La paracha Balak nous introduit un personnage fameux qui n’est pas issu du peuple Juif : le prophète Bilam. Des découvertes archéologiques récentes (à Deir Alaa) ont exhumé des écrits araméens du 8ième siècle avant JC et faisant mention d’un « Bilam ben Beor ».
Sa notoriété était très grande, à la hauteur de sa faculté prophétique, car notre tradition nous enseigne qu’il était comparable à Moshé Rabenou ! En effet, les Nations du monde auraient pu prétendre qu’elles aussi auraient pu être proches de l’Eternel si seulement on leur avait donné un prophète de l’envergure de Moshé ! Pour éviter une telle doléance, l’Eternel leur a accordé un tel prophète, mais force est de constater que ce n’est pas suffisant pour accepter sur soi le « joug de la royauté divine » et une vie réglée selon le principe de la vertu, l’histoire de Bilam va nous le démontrer.
En effet, ni la faculté prophétique, la connaissance, ni l’érudition ne suffisent pour être proche de D.ieu si elles ne sont accompagnées par un cœur sincère et une haute exigence morale.
Comme nous le voyons au début de notre paracha, Bilam est sollicité par le roi de Moav, Balak, pour (D. nous en préserve) maudire le peuple Juif. Au lieu de refuser tout net, Bilam feint d’interroger l’Eternel pour savoir s’il pouvait accepter cette demande de Balak ou non. Comment l’Eternel aurait-il pu l’y autoriser ? Les miracles que l’Eternel avait accompli envers les enfants d’Israël étaient connus de tous les peuples de la région. Bilam, ne savait-il pas que l’Eternel aimait les enfants d’Israël ?
Et pourtant, Bilam pose la question une fois, puis une deuxième fois. Devant son insistance, Hachem comprend qu’en réalité BIlam souhaite accomplir cette mission, aussi lui donne-t-il une autorisation partielle : il peut les suivre mais il ne pourra dire que ce que l’Eternel lui ordonnera de dire.
Essayons d’approfondir la nature de ce Bilam. Comme le rapporte Rav J. Sacks, l’étymologie de Bilam peut être « Belo ‘Am » « sans peuple », sans « attache », sans « fidélité ».
BIlam est un être exceptionnel, doué de grandes qualités intellectuelles et techniques. Il a une vision et une intuition puissantes, il est doué d’un esprit prophétique exceptionnel. Mais toutes ces qualités reposent sur un être dépourvu d’affect. Il est « sans peuple », c’est-à-dire qu’il ne se sent lié à rien. Il est tel un « mercenaire » qui accomplit le contrat qu’on lui demande : bénir ou maudire peu importe pour lui tant que l’on fait appel à ses services et que l’on reconnaît son génie. Bilam incarne une sorte d’ « opportuniste » qui va où le vent le mène, où son intérêt et sa gloire le portent.
Moshé est, en ce sens, l’opposé de Bilam. Il est lui aussi un immense prophète, le plus grand que le peuple Juif ait connu, mais il se caractérise par sa fidélité « Avdi Moshé, Bekholbeiti, neeman hou » « Moïse est mon serviteur ; de toute ma maison c'est le plus fidèle » (Nombres 12. 7). Et cette fidélité, Moise l’incarne non seulement envers la parole de D.ieu mais aussi envers le peuple. Il est prêt à se sacrifier pour son peuple qu’il n’abandonnera jamais et dont il se fait le plus bel avocat auprès de D.ieu à de très nombreuses reprises.
« Ra’hamana liba baei » « L’Eternel désire le cœur » nous enseignent les Sages du Talmud. La compétence technique, l’intelligence, la perspicacité ne suffisent pas à qualifier un homme et à le rendre vertueux. Toutes ses qualités peuvent servir des fins funestes si elles ne sont pas incarnées par des hommes vertueux et sensibles.
Quand l’homme, à l’instar de Bilam, se perçoit sans attache, sans ancrage affectif, sans loyauté, alors il n’est protégé par aucune digue morale, et il peut sombrer dans l’orgueil, la vanité et l’arrogance. A cet égard, nous pouvons noter combien BIlam est imbu de lui-même et se lance dans notre paracha à plusieurs reprises dans l’éloge de lui-même dans des termes dithyrambiques. L’absence de lien avec autrui, l’absence de fidélité et d’affect, conduisent l’homme à tourner à vide autour de lui-même et finalement à rendre stérile toutes les belles facultés que l’Eternel lui avait données.
Inversement, lorsque ces qualités sont incarnées par des êtres doués de sensibilité, d’empathie et de souci de l’autre, elles sont portées à leur plus haut niveau de perfection. L’intelligence ou la compétence n’ont pas de valeur en elle-même si elles ne sont pas tempérées par un cœur pur, un amour de l’autre et une exigence morale. La grandeur d’un homme nait précisément de sa capacité à concilier ses facultés intellectuelles, spirituelles et sa sensibilité et à trouver un équilibre entre ces deux pôles.
La faculté d’un homme à s’attacher à autrui, à lui être fidèle, àl’aimer et à le protéger témoigne de la profondeur de son cœur et de son amour. Or, l’amour a ceci de spécifique qu’il n’est jamais épuisé par la chose ou l’être aimés, il crée au contraire une prédisposition à être attentif aux autres, à leurs besoins, à leur fragilité. C’est précisément cet amour et ces vertus que D.ieu recherche en l’homme et qui expliquent les commandements si nombreux et importants qui régulent notre rapport à autrui (la « ahavat Israël » « l’amour du prochain », l’absence de médisance, la tsédaka…). Elles incarnent probablement l’objectif auquel doivent nous conduire les commandements de la Torah.
L’expérience de l’amour et de la fidélité envers certains êtres, envers une communauté, envers un peuple élargissent le cœur de l’homme et lui permettent d’être sensibles à l’Homme, et à l’humanité dans son ensemble. Et, inversement, l’absence d’ancrage affectif et de fidélité assèchent le cœur, elles enferment l’homme dans un face à face avec lui-même, et elles nivellent sa capacité s’élever spirituellement.
Chaque amour (pour ses parents, son épouse, ses enfants, ses frères, son prochain…) est spécifique, mais tous s’enrichissent mutuellement et permettent à l’homme de faire l’expérience des capacités infinies de son cœur.