Il est intéressant de remarquer qu’autour de la Paracha des bénédictions de Bil’am, trois personnages sont actifs, de façon différente mais significative, et il apparaîtra, en fait, qu’ils symbolisent les trois dimensions de l’homme. Ces trois personnages sont Balak, le roi de Moab, Bil’am, le personnage inspiré, et Pin’has, le fidèle, animé de l’esprit divin. Chacun de ces personnages représente une dimension de l’individu, de la personne humaine.
Balak, le roi, apparaît craintif. Il place sa confiance en Bil’am, dont il connaît les dons spéciaux, car il sait que « celui que tu bénis est béni, et celui que tu maudis est maudit » (Bamidbar 22, 6). Balak est certes passif et naïf, car il croit en la puissance réelle de Bil’am ; il exécute ses directives, mais constate, consterné, que ses exhortations à la malédiction ne sont pas écoutées. Balak représente le « vox populi », le « marais » – c’est-à-dire ceux qui sont influencés par les circonstances. Il voit un peuple spécial, il a peur et fait appel à quelqu’un, de plus qualifié que lui, et dont il sollicite le secours. Sa faiblesse, sa naïveté, en font un personnage négatif, qui tend au mal.
Quant à Bil’am, il représente le savant, l’intellectuel, qui se croit tout-puissant, grâce à sa science ; cependant le savant doit prendre conscience de ses limites, de son insuffisance. Sa faiblesse, c’est dans sa relation avec son ânesse qu’elle apparaît, et le voilà contraint de reconnaître la supériorité de l’ânesse qui a pu voir ce que lui-même ne voyait pas. Dans ses trois discours prononcés publiquement, il ne peut que bénir le peuple d’Israël, même s’il le fait à contrecoeur. Mais, en cachette, le Midrach rapporte que c’est lui qui donne le conseil à Balak de débaucher le peuple d’Israël – « Leur D.ieu, dit-il à Balak a en horreur la débauche. Excite-les à la débauche, et cela répondra à tes desseins. Leur D.ieu les punira » (Rachi, dans Bamidbar 24, 14 et 25, 1). Le représentant de l’intellectualisme, c’est-à-dire de la supériorité de l’homme sur les pulsions bestiales, conseille la débauche ! En dehors de sa faiblesse devant l’ânesse, en dehors de son impuissance à désobéir à D.ieu, cet encouragement à l’inconduite traduit la faiblesse de l’homme face à ses passions. Il aurait, certes, voulu maudire Israël, mais il ne le PEUT pas.
Pour Pin’has, c’est évidemment l’inverse. L’enthousiasme, le zèle qui l’habite font de lui le représentant de l’humanité qui s’attache délibérément à la transcendance, à la sainteté de la vie. Respect d’abord pour son maître – auquel il évoque la gravité de la faute – et ensuite violence de l’acte, destinée à corriger la portée de la violation qui est commise. La récompense de cette violence se situe précisément à l’envers proportionnel de la faute : « alliance de paix ». Pin’has, par son action extrême, a rétabli un équilibre, que le péché avait détruit. De ce fait, Pin’has est le personnage qui symbolise la sainteté, la pureté dans le monde.
Il est intéressant de relever que le Netiv (descendant du Rav Haïm de Volozine), dans son livre Haamek Davar – Commentaire sur la Torah – explique que les 3 fils d’Adam – Caïn, Hével et Séth – parallèlement aux 3 fils de Noa’h – ‘Ham, Yéfeth et Chem – représentent, eux aussi, 3 groupes d’humains : le plus matériel, influencé par ses pulsions animales, ensuite, l’homme réfléchi supérieur à la bête, capable de penser et de construire, mais qui reste vain (Hével, exprime en hébreu la vanité), et enfin le 3ème, Sèth, puis Chem, représente la relation avec la transcendance. Ces 3 dimensions se retrouvent, avec des nuances, chez Balak, Bil’am et Pin’has. Dans son Commentaire sur la Torah, Nahmanide (Vayikra 1, 6) explique que ces 3 dimensions sont, en fait, les 3 degrés de l’intériorité de l’être humain : le niveau élémentaire, bestial, le Néfech mû par les pulsions physiques, le niveau intellectuel, le Roua’h, qui se traduit par la pensée et s’exprime par la parole, et le niveau le plus élevé, la Néchama, qui permet la proximité avec la divinité, c’est-à-dire avec D.ieu
Retrouver ces trois niveaux autour des prophéties de Bil’am nous invite à bien prendre conscience de nos responsabilités, à chaque génération. Il ne s’agit pas de supprimer les exigences physiques qui sont légitimes, mais il importe d’apprendre à les diriger, et à les orienter. De même les facultés intellectuelles peuvent élever l’homme (si Yéfeth se situe dans les « tentes de Chem »), et conduire à toutes sortes de progrès, mais risquent d’être vaines (c’est Caïn qui « tue » Hével) et dangereuses. La 3ème étape, celle de Pin’hass, doit nous mener vers la sainteté, c’est-à-dire vers l’utilisation féconde de l’élément naturel. Chemin ardu, semé d’obstacles, mais qui doit mener, même dans ce monde matériel, aux vraies satisfactions, selon l’explication des Sages sur le verset : « Heureux seras-tu et tu t’en porteras bien » (Tehillim 128, 2), « heureux dans ce monde, et bonheur dans le monde futur » (Pirkei avot 6, 4).