Il n’est pas question, dans la chronique que l’on va lire, d’emprunter le titre du livre d’Emmanuel Levinas, intitulé Difficile liberté, paru sous la forme d’un recueil d’articles dans les années 1950 à 1960 dans diverses revues philosophiques. Le thème est évidemment le même, car la liberté est toujours un défi difficile, ainsi que l’écrivent les nos maîtres en liant le terme « ‘Hérout » (« liberté ») au terme « ‘Harout » (« gravé »), précisant ainsi que c’est la Loi, gravée sur les Tables, qui est source de liberté, pour l’homme, qui, grâce à elle, apprend à se libérer de ses pulsions (Traité Avot 6, 5). La liberté est un affrontement de l’individu face à un obstacle, qui peut être autrui, un évènement extérieur, ou sa propre conscience. Le Tout-Puissant nous a donné la liberté pour donner une valeur à notre activité, un sens à nos choix ! Ce n’est pas l’instinct qui nous guide, car la liberté est un arrachement à l’être premier puisqu’elle s’exprime par une rencontre du MOI avec ce qui n’est pas MOI. C’est exactement cela le sens de l’image évoquée, de la loi « gravée », insérée dans la pierre, qui donne la possibilité du passage du MOI vers l’extérieur. La loi me libère, m’affranchit, et me permet de donner une orientation à cette liberté. C’est à ce niveau que s’inscrit l’acte libre de l’homme. Dans un premier temps, la Loi fut donnée comme une sorte de trou dans l’immanence, trou par lequel une parfaite adéquation (accord absolu) s’est manifestée entre l’Infini et le fini. Ce fut la Révélation du Sinaï dont le but était de faire connaître la Vérité absolue. C’est ici qu’ont dû se réunir les 3 conditions incontournables de la Révélation de l’Etre Absolu face au créé. Ces 3 conditions rendent possible le passage de l’Absolu au relatif, puisqu’elles se situent par rapport à l’Infini : unité du peuple, action précédant la pensée et acceptation obligatoire. Ces trois conditions, quoique inscrites dans la relativité, portent en elles le reflet, ou plutôt la TRACE de la transcendance, et c’est cette trace dans l’être créé qui a rendu possible la Révélation. La première condition déjà jette une lumière éclairante : l’unité du concret est, évidemment, un miroir de l’unité du Créateur. Les enfants d’Israël arrivent au Mont Sinaï : « Israël campa en face de la montagne » (Chemot 19,2). Le verbe est au singulier, et Rachi commente : « Le singulier signifie : le collectif implique l’unité : tout le peuple n’était qu’un seul homme, d’un seul cœur » (Rachi ad loc.). La 2ème condition n’est pas moins un miroir de la transcendance. Quand Moché annonce aux enfants d’Israël qu’ils vont recevoir la Torah, ils répondirent : « Naassé Ve-nichma » : « Nous ferons et nous écouterons » (Ibid. 24, 7). La cohérence entre l’acte premier – et la pensée seconde – est à la source de la vie ici-bas. Le Midrach dit que « D.ieu s’est réjoui de cette réaction d’Israël en disant : « Qui a révélé à mes enfants ce secret des anges qui, eux, dépourvus de liberté, font précéder l’action à la pensée, comme il est écrit : « Louez l’Eternel, vous, Ses anges, héros puissants qui exécutent Sa parole, puis écoutent la voix de Sa parole » (Psaumes 103, 20). C’est ainsi qu’est comprise l’affirmation d’Israël : semblable aux anges – donc à l’image de l’Infini – le peuple d’Israël FAIT, EXECUTE, avant de comprendre. La primauté de l’acte est, incontestablement, un écho d’une relation préalable à l’infini. La 3ème condition – la coercition – est la troisième et nécessaire limitation de la liberté : « Recevez la Torah, sinon ici sera votre tombe ! » Le Midrach explique ainsi l’idée que la montagne s’est déplacée au-dessus des enfants d’Israël, car le texte dit : « Ils étaient sous la montagne » (Chemot 19, 17). C’est ici la preuve la plus claire en vue d’expliquer que le peuple participait déjà à un aspect de l’Infini. La liberté du peuple était un élément constructeur, et qui devait parachever la Création, ou… la laisser se détruire. L’accepter se situe au-delà du choix ! Le peuple juif, par la Révélation, maintient vivante la Création, ce qui doit aviver sa responsabilité ! Cela s’inscrit nécessairement dans l’économie du devenir historique de l’humanité.
Cela implique aussi une condition négative : qui refuse cette insertion s’exclut par là-même du choix et se situe en-dehors de la sphère de spiritualité. Lorsque l’on entend, ces derniers temps, des journalistes se sentir absolument étrangers à ce qui se passe dans les sociétés orthodoxes, il apparaît clairement qu’ainsi, ils se séparent totalement du peuple juif, avec lequel ils ont rompu tous les liens. Ils ont perdu cette trace qui les lie à l’Infini. Ils se situent en dehors de l’Alliance faite avec les Patriarches, car cette « Brit », cette alliance, est le signe permanent du lien entre l’Infini et le fini. Conclue avec Avraham, l’Alliance ne saurait devenir caduque, ou être rompue par les vicissitudes du Temps. C’est cette alliance, reflet en nous de la transcendance, qui nous lie au Créateur de l’univers, qui donne un sens à notre existence, et amènera bientôt, selon l’annonce des Prophètes, la Guéoula, la Rédemption finale.