« Ya'acov déchira ses vêtements, et il mit un sac sur ses reins. Il porta le deuil de son fils pendant de nombreux jours. Tous ses fils et toutes ses filles se levèrent pour le consoler [mais] il refusa d’être consolé, il dit : "Car je descendrai en deuil vers mon fils, dans la tombe !" Son père pleura pour lui. » (Béréchit 37, 34-35)
Rachi explique les mots « Son père pleura pour lui » : Its’hak pleurait à cause de la peine de Ya'acov, mais il ne s’endeuilla pas, parce qu’il savait que Yossef était vivant.
En entendant que son fils était présumé mort, Ya'acov s’endeuilla profondément pendant une très longue période. Le verset nous précise ensuite que son père (Its’hak) pleura pour lui, information qui nous semble superflue. D’après Rachi, Its’hak Avinou pleurait pour la peine endurée par son fils Ya'acov. Its’hak savait que Yossef était vivant, mais il savait aussi qu’il ne pouvait pas révéler ce secret à Ya'acov parce qu’il était lié au serment des frères de ne dévoiler à personne cette information. C’est pourquoi la Torah nous dit qu'Its’hak a pleuré, et non qu’il s’est endeuillé. Il pleurait à cause de la douleur et de la peine de Ya'acov qui pensait Yossef mort. Le Gour Arié ajoute qu’Its’hak ne pleurait que lorsqu’il était en présence de Ya'acov (sinon, il agissait normalement).
Le 'Hidouché Lev parle de cette attitude et demande pourquoi Its’hak ne pleurait pas également quand il n’était pas en présence de Ya'acov.[1] Nous en déduisons qu’à certains moments, nous devons partager la peine de l’autre, mais parfois, ce n’est pas le comportement adapté. Pourquoi ? Parce que nous sommes tenus de servir Hachem dans la joie et de toutes nos forces. Si nous nous concentrons constamment sur la peine des autres, nous serons incapables de le faire.[2] Par conséquent, Its’hak fixa certains moments pour compatir à la douleur de Ya'acov et il ressentait alors véritablement sa peine, au point de pleurer avec son fils. Mais quand il le quittait, il ne pensait pas à la douleur de Ya'acov et se concentrait sur sa 'Avodat Hachem personnelle.
Nous devons émuler Its’hak et essayer de partager complètement la peine d’un Juif qui souffre, quand nous sommes à ses côtés. Mais il nous faut continuer de vivre… On ne peut jamais être complètement avec la personne qui souffre, mais on peut réserver un temps fixe pour penser à sa peine et partager sa douleur autant que possible. Par contre, le reste du temps, il faut s’efforcer de vivre normalement.
Cette leçon est malheureusement très pertinente, en période actuelle. Nous vivons un moment de grande souffrance de l’ensemble du peuple juif ; plus de mille Juifs ont été tués, plus de deux cents Juifs sont tenus en otage par notre ennemi maléfique. Outre la souffrance des victimes, il y a celle de leurs proches et de leurs amis qui reste indescriptible. Bon nombre d’entre nous ne sont pas directement liés à ces personnes et après le choc initial causé par les affreuses nouvelles, nous avons tendance à reprendre notre routine et à nous habituer à la situation. L’enseignement du ’Hidouché Lev nous montre qu’il nous incombe de passer un peu de temps, chaque jour, à penser aux autres et à essayer, d’une manière ou d’une autre, de partager leur souffrance. Toutefois, il n’est d’aucune utilité de passer tout notre temps à se morfondre en pensant à leur peine, car cela entrave notre capacité à vivre normalement, voire à leur venir en aide quand cela est possible.
Puissions-nous mériter la prompte Rédemption.
[1] De toute évidence, le but n’est pas uniquement de montrer de l’empathie, mais de ressentir réellement la douleur d’autrui, même si cela ne l’aide pas directement.
[2] On raconte que Rav ’Haïm Chmoulewitz était tellement sensible à la douleur de l’autre que lorsqu’il apprenait la mort d’un Juif, il pleurait pendant plusieurs heures, sans pouvoir se concentrer sur son étude. Ses proches faisaient tout pour qu’il n’entende pas de mauvaises nouvelles.