La Parachat Balak parle principalement de Bil’am. Nos Sages enseignent qu’il fut envoyé pour contrer la future plainte des non-juifs ; ceux-ci auraient avancé qu’ils n’eurent pas de prophète du niveau de Moché Rabbénou, et que c’est la raison de leur mauvaise attitude. Hachem leur envoya donc Bil’am, dont les prophéties étaient, en un sens, aussi élevées que celles de Moché. Bien évidemment, il n’était aucunement comparable à Moché en ce qui concerne les qualités qui les distinguaient. Notons cependant que la Michna (Avot 5,19) ne se focalise pas sur les différences entre Bil’am et Moché, mais sur celles entre Bil’am et Avraham Avinou. On y énumère les qualités d’Avraham que Bil’am personnifiait dans le sens inverse – Avraham avait un regard positif, il était humble et non cupide. Quant à Bil’am, il avait un mauvais œil, se montrait arrogant et avide.
En analysant deux épisodes, apparemment non liés, mais impliquant ces deux personnages, on trouvera des similitudes étonnantes ainsi que des différences marquées, observées par nos Sages.
Tout d’abord, ces deux hommes se mirent en route pour une mission spécifique – Avraham alla effectuer la Akéda et Bil’am tenta d’aller maudire le peuple juif. Tous deux se levèrent tôt le matin, chevauchèrent un âne qu’ils attelèrent eux-mêmes[1] et tous deux étaient accompagnés par deux garçons.
Durant leurs voyages respectifs, tous deux rencontrèrent des obstacles métaphysiques à leur mission. Le Satan tenta, par divers moyens, d’empêcher Avraham d’atteindre le Har Hamoria et un ange bloqua Bil’am sur sa route. Les deux hommes surmontèrent ces obstacles pour poursuivre leur mission.
Notons à présent les différences importantes dans l’attitude des deux hommes, ainsi que dans la nature de leur mission. Tout d’abord, le but d’Avraham, en effectuant la Akéda, était de soumettre totalement sa volonté à celle d’Hachem et d’agir à l’encontre de ses instincts naturels et de ses désirs. L’objectif de Bil’am était d’esquiver à tout prix le Ratson Hachem afin de pouvoir assouvir ses propres désirs et son but ultime était de nuire au peuple d’Hachem.
Quand Avraham fut en route pour la Akéda, le Satan envoya de nombreux obstacles pour le persuader d’user de bon sens et de logique et justifier le non-respect du commandement de D.ieu. Toutefois, Avraham continua, déterminé à exécuter loyalement les ordres incroyablement difficiles d’Hachem. En revanche, Bil’am utilisa constamment sa logique pour démontrer qu’Hachem le soutiendrait ou tolérerait au moins son projet diabolique – celui de maudire Son peuple. Par exemple, quand Hachem lui apparut pour la première fois, après la demande du roi de Moav de maudire le peuple juif, Il lui dit de ne pas aller maudire les Juifs avec les officiers de Moav, parce que le peuple juif était béni. Mais quand Bil’am en fit le rapport aux officiers Moavites, il y ajouta un détail de taille. Il leur dit : « Hachem a refusé de me laisser aller avec vous ».[2] Selon Rachi, il leur laissait sous-entendre qu’ils étaient la raison du refus ; ils n’étaient pas suffisamment dignes pour accompagner un personnage aussi important que Bil’am. Et s’ils envoyaient des gens plus prestigieux, Hachem le laisserait peut-être partir[3]. C’est à ce propos que la Michna affirme que Bil’am était arrogant. Il modifia les paroles d’Hachem et transforma Son avertissement en attestation de sa stature.
Tous les défauts de Bil’am décrits dans cette Michna semblent prévaloir dans l’épisode mentionné et ils nous indiquent la raison de son obstination à poursuivre en dépit des tentatives répétées d’Hachem de lui montrer son erreur. Son arrogance lui fit croire qu’il pouvait manipuler Hachem et lui donner l’autorisation de maudire le peuple juif, tout en pensant qu’Hachem se souciait de son prestige. Sa cupidité, sa soif de recevoir la fortune qu’on lui avait promise, l’incitèrent à continuer aveuglément dans sa voie. Et son mauvais œil fut l’origine de sa haine profonde envers le peuple juif, élément clé dans sa farouche détermination à maudire et à anéantir les Juifs[4].
Certains commentateurs estiment que son défaut le plus marqué était l’arrogance. À l’inverse, ce fut la grande humilité d’Avraham qui lui permit de surmonter tous les défis que le Satan lui posa. Chacun mettait à l’épreuve sa capacité à suivre loyalement les voies d’Hachem sans faire appel à son intellect et à sa compréhension et tenter de justifier une échappatoire à la difficulté.
Revenons à notre question de départ – à savoir, pourquoi nos Sages mirent en parallèle Bil’am et Avraham. La Torah elle-même montre des similitudes dans les épisodes marquants de la vie des deux hommes tout en montrant la différence d’attitude entre eux. L’arrogance de Bil’am (et ses autres défauts) le fit trébucher continuellement ; il ne parvint jamais à se soumettre à la volonté d’Hachem, tandis que l’humilité d’Avraham lui permit de réussir son épreuve, fût-elle la plus éprouvante qu’un homme dut traverser.
Puissions-nous tous mériter d’être les disciples d’Avraham Avinou.
[1] Bamidbar 22,21 ; Rachi d.h Vaya’havoch. Notons qu’il existe des nuances dans les termes employés pour décrire les deux événements – par exemple, en ce qui concerne Avraham, il est dit : « Vayachkem Baboker », tandis que dans l’épisode de Bil’am, il est écrit : « Vayakom Baboker ». Nos Sages comparent ces expressions et affirment qu’Avraham se leva avec plus de zèle et d’empressement afin d’effectuer la Akéda que Bil’am quand il alla maudire les Juifs.
[2] Bamidbar 22,13.
[3] Rachi, ibid.
[4] Voir Rachi, Bamidbar 22,11.