Une fois la terrible épreuve de la Akéda surmontée, Hachem promet à Avraham qu’il aura une descendance très nombreuse. Cette bénédiction en inclut une autre, celle « d’hériter des portes des ennemis », à laquelle Hachem ajoute que les graines [les descendants] d’Avraham seront bénies. Le Méchekh ’Hokhma[1] propose une interprétation novatrice concernant ces deux promesses.
Pour apprécier l’explication du Méchekh ’Hokhma, il convient de parler préalablement d’une idée fondamentale évoquée par les commentateurs. Il existe un principe connu selon lequel « Maassé Avot Siman Labanim » — les actes et événements concernant les Patriarches préparent le terrain pour la suite de l’histoire juive. Par exemple, les épreuves que dut affronter Avraham en Égypte renfermaient en eux les événements qui survinrent au peuple juif durant l’esclavage d’Égypte. Les commentateurs vont plus loin et expliquent que les actes des Patriarches imprégnèrent leurs descendants de certains traits de caractère nécessaires durant l’exil. Prenons l’exemple de la capacité surhumaine de Messirout Néfech qui caractérisa la nation juive à travers l’histoire. Les Juifs furent prêts à sacrifier leur vie et celle des membres de leur famille pour rester loyaux à la Torah. Quand on voit une telle force, on pourrait se demander en quoi la Akédat Its’hak est considéré comme un acte si grandiose ; de « simples juifs » furent capables de faire la même chose ?! En réalité, c’est justement grâce à l’acte héroïque d’Avraham lors de la Akéda que le peuple juif a eu ce courage. Ce fut une épreuve incroyablement difficile et en la surmontant, il inculqua en nous – ses descendants – la force de traverser d’autres tribulations similaires.[2]
Le Méchekh ’Hokhma ajoute qu’Avraham transmit une autre qualité à travers cette action. Pour effectuer la Akéda, il dut réprimer sa nature bienveillante et miséricordieuse et faire preuve d’un trait de caractère inverse ; celui de cruauté. C’est généralement considéré comme un défaut qu’il n’est jamais approprié de manifester. Mais ce n’est pas vrai. Le Méchekh ’Hokhma explique que cette épreuve avait également pour but d’accorder à Avraham et à ses descendants la faculté de se montrer cruel en certaines occasions. Cela s’avèrera utile pour la Mitsva d’anéantir les sept nations cananéennes et Amalek. Sans une certaine dose de cruauté, le peuple n’aurait pas pu accomplir ces commandements. Ceci explique la bénédiction faite à Avraham, ses descendants hériteront « des portes de leurs ennemis », du fait qu’il fût disposé à agir cruellement ; c’est ce qui inculqua chez ses enfants la capacité d’être impitoyables quand il le faut.
Mais ceci peut s’avérer très problématique ; le fait d’agir avec dureté en certaines occasions représente un danger, car les actes extérieurs d’un individu affectent inévitablement son intériorité. Ainsi, les actions d’Avraham risquaient de rendre ses descendants cruels, même sans que ce soit nécessaire. La promesse finale d’Hachem (que la descendance d’Avraham sera bénie) servit à neutraliser ce souci. En effet, écrit le Méchekh ’Hokhma, bien que ses descendants hériteront de ce trait de caractère – la cruauté –, ils ne l’utiliseront que de manière bénie, c’est-à-dire pour accomplir la volonté divine, toujours de façon appropriée.
Cette idée est également évoquée à propos de la Mitsva de détruire la Ir Hanida’hat[3], la ville d’idolâtres. La Torah affirme : « Il te donnera la miséricorde ». Les commentateurs[4] expliquent qu’après un acte d’une telle cruauté (celui de détruire toute une ville), l’être humain devient naturellement plus « méchant ». Et pour contrebalancer cette conséquence négative, Hachem promet qu’Il accordera une dose supplémentaire de miséricorde aux individus qui effectueront cette Mitsva, pour qu’ils ne soient pas négativement affectés par l’accomplissement de la volonté divine. Le Méchekh ’Hokhma ajoute qu’en d’autres occasions encore, le peuple aura besoin de ce trait de caractère (la dureté) et l’acte d’Avraham implanta en nous cette force. Et comme pour la Ir Hanida’hat, Hachem promet que l’acte « cruel » ne rendra pas le peuple juif malveillant dans des situations inappropriées.
Sachant que les Mitsvot d’anéantir les autres nations ne s’appliquent pas de nos jours, cet enseignement est-il pertinent dans notre quotidien ? Il existe des situations où l’on doit agir avec une certaine dose de « cruauté », au moins sur le court terme. Comme le dit le proverbe : « Qui aime bien châtie bien », c’est-à-dire que c’est aimer vraiment quelqu’un que d’essayer de corriger ses défauts. L’exemple le plus typique que l’on pourrait donner est celui des parents obligeant un enfant qui hurle de douleur à recevoir une piqûre ou à laisser un dentiste examiner sa bouche. N’importe quel parent compatissant avouera qu’il s’agit d’une expérience douloureuse, mais il lui faut agir avec cette « cruauté » (c’est cruel dans le sens où cela fait momentanément mal à l’enfant). Bien sûr, il s’agit en réalité d’un acte bienveillant puisqu’il aide l’enfant sur le long terme, mais un parent excessivement miséricordieux pourrait se sentir incapable de faire preuve de « cruauté » pour cette bonne cause. De même, un parent doit parfois faire quelque chose que l’enfant considère comme cruel – par exemple, rompre une certaine amitié, l’empêcher d’acheter un certain jeu, etc. C’est évidemment pour son bien, c’est fait par gentillesse, mais il faut savoir être « cruel » pour réussir à ignorer les supplications désespérées de l’enfant. La bénédiction faite à Avraham indique que nous serons capables d’utiliser ce trait de caractère quand nécessaire et à ne pas le manifester quand c’est inadéquat.
[1] Méchekh ’Hokhma, Béréchit, 22:17-18
[2] Entendu du Rav Issakhar Frand, au nom de Rav ’Haïm de Volozhin
[3] Dévarim, chap. 13
[4] Voir Or Ha’haïm, Dévarim, 13:18.