Une civilisation se définit par un aspect extérieur, qui reflète assurément une valeur intérieure. La puissance de cette valeur garantit la survie, la durée de la civilisation. Comme les civilisations sont dépendantes du temps, c’est leur relation au temps qui leur permettra de survivre. L’essence même du peuple juif, lié à une valeur transcendante, la Torah, est de ne pas être soumis à cette règle inexorable pour les nations, car cette essence d’Israël dépasse l’éphémère.
Si l’on cherche à comprendre et à connaître une société, une civilisation, il est donc nécessaire de connaître la valeur qui la sous-tend. Ainsi la beauté, l’art, étaient les facteurs de l’hellénisme. La puissance guerrière symbolisait Rome. Les diverses puissances qui ont dominé le monde ont, chacune, laissé une trace, puis ont disparu. Ainsi en a-t-il été avec l’empire ottoman, avec la civilisation européenne marquée par le christianisme, avec l’impérialisme britannique qui pensait dominer le monde civilisé. Il ne s’agit pas, ici, de faire un relevé de toutes les tentatives impérialistes qui ont caractérisé l’Histoire universelle, et de laisser par là une trace dans le devenir historique.
Ce que l’on voudrait remarquer à ce stade, c’est que, si l’on cherche à reconnaître le critère spécifique de notre époque, le mensonge est devenu, du fait de la globalisation, le symbole significatif de notre société. Ce mensonge a aujourd’hui un nom : les « fake news », qui rapportent d’un continent à l’autre, d’un pays à l’autre, toutes sortes de « fausses nouvelles ». Ces nouvelles se répandent dans le monde entier ; il est difficile de les nier, car elles sont fluides, apparemment fondées sur des faits, que l’on interprète de façon arbitraire. La subjectivité de ces rapports s’oppose à une analyse objective. Les réseaux sociaux sont, évidemment, les vecteurs de ces mensonges. Il suffit, en effet, qu’un personnage, célèbre ou même moins célèbre, s’exprime dans un Twitter, et aussitôt la nouvelle devient « vérité » pour le monde. Aucune époque, dans le passé, n’a été affrontée à un tel problème : la rumeur, qui pouvait affecter une société particulière, une ville tout au plus, se répand aujourd’hui dans le monde entier à une vitesse vertigineuse. Ce problème des « fake news » est devenu la valeur cachée de notre époque. Il est impossible de lutter contre ce phénomène.
A ce niveau, apprenons à lire la vérité. Il serait peut-être plus prudent de dire qu’il faut apprendre à ne pas croire à la rumeur. Quel est le critère de la vérité ? Il ne faut, certes, pas écouter les « bruits » qui se répandent dans le monde. Les critères donnés par les ‘Hazal pour refuser la calomnie sont, assurément, les moyens les plus sûrs pour éviter de tomber dans le piège du mensonge. Le texte de la Torah est clair : « Tu fuiras les paroles du mensonge » (Exode 22, 7). Le terme « Emeth » – אמת – vérité, privé de sa première lettre א (Alef) devient Meth – « מת » (signifiant « mort »). Sans le א (Alef) – symbole de l’unité divine, la vérité disparaît, meurt. Les « fake news » sont le signe de l’inanité de la civilisation contemporaine, et annoncent sa disparition. Faut-il, ici, évoquer les mensonges qui ont accompagné les divers éléments d’une affaire impliquant les plus hautes autorités de l’Etat ? Et l’on pourrait multiplier les exemples.
Mais une objection risque d’être présentée : ce mensonge est-il nouveau ? N’y a-t-il pas eu, à chaque époque, ce que l’on appelait du « bluff » pour faire passer des faits que les dirigeants voulaient cacher au grand public ? Ainsi, est-il justifié de dire que les « fake news » sont spécifiques à notre époque ? En fait, c’est la généralisation du phénomène qui est aujourd’hui remarquable. « N’importe qui dit n’importe quoi sur n’importe qui », telle est la vérité – triste – de notre époque. Il n’y a plus de limite à l’affabulation. N’est-il pas légitime de voir ici une destruction de l’édifice humain, d’une civilisation ? Il ne s’agit pas, ici, d’attaquer techniquement les virus des ordinateurs pour « déstabiliser » un adversaire, mais de créer une atmosphère négative, destructrice ; cela s’ajoute, bien sûr, au désir de publicité, ou de vanité, afin de se faire connaître dans le monde. C’est l’un des méfaits modernes de la globalisation. Toute action publique reçoit, de nos jours, un écho universel. Mais c’est ici le défaut de la cuirasse, ou si l’on préfère, le ver est, ici, dans le fruit. Le but des « fake news » rejoint l’objectif de l’universel : se fonder sur la matière – elle-même sujette à la décomposition – ne peut être que destructeur. Le mensonge ne saurait être un instrument positif, en aucun cas. Si l’on cherche à s’insérer dans l’Histoire par des « affabulations », on ne peut qu’échouer. Dans une perspective plus essentielle, il faut reconnaître que c’est ce désir d’insertion – source des « fake news » – qui explique, ainsi qu’on l’avait remarqué précédemment, l’opposition inexorable entre les nations – l’universel, la généralisation du mensonge – et la vocation de l’être juif, qui doit échapper à ce déterminisme historique : le rôle d’Israël est de refuser toute falsification, puisqu’il est le porteur d’une vérité transcendante, et est chargé d’en témoigner à jamais.