Dans cette Paracha, la Torah précise que chaque tribu doit avoir son propre Déguel, son drapeau. Le Midrach[1] enseigne que lorsque la Chékhina est descendue sur le mont Sinaï, vingt-deux « Révavot » (ensembles de 10 000) d’anges sont descendus avec Lui – chacun avec des drapeaux. Les Bné Israël virent ce spectacle et désirèrent ardemment des drapeaux pour eux-mêmes. Hachem répondit que puisqu’ils y aspiraient tant, Il exaucerait leur souhait.

Ce Midrach soulève des questions. Premièrement, un drapeau est un objet physique ; or, les anges sont entièrement spirituels. Alors, comment expliquer qu’ils portaient des drapeaux ? Deuxièmement, qu’y avait-il de si spécial dans ces drapeaux pour que le peuple juif les désire aussi ?

Rav Issakhar Frand répond que le Déguel n’est pas seulement un drapeau physique, mais qu’il représente plutôt le but, la mission d’une personne. Quand le Midrach affirme que chaque Malakh (ange) avait un Déguel, cela signifie que chacun avait son propre rôle, son propre but. ’Hazal enseignent, par exemple, que l’ange Raphaël guérit et que Mikhaël annonce de bonnes nouvelles. Lorsque le peuple juif vit chaque Malakh porter son propre drapeau, il réalisa que chacun connaissait son rôle dans le Projet céleste. Les Juifs voulurent aussi connaître leur but, leur mission personnelle dans le monde. Par conséquent, Hachem donna un drapeau pour chaque tribu – une mission bien définie.

En vérité, Ya'acov Avinou avait déjà assigné aux tribus leurs rôles, lors de ses bénédictions. Ces dernières n’étaient pas de simples souhaits, mais le message des caractéristiques et des qualités de chacun, afin que les rôles soient bien définis.

Bien évidemment, cette idée ne se limite pas aux tribus. Chaque être humain a son propre Tafkid, sa mission dans la vie. Bien qu’il soit essentiel que chaque Juif respecte la Torah et pratique les Mitsvot, il faut souvent ajouter une touche personnelle pour vraiment réaliser son potentiel.

Comment un individu peut-il savoir quelle est sa mission unique ?

Parfois, il suffit de suivre un certain don naturel. Par exemple, celui qui a un talent pour la rédaction devra essayer d’utiliser ce don pour accroître le Kavod Chamaïm. À ce propos, Rav Mendelovitz faisait un jeu de mots sur le verset : « Kabed Eth Hachem Méhonekha – Honore Hachem avec tes biens. » [2] et disait : « Kabed Eth Hachem Mégué’honekha – Honore Hachem avec ta gorge ». Cela signifie qu’il faut utiliser sa voix pour honorer Hachem. Il rapporte ensuite un Midrach[3] effrayant qui raconte que Navoth Hacarméli fut tué par Akhav à cause de sa « faute » ; il n’était pas allé chanter à Jérusalem alors qu’il avait une voix splendide. Il fut puni pour ne pas avoir utilisé son talent inné afin d’accroître le Kavod Chamaïm.

Parfois, il est possible de deviner la nature de notre Tafkid en fonction de la situation dans laquelle la Providence nous place. Une personne peut ainsi être contrainte de faire quelque chose à cause de circonstances extérieures qui font ressortir des qualités qui lui étaient méconnues jusqu’alors. Prenons l’exemple d’un homme qui se voit dans l’obligation de collecter des fonds pour une bonne cause. Même s’il n’avait jamais fait de collecte auparavant, il peut constater sa réussite dans ce domaine. Par ailleurs, il n’est pas rare qu’après une épreuve (voire une tragédie), un individu soit amené à se concentrer sur l’aide qu’il peut apporter aux personnes qui traversent la même difficulté. Par exemple, un Rav qui n’avait pas eu d’enfants pendant de nombreuses années et qui connaissait donc les difficultés et les défis affrontés par les couples stériles, fonda une association qui facilite énormément l’épreuve de ces couples.

Qui plus est, même sans être particulièrement douée ni avoir une grande expérience dans un domaine, une personne peut constater que certains sujets nécessitent une certaine amélioration et cela l’anime d’une force insoupçonnée. Elle s’efforce donc de combler le manque observé et bénéficie souvent d’une grande aide divine, en récompense pour ses efforts. Prenons l’exemple de Rav Méïr Shuster. Il était de nature plutôt timide et était plus à l’aise dans une maison d’étude qu’en public. Pourtant, il réalisa que de nombreux Juifs laïques se rendent au Kotel (Mur des Lamentations) et retournent aussitôt à leur vie vide de Torah. Il comprit qu’il était nécessaire de les aborder et parfois, de leur proposer un hébergement, pour ensuite les encourager à se rapprocher de la Torah et des Mitsvot. Il décida donc d’aller contre sa nature et d’engager la conversation avec ces étrangers. Avec les années, il est impossible de savoir combien de centaines de vies furent transformées par cette décision audacieuse, en l’honneur de la volonté divine. S’il s’était limité à sa nature, le monde en aurait pâti.

Puissions-nous tous mériter de découvrir notre mission et de la mener à bien.

 

[1] Bamidbar Raba 2,3.

[2] Michlé 3,9. Le Midrach (Tan'houma, Réé 12) explique que cela fait référence aux talents donnés par D.ieu.

[3] Yalkout Chimoni, Mélakhim, Rémez 221.