« Kora'h prit… » (Bamidbar 16,1)
Rachi tente d’expliquer la raison de la rébellion de Kora’h. Celui-ci fut jaloux de la principauté d’Elitsafan ben Ouziel, que Moché nomma prince d’après la Parole divine. Kora’h se dit : « Mon père fut l’un des quatre frères du père de Moché. Amram était l’aîné et ses deux fils furent grandis ; l’un devint roi (Moché) et l’autre est Cohen Gadol (Aharon). Étant donné que je suis le fils du second frère (Itshar) après Amram, je suis apte à recevoir ce titre ! Or, il nomma le fils du plus jeune de tous les frères. Je vais aller discuter avec lui et annuler ses paroles. »
L’épisode tragique de la rébellion de Kora'h nous donne plusieurs leçons sur nos traits de caractère et montre que même les personnages importants et vertueux peuvent atteindre les plus bas niveaux à cause de certains défauts. L’un des défauts qui caractérisent l’épisode de Kora’h est la jalousie. Nos Sages enseignent que malgré les déclarations de Kora’h qui considérait tout Juif comme saint, au fond de lui, il était en fait jaloux et furieux de n’avoir pas été nommé Chef de la tribu de Lévi, tout simplement. Mais il reste important de se souvenir que Kora’h était un homme pieux, qui avait eu le mérite de porter l’Arche sainte et même de prophétiser. Il serait simpliste de penser que sa jalousie n’était qu’un désir vil de pouvoir et de Kavod. D’ailleurs, certains commentateurs écrivent que l’on peut estimer qu’à un certain niveau, il fut jaloux des avantages spirituels que présentaient ce rang élevé et du rapprochement avec Hachem qui s’ensuivait.[1]
Ainsi, la jalousie de Kora'h ressemble quelque peu à ce que l’on appelle la « Kinat Sofrim ». La Guémara affirme : « Kinat Sofrim Tarbé ’Hokhma ».[2] Littéralement, cela signifie que la jalousie des Sages provoque une augmentation de la sagesse. En réalité, la jalousie du succès de son prochain dans l’étude de la Torah peut aider quelqu’un à devenir plus sage, le motivant à imiter l’autre. Cet aspect de la jalousie est considéré comme correct et il a des conséquences positives, contrairement à la basse jalousie qui ne mène qu’à la haine et aux discordes. Kora'h était-il vraiment motivé par une Kinat Sofrim ? Si tel est le cas, pourquoi cela ne l’a-t-il pas conduit à une plus grande sagesse et pourquoi fut-il finalement englouti par la terre ?
Pour répondre à cette question, il convient d’identifier les principales différences entre la Kinat Sofrim véritable et la jalousie ordinaire. La différence la plus fondamentale peut être détectée en se demandant si l’on peut utiliser la jalousie pour transformer son libre arbitre et pour grandir spirituellement ou si la situation dépend de facteurs extérieurs qui transcendent son libre arbitre. La personne est-elle jalouse du fait que son prochain ait réussi à choisir d’étudier la Torah et de grandir spirituellement, ou est-elle jalouse du succès de son prochain, du niveau qu’il a atteint ou d’un autre avantage ?
La Kinat Sofrim montre que le succès de l’autre motive la personne à utiliser son libre arbitre pour étudier davantage la Torah et s’élever spirituellement. Ainsi, la Kinat Sofrim est entièrement sous le contrôle de la personne « jalouse » et sert à la pousser à mieux faire. Par contre, les autres types de jalousie se concentrent sur le succès extérieur d’autrui (comme l’obtention d’un diplôme, d’un statut élevé ou d’une grande somme d’argent, etc.). Dans la situation de Kora'h, bien qu’il fût jaloux du succès spirituel d’Elitsafan, il n’était pas envieux de cette élévation au point de vouloir s’élever également, mais plutôt de la position qui avait été octroyée à Elitsafan. De ce fait, sa jalousie ne l’a pas motivé à devenir une personne meilleure, mais plutôt à sentir qu’il méritait quelque chose qu’Hachem n’estimait pas correct. Dans un tel cas, la jalousie incite la personne à agir à l’encontre du Ratson Hachem, comme ce fut le cas de Kora’h.
Quant à un exemple de Kinat Sofrim positif, la Torah raconte (dans la Parachat Vayetsé) que Léa eut quatre fils en l’espace de quelques années, tandis que sa sœur, Ra’hel, était toujours sans enfant. La Torah affirme : « Ra’hel vit qu’elle n’enfantait pas à Ya'acov, Ra’hel envia sa sœur… »[3] Lu superficiellement, ce verset montre que Ra’hel fut jalouse du succès de sa sœur (dans le domaine de la fertilité). Ce type de jalousie semble négatif, mais Rachi affirme qu’elle fut jalouse des bonnes actions de sa sœur, se disant : « Si elle n’avait pas été plus vertueuse que moi, elle n’aurait pas eu le mérite d’avoir des fils. »[4] Nos Sages enseignent que Ra’hel n’était pas jalouse de la réussite physique de sa sœur, car cela aurait engendré des sentiments négatifs d’amertume et de colère potentielle contre Hachem. Au contraire, elle fut jalouse du choix qu’avait fait Léa pour les bonnes actions et pour la justice. C’est l’exemple type de la jalousie positive, qui motive l’individu à améliorer ses actions sans en vouloir au prochain.
Kora'h nous apprend que nous devons être très prudents, même quand nous pensons que la jalousie est justifiée et positive. Si elle ne fait que refléter l’insatisfaction du sort de la personne, il ne s’agit pas d’une Kinat Sofrim. Il suffit de voir comment l’individu réagit à la jalousie. S’il essaie d’en apprendre davantage ou de grandir, c’est peut-être une bonne jalousie, mais si cela provoque un comportement négatif (comme du Lachon Hara' ou la Ma’hloket), c’est signe d’une jalousie néfaste.
Puissions-nous tous mériter d’éviter la jalousie et de nous préserver de ses conséquences négatives.
[1] Voir ’Hokhmat Hatsafoun, p.480, Kérem ’Hémed, p. 196 qui proposent cet argument.
[2] Baba Batra 21a.
[3] Béréchit 30,1.
[4] Rachi, ibid.