Cette Paracha nous présente les cinq filles de Tsélof’had[1], qui décéda sans avoir eu de fils. À cette époque, la Torah avait établi que seuls les garçons pouvaient hériter des terrains de leur père. Ainsi, quand les Juifs entrèrent en Erets Israël, ces orphelines n’étaient pas censées obtenir de parcelle de terrain dans le pays. C'est pourquoi elles se rendirent chez Moché Rabbénou avec une requête. Elles demandèrent de recevoir le lopin de leur père. À première vue, cette demande n’a rien d’extraordinaire, mais en réalité, elle revenait à demander à Hachem de réformer les lois de la Torah ! C’est incroyablement audacieux, cela frôle même l’insolence, puisque cela signifie en quelque sorte qu’Hachem a oublié de mentionner ce cas quand Il donna la Torah ! Plus étonnant encore, Hachem accepta immédiatement leur requête et enjoignit à Moché Rabbénou de modifier la Loi et de permettre aux filles d’hériter d’un terrain s’il n’y a pas de fils.
Ce ne fut pas la première fois que des Juifs vinrent voir Moché avec des requêtes saugrenues et intrépides – des demandes d’ajouts dans la Torah. Dans la Parachat Béha'alotékha, un groupe de gens qui avaient été incapables d’approcher le Korban Pessa’h en son temps dirent à Moché : « Nous sommes impurs par une âme d’homme [mort], pourquoi serions-nous diminués ["lama nigara"] en n’offrant pas l’offrande d’Hachem en son temps parmi les enfants d’Israël ? »[2] Hachem accepta leur argument et institua une nouvelle fête, celle de Pessa’h Chéni, afin de donner à ces personnes une deuxième opportunité d’accomplir la Mitsva, puisque le manquement à cette dernière fut contre leur gré.
Notons que dans les deux épisodes, les demandeurs emploient un mot en commun – gara (diminuer). Ils affirment rater injustement quelque chose sans qu'ils n’en soient coupables. Toutefois, il existe une différence de taille entre les deux épisodes. Dans la Parachat Béha'alotekha, les hommes demandaient de pouvoir accomplir une Mitsva tandis que dans Parachat Pin’has, les filles de Tsélof’had réclamèrent un lopin de terre. Rachi[3] souligne que les intentions de ces dernières provenaient également de leur amour pour les Mitsvot et non de leur désir de s’enrichir. Il explique qu’elles aimaient la Terre sainte et voulaient en recevoir une part. L’emploi du même mot fait peut-être allusion au fait que les filles de Tsélof’had éteint motivées par la spiritualité, tout comme les hommes qui étaient impurs à Pessa’h. Dans les deux cas, Hachem accepta tout de suite et avec joie d’exaucer leurs requêtes audacieuses et n’hésita pas à ajouter des Mitsvot à la Torah.
Quelle fut la clé du remarquable succès de ces deux demandes ? Bien évidemment, on ne peut jamais savoir pourquoi Hachem répond parfois positivement et parfois négativement à nos prières, mais ces deux événements nous aident à comprendre le secret des prières efficaces. Dans les deux cas, la requête n’était pas égoïste, mais provenait d’un désir ardent d’accomplir le Ratson Hachem – offrir un Korban ou recevoir une part en Erets Israël. Hachem veut que nous effectuions Sa volonté et que nous nous rapprochions de Lui, donc quand nous faisons une telle demande sincèrement, quand on implore : « Laisse-moi accomplir Ta volonté », les chances qu’Il réponde par l’affirmative sont bien plus grandes que si nous avions supplié : « Exauce mon souhait ».
’Hanna est un parfait exemple de l’idée développée. Le verset affirme qu’elle alla prier au Michkan Chilo pour mériter d’avoir un enfant : « L’âme remplie d’amertume, elle pria devant [al] Hachem et pleura longtemps. »[4] La Guémara[5] souligne l’emploi inhabituel de l’expression « al Hachem », au lieu de « el Hachem », qui aurait semblé plus logique. Elle précise que ’Hanna pria « Klapé Maala », et le Néfech Ha’haïm explique qu’elle pria « pour l’honneur d’Hachem », en faveur de Celui qui siège Au-delà. Elle ne supplia donc pas d’être épargnée de sa souffrance personnelle, mais implora pour la douleur d’Hachem face à ses propres épreuves.
Le Doudaïm Bassadé[6] affirme également que l’intention de ’Hanna était Léchem Chamaïm ; elle ne demanda pas d’avoir des enfants pour en éprouver de la satisfaction, mais pour que ceux-ci servent Hachem. Sa promesse de « donner son fils à Hachem pour tous les jours de sa vie »[7] le prouve bien. Elle souhaitait consacrer toute la vie de son enfant à la Avodat Hachem. D’ailleurs, elle tint son engagement et envoya son enfant servir Éli, le Cohen Gadol à Chilo depuis son plus jeune âge. Ainsi, elle renonça au Na’hat qu’un parent éprouve habituellement en éduquant son enfant, parce que son but était l’honneur d’Hachem. En récompense, elle mérita que son fils devienne l’un des plus grands Avdé Hachem (serviteurs d’Hachem), son niveau est comparable à celui de Moché et Aharon.
Ces trois exemples montrent des prières pures, récitées par d’illustres personnages, et qui furent exaucées. Bien entendu, il est très difficile d’atteindre un tel niveau de pureté dans nos prières, mais il ne faut pas pour autant se démoraliser si l’on n’arrive pas à avoir de telles intentions. Rav ’Haïm de Volozhin écrit, dans son commentaire sur les Pirké Avot, que même si celles de la personne ne sont pas Lichma, elle doit au moins avoir la volonté d’en arriver au Lichma. Cela signifie qu’elle doit désirer accomplir les Mitsvot avec de bonnes intentions, même si elle n’est pas encore à ce niveau. Dans le même ordre d’idées, Rav Akiva Tatz estime que dans nos prières, nous devons demander à Hachem de « vouloir vouloir pour les bonnes choses ». Par exemple, si quelqu’un souhaite une bonne Parnassa, il doit demander à Hachem de l’aider à vouloir une Parnassa qui le stimulera dans sa Avodat Hachem.
Puissions-nous tous mériter de prier de la meilleure façon possible.
[1] Bamidbar, chap. 27.
[2] Bamidbar 9,7.
[3] Bamidbar 27,1.
[4] Chmouël I 1,10.
[5] Brakhot 31b.
[6] Rapporté dans Michbetsot Zahav, Chmouël I, p. 28.
[7] Chmouël I 1,11.