« Toute la communauté vit qu’Aharon avait expiré, toute la maison d’Israël pleura Aharon trente jours. » (Bamidbar 20,29)
Rachi explique les mots « Toute la maison d’Israël » : Les hommes et les femmes, car Aharon poursuivait la paix et rétablissait la paix entre les gens et au sein des couples.
Lors du décès d’Aharon, le Cohen Gadol, la réaction du peuple fut plus marquée encore qu’à l’occasion de celui de Moché Rabbénou. Rachi rapporte les paroles de nos Sages et précise qu’Aharon était le pacificateur par excellence, il réglait les différends et rétablissait le Chalom Baït (l’harmonie conjugale).
L’impact positif d’Aharon sur la nation fut durable. Le Méchekh ’Hokhma[1] fait, à ce propos, une remarque intéressante. Il souligne que la Torah[2] enjoint au meurtrier involontaire de s’enfuir vers une ville de refuge. Pour être protégé de la vengeance des proches de la victime, il doit y rester jusqu’à la mort du Cohen Gadol. Ce n’est qu’alors qu’il est autorisé à rentrer chez lui. Le verset précité – relatant que tout le peuple pleura la mort d’Aharon – indique que bien que cette loi fût applicable durant les quarante ans de périple dans le désert (le meurtrier involontaire devait alors se réfugier dans le campement des Léviim[3]), elle n’eut jamais besoin d’être mise en pratique – pendant toute cette période, aucun meurtre involontaire ne se produisit.
Le Méchekh ’Hokhma ajoute que s’il y avait eu, ne serait-ce qu’un seul meurtrier involontaire, il n’aurait pas pleuré la mort d’Aharon, le Cohen Gadol, mais au contraire, il se serait réjoui d’être libéré ![4] Il est remarquable qu’aucun accident meurtrier ne se soit produit durant quarante ans, au sein d’une nation comptant trois millions de personnes. Ce n’est pas une coïncidence et cela semble lié à la vie, la personnalité et l’influence qu’eut Aharon sur ses compatriotes.
On peut expliquer simplement le lien entre la libération du meurtrier involontaire et la mort du Cohen Gadol ; ce dernier est en partie responsable qu’une telle tragédie survienne durant son mandat. La Guémara affirme que cela prouve son manque de prières pour le bien-être de la nation, ce qui indique une grande faille pour une personne de son calibre. Évidemment, Aharon fut au niveau de prier suffisamment et par son mérite, aucune mort accidentelle ne bouleversa le peuple tant qu’il fut Cohen Gadol[5].
On peut ajouter une réflexion plus profonde. La Paracha de Massé évoque ces villes de refuge. Hachem enjoignit à Moché Rabbénou d’en localiser trois (sur les six villes de refuge, au total), sur la rive est du Jourdain. Rachi[6] souligne que la population y était bien moindre qu’à l’intérieur des frontières d’Erets Israël. Pourquoi fallait-il donc tant d’asiles dans cette région ? Il répond qu’en dehors du Pays, les meurtriers étaient plus nombreux et qu’il fallait donc davantage de villes de retraite. Les commentateurs ne se satisfont pas de cette réponse, car elle sous-entend qu’il y avait plus de meurtres délibérés ; or, ceux-ci n’allaient pas en villes de refuge, ces dernières étant réservées aux tueurs involontaires ![7] Le Maharal répond que du fait du grand nombre de criminels dans la société, les gens devinrent moins sensibles à la valeur de la vie en général. Par conséquent, ils faisaient moins attention aux dommages causés à autrui, aux actions potentiellement dangereuses et c’est ainsi que plusieurs morts accidentelles survinrent.[8]
L’explication du Maharal nous éclaire quant à un principe important sur les fautes capitales de la Torah. On pourrait penser que le meurtre ou l’idolâtrie ne nous affectent pas, car le Yétser Hara ne nous incite pas à les commettre. C’est peut-être vrai, mais le Maharal nous apprend que même celui qui ne souhaite pas tuer peut perdre sa sensibilité quant à la gravité de la faute et devenir moins vigilant en entreprenant des activités dangereuses. Ainsi, quand la Torah interdit le meurtre, il s’agit également d’une obligation de développer une sensibilité quant à la valeur de la vie, dans tous les domaines.
Pour revenir à Aharon, il est évident que ses relations interpersonnelles étaient d’un niveau sublime et son amour pour autrui ainsi que ses grands efforts pour rétablir la paix, chez les Bné Israël de manière générale et entre conjoints en particulier, en sont la preuve. Tant qu’il était en vie, il n’influait pas seulement sur le peuple à travers ses actions, mais avait aussi un effet indirect – il incitait les gens à valoriser davantage la vie. Par conséquent, ils évitaient les situations qui pouvaient mener à une mort accidentelle. Ce n’est donc pas une coïncidence si à l’époque d’Aharon, grâce à ses prières et son exemple, aucun meurtre accidentel ne se produisit.
Quelle leçon peut-on tirer de la personnalité d’Aharon ? Le niveau de l’homme dans son service divin peut grandement influencer son entourage – par exemple, en se montrant plus sensible à l’égard des autres, ceux-ci chercheront à suivre son exemple, de manière directe ou indirecte.
[1] Méchekh ’Hokhma, Bamidbar 20,29.
[2] Bamidbar 35,28.
[3] Rachi, Chémot 21,23.
[4] Voir Matamé Yaacov pour une éventuelle réfutation à cette preuve.
[5] Voir Mimidbar Matana, Bamidbar 20,29, du Rav Elazar Zékharich.
[6] En rapportant les paroles de nos Sages, Makot 9b.
[7] Voir Ramban 35,14 ; Tossefot, Makot 9b pour des réponses à cette question. Nous nous concentrerons ici sur l’approche du Maharal.
[8] Gour Arié, Bamidbar 35,14.