Une époque spéciale de l’histoire de l’humanité nous invite à réfléchir à la vanité des valeurs que l’homme considère comme le résultat absolu de la satisfaction de ses désirs. Le Roi Salomon – considéré comme l’un des hommes les plus intelligents – s’écrie, bien sûr, « Vanité des Vanités, tout est vanité » (Kohélet 1, 2), mais malgré cette constatation, l’homme veut construire, réaliser et tient à donner un sens à son passage sur terre, aussi court qu’il soit. Il semble que, rarement dans l’Histoire, la réalité n’a donné un démenti à cet orgueil insupportable. On n’a jamais arrêté de progresser, d’avancer, et subitement un coup d’arrêt à cette avancée s’impose à l’être humain, qui se croyait sûr de son avenir ! C’est à cette rupture brusque, inattendue, dans l’Histoire qu’il nous importe de réfléchir.
Une première remarque est nécessaire : le monde a été créé pour être mis dans les mains de la créature. Le commentaire du Ramban (Nahmanide) explique le terme : « לעשות » – au verset 3 du Ch. 2 de Beréchit : « Il s’est reposé de l’œuvre qu’Il avait créée pour la faire » (« La’Assot »). Jusque-là, la création était « ex nihilo » (de l’être à partir du « non être ») et à partir de la fin de la création, Il continue à renouveler la nature, mais à partir de l’existant. Certes, comme on le dit deux fois dans la prière du matin, « Il renouvelle chaque jour, continuellement, l’œuvre de la Création », cependant ce n’est plus à partir du néant mais à partir de l’être que la créature est « associée » au Créateur, selon l’expression du Rav de Volojine dans le « Néfèch Ha’haïm ». La créature est chargée de collaborer, et de maintenir l’œuvre de la création. Cette notion doit être reçue comme le premier principe du devenir du monde. Directement, s’il observe ou désobéit à la Torah, pour le Juif – indirectement pour le non-Juif – la création entière dépend de l’activité de l’homme. C’est l’affirmation fondamentale du sens à donner au monde. De l’action de l’être créé dépend le maintien de la création, directement par l’observance des Mitsvot, et indirectement par la conduite éthique de l’humanité.
Au-delà de cette responsabilité cosmique, toute tentative de l’être humain de se prétendre acteur actif dans l’univers ne peut être que vanité, car c’est s’approprier une exclusivité dans le devenir et, plus grave encore, c’est ignorer l’Associé, c’est-à-dire le Créateur. Envisagé sous cet angle, que signifie une épidémie qui inclut l’humanité entière ? Une réponse de la Transcendance qui se sent congédiée à notre époque. La Vanité de l’être créé s’installe pour affirmer sa force, sa puissance. C’est ainsi que toutes les avancées pratiques de la technologie moderne peuvent être positives, si elles s’inscrivent dans un plan éthique, comme il a été précisé plus haut au nom du Ramban : « Sache, est-il annoncé à l’homme, que la création et toutes les inventions sont orientées pour le progrès de l’humanité, mais les détourner de cette intention, c’est VANITE, car c’est s’attribuer la dimension de l’Etre Suprême. »
Un ennemi qui se cache, que l’on ne sait comment combattre, c’est la réponse à l’assurance, à la vanité de l’être humain, qui s’arroge le droit de diriger l’avenir. Alors, le Tout-Puissant souligne l’impuissance de l’homme. Il ne s’agit pas d’appeler cela une punition : ce n’est pas cet aspect qu’il convient de définir. On devrait plutôt penser à l’expression employée par Moché Rabbénou dans la « Chirat HaYam », le cantique de la mer, décrivant l’intention triomphante de Pharaon, préparant sa victoire : « Il disait, leq ennemis : ‘Je vais les poursuivre, les atteindre, je partagerai le butin, je les dominerai, je tirerai mon épée, je les exterminerai’. (Il a suffi) d’un souffle de Ta part, et la mer les a engloutis » (Exode 15, 9-10). On aurait presque envie de dire : « On triomphe, la machine va nous amener de progrès en progrès, on va conquérir l’espace, peut-être vaincre la mort, et il suffit d’un petit virus parti d’Extrême-Orient, invisible, et qui risque à chaque instant d’apparaître sans qu’on le sente, pour bouleverser l’univers entier, la santé, l’économie de la planète » ! N’est-ce pas suffisant pour ridiculiser la vanité de la créature qui s’est crue toute-puissante ! Gardons les proportions, éloignons-nous de l’orgueil et de la vanité, et sachons reconnaître, en toutes circonstances, la présence et l’action du Tout-Puissant !