Un terme nouveau s’est introduit dans la société : « déconfinement », qui sans être un vrai néologisme car il est fondé sur un vocable existant, mais, en tout cas, il se rapporte à une réalité nouvelle : sortir de l’enfermement dont nous sommes tous actuellement victimes. C’est à ce titre qu’il importe de se référer afin de constater la transformation fondamentale que la crise actuelle a créée dans les mentalités.
Cette transformation profonde, rapide, et même surprenante se situe en deux temps complémentaires et opposés, à deux niveaux : au niveau de l’individu, et au niveau de la société. Dans un premier temps, la démarche va du dehors vers l’intérieur, à cause des circonstances extérieures. Ce fut le confinement, qui est encore actuel dans la plupart des cas. Maintenant, on commence à parler d’une libération de cet enfermement, et des problèmes que cette libération pose ou posera ! Il est particulièrement essentiel de comprendre, d’analyser ces deux démarches qui, semble-t-il, vont modeler le paysage social : avant la crise, la globalisation était l’orientation ; l’épidémie a refermé chaque nation sur elle-même, de même que les individus étaient cloîtrés chez eux, ou même le sont encore, pour un grand nombre. L’étape suivante serait-elle un nouveau retour vers le dehors ? Y a-t-il une leçon à tirer de cette crise, ou plutôt de ce désordre survenu ainsi, de façon si brusque ? Dans cette circonstance, il importe de « raison garder ». Il est intéressant de relever, dans l’instant présent, des vœux exprimés par un sociologue chevronné, au Jour de l’an 2017, qui sonnent aujourd’hui comme une invitation prophétique : « résistez à l’hégémonie du profit, du calcul, de la robotisation et de la prosaïtion de la vie » (Edgar Morin). Le chroniqueur qui rapporte ces propos d’Edgar Morin ajoute que le sociologue « partageait l’inquiétude de ceux qui voient dans cette deuxième décennie du 21ème siècle un moment critique de l’histoire de l’humanité ». Que dire, en 2020, en pleine crise sanitaire et économique, de ces propos qui semblent prévoir les événements actuels ? Il est clair que l’issue de la situation actuelle exige une transformation totale. Après le confinement, l’échec du « déconfinement » ? Où donc se réfugier ?
Il ne nous convient pas de donner des conseils et de nous ériger en juges pour l’humanité. Ce qu’il nous faut retenir, c’est notre devoir, en tant que membre du peuple qui a reçu la Loi au Mont Sinaï et qui survit, attaché à cette Loi, depuis plus de 3 millénaires, c’est que le vide, le nihilisme, l’assurance matérielle qui caractérisent notre civilisation risquent de mener au chaos. Dans l’article cité précédemment, le chroniqueur rapporte l’avis d’un philosophe, Eric Sadin, qui met en garde notre époque contre une « siliconisation du monde », à l’image de la Silicon Valley aux Etats-Unis. Cette expression symbolise et fait craindre un brusque recul de la sensibilité humaine, au profit de la machine, et l’expérience humaine, selon cet auteur, est « appelée à se trouver emmurée ». Cela peut conduire, selon lui, à un affaiblissement de notre capacité à composer spontanément et activement avec le réel. Le confinement, d’abord, puis le déconfinement, seraient-ils des occasions de « ressourcement spirituel » ? On le souhaiterait.
Selon la perspective de la Torah, peut-on apercevoir une allusion à ce confinement, ou à ce déconfinement ? Aspiration à la maison d’une part, mais lien avec la communauté, par ailleurs. David Ha-Mélekh célèbre « heureux ceux qui sont assis dans Ta maison » (Psaumes 84, 5) et exalte : « Puis-je séjourner dans la Maison de l’Eternel tous les jours de ma vie » (Ibid. 27, 4). La maison, ainsi, semble être d’une part l’aspiration, et d’autre part la Source de la spiritualité. Dans la tradition talmudique, l’épouse est nommée « la maison ». Y a-t-il un plus grand éloge pour la femme au foyer ? Etre confiné n’est nullement négatif, si l’on donne un sens spirituel à ce confinement. Par ailleurs, la prière en communauté est extrêmement importante, le Minyan – quorum de 10 personnes – est nécessaire. La vie de famille, la vie en société, sont indiscutablement des piliers de l’organisation de la vie juive.
En conclusion, « confinement » ou « déconfinement » ne sont pas les éléments fondamentaux. Ils ne sont que des moyens – nécessaires, bien sûr – pour assurer les conditions sanitaires les meilleures, mais ce qui est essentiel pour le fidèle à la parole divine, c’est d’éprouver la puissance de cette maxime de nos Sages, exprimée dans les Pirkei Avot (3, 7) : « Si dix personnes se rassemblent et étudient la Torah, la Providence réside au milieu d’eux… Si seulement cinq se réunissent, la Providence est avec eux… Pareillement, s’ils ne sont que trois, ou seulement deux… Il en va de même si seulement un individu, seul, s’assoit et s’occupe de spiritualité (la Providence le protège), ainsi qu’il est écrit : « En quelque endroit que l’on mentionnera Mon Nom, Je viendrai vers toi, et Je te bénirai » (Exode 20, 21).
Soyons conscients, réfléchissons à ce monde nouveau qui nous attend, et, au-delà des machines nécessaires de ventilation artificielle, l’humanité réussira-t-elle à obtenir une réanimation spirituelle ? Sera-ce une réalité ou une utopie ?