La Paracha de 'Hayé Sarah a ceci de spécifique qu’elle nous présente le premier « Chidoukh » de l’histoire, la première rencontre entre un jeune homme et une jeune femme en vue de se marier. Mais, attention, les tenants du « romantisme » moderne seront déçus : point de coup de foudre, point de stratégie de séduction, point de déclaration enflammée… La Torah semble vouloir attirer notre attention sur autre chose, et notamment sur la clef d’un mariage heureux et donc de l’amour : le raffinement de ses qualités de cœur.
Pour illustrer ce propos, la Torah va nous proposer, dans cette Paracha, une galerie de portraits féminins vertueux qui, associés à des maris vertueux, ont donné lieu à des mariages bénis.
La première figure féminine qui apparait dans notre texte est évidemment celle de Sarah qui donne son nom à notre Paracha. Bien qu’elle se nomme « La vie de Sarah », celle-ci débute sur le départ de Sarah de ce monde à l’âge de 127 ans, épelé dans la Torah non d’un trait « 127 ans » mais « 100 ans, et 20 ans et 7 ans ». Rashi ne manque pas de s’interroger sur cette structure nominale étonnante et propose l’explication suivante « Pourquoi le mot « an » est-il répété à trois reprises ? C’est pour te dire que chaque nombre exige une explication : à cent ans, elle était comme à vingt, sans péché. De même qu’elle était sans péché à vingt ans, parce qu’irresponsable de ses actes, de même l’était-elle à cent ans. Et à vingt ans, elle était aussi belle qu’à sept (Beréchit Rabba 58). » (Genèse, chap.23 – 1).
C’est ainsi que notre Paracha s’ouvre sur l’immense vertu de la matriarche Sarah qui a formé avec Avraham Avinou un couple extraordinaire tant par sa dimension spirituelle que par la bonté qu’ils ont prodiguée autour d’eux. Rav Moché Feinstein fait objet que même la mention de la beauté de Sarah à 20 ans témoigne de sa vertu. En effet, le texte compare cette beauté à celle d’une enfant de 7 ans pour laquelle la notion de séduction ne s’applique pas mais qui est le signe de sa pureté, de son innocence, de son authenticité sans fard. Or, c’est précisément cette même beauté qui se dégageait de Sarah et que percevait son mari.
Cette remarque permet d’ailleurs de mieux comprendre l’exclamation d’Avraham envers Sarah, alors qu’ils arrivaient en Egypte : « Maintenant, je sais que tu es une femme belle ». Est-il possible qu’Avraham ignorât que sa femme était belle ?
En réalité, il n’avait perçu que la beauté pure et innocente de Sarah, sa vertu, qui était le ferment de leur couple, mais il n’avait pas perçu, ou tout au moins, il n’était pas obsédé par sa beauté physique, en tant que vecteur de séduction. Ce n’est que face à au désir de convoitise des gardes égyptiens qu’Avraham a pris la mesure de la deuxième beauté de Sarah, sa beauté physique.
La Torah souligne ainsi que, contrairement à ce que l’on peut croire a priori, ce qui rend belle une femme à son mari, et inversement, ce ne sont pas uniquement la géométrie parfaite de tous leurs traits physiques, c’est avant tout l’harmonie qui se dégage de leur âme et la vertu qui empreint leur comportement. Inutile de préciser combien la beauté physique d’un homme ou d’une femme est très vite oubliée lorsqu’elle est assortie d’un caractère détestable, ou de mœurs dévoyées…
Cette analyse nous permet de mieux comprendre la suite de la Paracha qui nous décrit les critères établis par Avraham, puis Eli'ézer, pour rechercher une épouse pour Its'hak. Leur quête est uniquement animée par des considérations morales et spirituelles : s’éloigner des peuples pervertis, idolâtres, se rendre dans la famille d’Avraham, rechercher une personne capable de 'Hessed non seulement vis-à-vis des hommes mais aussi des animaux…
Finalement, le couronnement définitif de cette union interviendra à la fin de notre Paracha lorsque Its'hak fera entrer Rivka dans la tente de sa mère et qu’il constatera que les trois miracles qui prévalaient du temps de sa mère étaient réapparus : la bénédiction sur les bougies, sur la pâte et la nuée au-dessus de la tente. Its'hak sut alors que la mission spirituelle entamée par Sarah pourrait être poursuivie par son épouse, Rébecca.
Nos maîtres nous font observer l’ordre des mots empruntés par la Torah pour décrire l’amour qui nait entre les époux : « [Isaac] épousa Rébecca, elle devint sa femme et il l’aima ». Contrairement au coup de foudre qui apparait de manière subite et disparait parfois aussi vite, l’amour véritable est bien souvent le fruit d’un cheminement patient et exigent qui permet aux âmes de trouver progressivement dans l’autre le partenaire idéal pour parachever leur construction personnelle et s’épanouir.
Notre texte s’achève en notant que « Its'hak a pu ainsi être apaisé » après avoir constaté les miracles qui ont accompagné l’entrée dans la tente de Sarah. Le Rav de Brisk s’interroge : « Pourquoi fallait-il attendre ces derniers miracles pour que Its'hak soit apaisé alors que toute cette rencontre est émaillée de miracles plus incroyables les uns que les autres » ? En réalité, explique le Rav de Brisk, la valeur des miracles est « en suspens » tant qu’ils ne sont pas couronnés par l’expression d’une grandeur morale, d’un raffinement des « Midot », des traits de caractères, des vertus individuelles. C’est là pourrait-on dire le sceau que l’Eternel pose sur les miracles qui émaillent la vie des hommes , et qui leur donne toute leur force. Voilà pourquoi, Its'hak n’a pu être apaisé qu’à partir de ce moment.
Enfin, si l’on voulait conclure cette galerie de portraits, nous pourrions mentionner le mariage de Avraham avec Kétoura, qui n’est autre qu’Agar. Pourquoi la nomme-t-on Kétoura ? Ecoutons ce que nous dit Rachi à cet égard : « Son nom est Kétoura en référence à la grande vertu de ses actions qui étaient semblables aux offrandes « Kétorèt ». En effet, elle n’avait connu aucun homme depuis qu’elle avait quitté Avraham ».
Là encore, ce sont les vertus morales qui sont au cœur de l’union entre le Patriarche et Agar/Kétoura.
Comme nous l’avons compris, l’amour authentique ne nait pas au gré du hasard des rencontres de la vie, ou bien d’une grâce physique particulière. Il est le fruit d’une harmonie profonde entre les époux rendue possibles grâce à des qualités de cœur et de générosité mutuelles.
Le Rav Dessler explique merveilleusement que les relations entre les hommes, et notamment au sein du couple entre les hommes et les femmes, sont menacées par la tentation égoïste de « prendre » de l’autre un maximum afin de satisfaire son plaisir personnel, alors qu’elles devraient être guidées par la volonté de « donner ». Les hommes pensent qu’ils donnent à ceux qu’ils aiment, nous dit Rav Dessler, alors qu’en réalité on aime ceux à qui on donne. Le don n’est pas la conséquence de l’amour, il en est la cause ! Voilà pourquoi, la relation amoureuse authentique est certes une aventure exaltante faite de grandes joies et de désir mutuel, mais aussi une construction lente et patiente.
Rav Dessler conclut ainsi : « Soyez vigilants, mes chers amis, pour garder vivant en vous ce grand désir de donner plénitude et bonheur l’un à l’autre. Car sachez bien qu’au moment où vous commencerez à avoir des exigences l’un envers l’autre, votre bonheur ne sera plus qu’un souvenir » (Mikhtav Méeliahou).