tentation de l’idolâtrie, et rompt avec les qualités morales de son prestigieux ancêtre : « Ephraïm m'a obsédé de mensonge, et de duplicité, la maison d'Israël. » (Hochéa, 12-1)
A l’honnêteté profonde de Yaakov, font échos les stratégies commerciales frauduleuses dénoncées par Hochéa. « Le Cananéen manie des balances frauduleuses, il aime pratiquer le dol. Ephraïm aussi a dit : "Pourvu que je m'enrichisse, que j'acquière la puissance !" Quel que soit le fruit de mes peines, on ne surprendra chez moi aucun méfait, rien qui soit une faute. » (Hochéa, 12,8-9)
Tout au long de ses pérégrinations et de sa vie, Yaakov ne rechercha que le soutien d’Hachem et Sa protection. Hochéa reproche au Royaume d’Israël sa confiance vaine dans les alliances passées avec les puissances environnantes. « Ephraïm se repaît de vent, et court après les rafales de l'Est ; sans cesse il entasse la fraude et la violence. Ils font alliance avec Achour, et des cadeaux d'huile sont portés en Egypte » (Hochéa, 12-2)
L’écho de la Haftara
La lecture de la Haftara, et sa mise en parallèle avec la Paracha, ne peuvent laisser le lecteur indifférent. Alors que la Torah nous rappelle la vocation spirituelle fondamentale de Yaakov, et à travers lui du peuple d’Israël, le texte de la Haftara nous montre, de son côté, à quel point le peuple Juif peut s’en éloigner. Ce combat pour rester proche d’Hachem et Le servir d’un cœur entier et authentique est un enjeu permanent pour chacun, et il n’est jamais gagné d’avance. Il exige de chacun une volonté forte et une conscience aigüe de la grandeur à laquelle il peut prétendre, mais aussi une détermination et une exigence de chaque instant pour y parvenir, sans succomber aux chimères attrayantes de la modernité.
Hochéa ne dit pas autre chose au début de notre texte lorsqu’il évoque l’hésitation fondamentale d’Israël à retourner vers Hachem et à assumer sa vocation spirituelle. « On a beau les inviter à regarder en haut, ensemble ils refusent de s'élever. » (Hochéa, 11-7)
Le potentiel enfoui en chaque être humain ne demande qu’à être actualisé, mais il peut rester enfoui toute une vie si l’homme ne se met pas en mouvement et n’initie pas un retour authentique vers Hachem. Cet épanouissement spirituel doit faire l’objet d’un partenariat entre D.ieu et l’homme. L’Éternel loge en chacun de nous une force spirituelle particulière et irremplaçable qui nous appelle à accomplir une mission unique, mais il appartient à l’homme de s’en saisir pour l’exploiter et la rendre concrète.
Si l’homme n’assume pas cette vocation spirituelle, il doit savoir qu’il peut tomber très bas, D.ieu nous en préserve. Comme le décrit la Haftara, le vol, le mensonge, les alliances sans lendemain menacent d’emporter le peuple Juif dans un cercle vicieux destructeur.
Nos deux textes nous rappellent également que les lieux où règnent la Kédoucha (la sainteté) font l’objet d’un combat acharné du Yétser Hara pour l’y déloger, et lui substituer, D.ieu nous en préserve, l’impureté. L’exemple de Beth El est suffisamment éloquent pour l’illustrer parfaitement. Ce lieu qui signifie « la maison de D.ieu » consacré à Hachem par Yaakov, y deviendra, à l’époque d’Hochéa, une capitale de l’idolâtrie.
Et bien sûr, n’oublions pas que le lieu le plus saint qui existe sur terre est sans aucun doute le cœur de l’homme. Cette sainteté éminente qui se loge en chaque homme fait l’objet de multiples assauts du Yétser Hara, qui ne manque pas d’imagination pour convaincre l’homme de délaisser son aspiration spirituelle authentique, et se laisser séduire par le doux chant des sirènes des illusions modernes.
Ce combat n’est pas facile et chacun connaît son lot de difficultés. Mais l’étude régulière de la Torah, la lecture des textes de la tradition comme ces versets d’Hochéa, doivent nous permettre de garder confiance et espoir dans les capacités merveilleuses de l’homme et dans le soutien indéfectible qu’apporte Hachem à ceux qui Le recherchent. Il suffit que l’homme veuille se rapprocher de l’Éternel et qu’il commence à se mettre en mouvement, chacun à son niveau, pour qu’il constate des miracles prodigieux et une aide providentielle inouïe.
« Oui, l'Éternel, le D.ieu-Cébaot, l'Éternel est son titre. Ô toi, reviens donc au sein de ton D.ieu, sois fidèle à la bonté et la droiture, et espère en D.ieu constamment. » (Hochéa, 12, 6-7)
Puissions-nous avoir le mérite de vivre toujours aux côtés d’Hachem et de nous renforcer dans les actes de bonté et de justice, afin d’assister prochainement à la délivrance finale et à la venue du Machia’h !