Parachat Matot. Les Bné Gad et Réouven demandèrent à Moché Rabbénou la permission de rester sur la rive est du Jourdain, car il y avait suffisamment de terrains pour nourrir leurs grands troupeaux. Moché répondit par une sévère réprimande – sa critique principale portait sur le fait qu’en n’entrant pas en Erets Israël, ils délaisseraient leurs frères lors de la prochaine conquête. Il leur rappelle longuement, et sur un ton sinistre, l’incident des explorateurs et ses terribles conséquences. En réponse à la désapprobation de Moché, les Bné Gad et Réouven promettent de se joindre au reste de la nation pour la conquête de la terre. ‘Hazal ajoutent que Moché les réprimandait implicitement d’avoir mentionné leurs troupeaux avant leurs enfants, indiquant que leurs priorités étaient mal définies ; ils auraient dû se focaliser d’abord sur leurs enfants avant de se soucier de leurs bêtes.
Le Midrach souligne que plusieurs années plus tard, les tribus de Gad et Réouven furent les premières exilées, du fait qu’ils aient souhaité rester « Méever Hayarden »[1] et rapporte un verset de Michlé : « Un héritage souillé dans sa source ne saurait être béni dans sa suite. »[2] Rachi[3] explique que ce verset se réfère aux Bné Gad et Réouven qui agirent imprudemment en se dépêchant de prendre la terre Méever Hayarden en premiers, et cette impétuosité leur valut un exil précoce.
Ainsi, nous apprenons qu’en plus des mauvaises priorités concernant leurs enfants et leurs troupeaux, les Bné Gad et Réouven furent également imputés de ce trait de caractère – la fougue. Celui-ci se retrouve chez Réouven, dans Parachat Vayichla’h, quand il transféra la couche de son père[4]. Qui plus est, Yaacov retira à Réouven les trois privilèges qui lui revenaient en tant que premier-né – la royauté, la prêtrise et la double part due à l’ainé.
Le Chivté Israël[5] remarque un dénominateur commun entre les tribus de Gad et de Réouven[6]. Il souligne qu’ils sont tous deux ainés de mères et que les premiers-nés ont tendance à agir impétueusement, du fait de leur statut. Ils ont l’habitude de recevoir les choses en premier, il leur est donc plus difficile d’attendre. C’est pourquoi ils réagirent de cette manière. Les autres tribus étaient prêtes à patienter et à voir la magnifique terre qui leur était réservée de l’autre côté du Jourdain. Mais les Bné Gad et Réouven, en voyant tant de pâturages sur la rive est, se précipitèrent et dirent : « Prenons cela ! » ’Hazal critiquent cette attitude.
Le Chivté Israël ajoute que l’impétuosité de ces tribus leur couta une Mitsva annuelle. La Michna nous enseigne que l’on ne peut pas apporter des Bikourim (prémices des fruits) depuis Ever Hayarden. Le Mé Chiloa’h précise la signification des Bikourim ; l’agriculteur passe une année entière à travailler son champ, et à attendre que les fruits poussent. Quand ils apparaissent enfin sur les arbres, l’agriculteur pourrait vouloir les cueillir rapidement. La Torah lui enjoint de donner d’abord les premiers fruits au Cohen ; il doit attendre avant d’en profiter personnellement. Donc, l’un des messages véhiculés par la Mitsva des Bikourim est de développer la patience. Il se peut, écrit le Chivté Israël, que ceux qui résidaient Néever Hayarden n’eurent pas le droit d’apporter les Bikourim à cause du défaut qui les fit rester là-bas – l’impatience, vice que les Bikourim sont censés neutraliser
Il est intéressant de noter que l’un des personnages les plus pernicieux de la Torah nous enseigne une leçon sur l’importance de la patience et sur le fait d’éviter de prendre des décisions imprudentes. Kora’h est décrit par ’Hazal comme « Pikéa’h »[7] (perspicace) et Rav Issakhar Frand analyse cet adjectif. Quand on examine l’histoire de Kora’h, une difficulté peut être soulevée : ’Hazal affirment que si Kora’h entama une telle Ma’hloket (dispute) contre Moché, c’était à cause de sa déception de voir Elitsafan ben Ouziel nommé Nassi de la tribu de Lévi, alors qu’il était lui-même plus âgé[8] ; il pensait que ce titre lui revenait. Or ceci se passa bien avant que Kora’h ne s’insurge contre Moché et ne l’attaque. Pourquoi a-t-il attendu tant de temps ? Kora’h réalisa qu’il serait très difficile de convaincre le peuple de se révolter contre Moché et il comprit qu’il aurait plus de chance de réussir si les gens étaient déjà un peu insatisfaits. C’est ce qui se produisit après l’épisode des explorateurs, quand il fut décrété quarante ans d’errance dans le désert à cause de leur faute. C’est ce moment que Kora’h jugea propice pour semer la discorde. C’est pour cela qu’il est qualifié de « Pikéa’h » — un Pikéa’h ne prend pas de décisions hâtives, il attend le moment opportun, qui lui garantit un maximum de réussite.[9] Malheureusement, la perspicacité de Kora’h fut utilisée incorrectement, mais ceci n’annule pas l’exemple que l’on peut en tirer, qui contraste avec la décision impétueuse des Bné Gad et Réouven.
Puissions-nous développer les qualités de patience et de perspicacité.
[1] Midrach Tan’houma, Mattot 5.
[2] Michlé 20:21.
[3] Ibid.
[4] Voir Parachat Vayichla’h, 35:22.
[5] Rapporté par Rav Issakhar Frand.
[6] Ceci s’applique également à la moitié de la tribu de Ménaché, qui s’installa aussi de l’autre côté du Jourdain.