« Ils montèrent vers le sud, il vint jusqu’à ’Hévron… » (Bamidbar 13,22)
La Torah raconte la traversée de la Terre d’Israël par les explorateurs, mais quand elle évoque la ville de ’Hévron, elle emploie le singulier (« Il vint ») au lieu du pluriel, qui semblerait plus logique. La Guémara[1], rapportée par Rachi, affirme qu’en réalité, un seul explorateur se rendit à ’Hévron, pour une raison bien particulière. Calev y alla seul pour prier sur les tombeaux des Patriarches, afin de ne pas être influencé par le projet des dix autres explorateurs (consistant à calomnier la Terre d’Israël). En récompense, Calev parvint effectivement à surmonter cette épreuve et reçut la ville de ’Hévron en héritage ; l’endroit même où il avait prié.
Plusieurs questions peuvent être soulevées. Tout d’abord, au début de la Paracha, Rachi[2] (sur la base de la même Guémara) écrit que Moché Rabbénou a prié pour que son élève Yéhochoua soit épargné du complot des explorateurs, mais on ne voit pas qu’il pria aussi pour Calev. Certes, cela explique pourquoi Yéhochoua n’eut pas besoin d’aller à ’Hévron pour prier, mais pourquoi Moché n’a-t-il pas également prié pour Calev ?[3] On peut répondre à cette question de plusieurs façons. Tout d’abord, étant donné que Yéhochoua était le disciple de Moché, ce dernier était dans l’obligation de prier pour sa spiritualité. On peut également avancer que Yéhochoua étant particulièrement humble, Moché craignait que sa modestie l’empêche de tenir tête aux espions. Qui plus est, Yéhochoua était un descendant de Yossef qui avait dit du Lachon Hara' sur ses frères et Moché redoutait que ce défaut soit héréditairement présent chez Yéhochoua et qu’il soit plus enclin que Calev à médire sur la Terre. Quant à Calev, il était marié à la vertueuse prophétesse, Myriam ; or, nos Sages enseignent qu’un homme est très influencé par sa femme. Moché estimait que Calev ne risquait donc pas de se laisser influencer par les Méraglim.
Une nouvelle question se pose à présent. Si Calev courait un risque moins grand que Yéhochoua concernant la faute des explorateurs, pourquoi a-t-il ressenti le besoin de faire ce voyage jusqu’à ’Hévron, tout seul, pour prier ? Rav Wolbe pose une autre question. Normalement, quand quelqu’un ne sait pas s’il doit (ou non) faire une certaine action, il demande l’aide céleste pour résoudre son dilemme. Il serait donc compréhensible d’aller jusqu’au tombeau des Patriarches pour implorer la Siyata Dichmaya. Mais là, Calev savait déjà quelle était la bonne décision à prendre. Il sentait le problème de la médisance sur Erets Israël pointer. Et il savait qu’il ne voulait pas se joindre à eux, il n’avait aucun dilemme. Quel était donc le but de son détour jusqu’à la Mé'arat Hamakhpéla ?
En réalité, même si une personne est convaincue qu’une certaine ligne de conduite est mauvaise, elle ne doit pas être complaisante, ne serait-ce qu’un seul instant, car le risque de basculer est toujours présent. Sa détermination peut faiblir et elle peut être encline à faire cette action, même si elle la sait négative. Surtout, si elle doit faire face à une pression sociale importante qui l’incite à agir d’une mauvaise manière. Comme l’ont montré de nombreuses études, les gens agissent souvent de manière irrationnelle, voire cruelle quand d’autres personnes autour d’eux agissent de la sorte. Par conséquent, Calev savait qu’il avait besoin de Siyata Dichmaya pour l’aider à affermir ses convictions, quand les dix explorateurs allaient mettre en place l’infâme projet de calomnie du pays.
Si un homme aussi grand et vertueux que Calev ressentit le risque de pécher, nous devrions, à plus forte raison, nous montrer très vigilants et ne faire aucunement preuve de complaisance. L’une des meilleures façons pour lutter contre ce défaut est de prier et d’implorer pour bénéficier de Siyata Dichmaya.
[1] Sota 34b
[2] Bamidbar 13,16.
[3] En ce qui concerne les dix autres espions, Moché comprit qu’il ne servait à rien de prier pour eux et que seul Yéhochoua pouvait être sauvé. Calev n’était pas non plus un cas désespéré, et Moché le savait alors pourquoi n’a-t-il pas prié pour lui ?