A l’heure où le Président de la République Emmanuel Macron réfléchit publiquement sur le séparatisme, et tente d’en donner une définition, il ne sera pas inutile, semble-t-il, d’en dégager la signification, du point de vue de la Torah. Eviter de s’assimiler est, assurément, une base du séparatisme : se distinguer, pour ne pas s’intégrer à une société. C’est la définition appliquée par les ‘Hazal à Avraham Avinou, appelé Avraham l’Hébreu (Ivri) ainsi d’après le terme « Ever », au-delà. Le monde entier vit d’un côté, et Avraham Avinou de l’autre côté.
Première approche : se sentir, s’affirmer « distinct », « différent ». L’idéal social serait-il de s’intégrer, « d’être partie » d’un tout ? Se séparer signifie refuser le groupe, le social, ou ne serait-ce pas plutôt une expression extrême du MOI. C’est ici qu’il faut absolument distinguer le facteur négatif de l’aspect positif, constructeur du séparatisme. Objectivement, l’expression, telle qu’elle est utilisée aujourd’hui dans les médias, implique une idée négative, un refus d’intégration dans la société française, une sorte de repli sur soi de la communauté musulmane. Ce refus est perçu de façon négative et est à la source de tous les conflits sociaux, humains, qui caractérisent les relations entre les musulmans et la population française.
Cependant, il convient, dans la perspective de la sainteté, de dégager ce que peut signifier un séparatisme positif, c’est-à-dire non pas un refus, mais une acceptation, une protection contre les dangers de l’assimilation. Non pas un combat, un affrontement, mais un paravent, permettant un éloignement fondamental, protecteur, au-delà duquel se cache l’être d’Israël. Ici se situe le paradoxe de la différence fondamentale entre le séparatisme musulman et la séparation d’Avraham. L’attitude séparatiste du Juif est de ne pas s’intégrer dans le temps : c’est ce que Levinas nomme exactement l’anachronisme d’Israël. Pour Israël, le judaïsme se situe en dehors du temps et de l’espace. Il est « une non-coïncidence avec son temps » (E. Levinas, Difficile liberté, p. 237). Ne cherchant pas à dominer, il se situe en dehors de l’histoire. En cela, assurément, il dérange la société contemporaine, mais il ne cherche pas à s’imposer, il ne fait pas de prosélytisme. Contrairement à ce qu’a dit De Gaulle, le judaïsme n’est pas dominateur. Le culte musulman, la religion islamique, cherche non seulement à se développer – ce qui est normal, mais difficilement acceptable dans une société démocratique, mais aussi à attirer à soi de nouveaux adeptes. Ici le séparatisme musulman est totalement différent car il implique un désir de domination, d’expansion. De plus, les manifestations du culte musulman se situent également à l’extérieur : le voile, la prière dans la rue, autant de manifestations qui apparaissent contraires à l’ordre occidental.
La Torah, elle aussi – on l’a relevé – exige une séparation, mais elle se situe ailleurs que dans le camp de la société : certes, la viande « Cachère », comme la viande « Hallal », semblent des objectifs communs de l’opposition « laïque », mais ce n’est pas cela la pierre angulaire de l’antagonisme. Rappelons-le : l’islam est une copie non conforme du judaïsme, comme le souligne Haïm Bar Zeev, dans son excellent livre : « Une lecture juive du Coran ». Certaines pratiques peuvent paraître semblables, mais l’essentiel, le but final, est totalement différent.
On comprend donc, en conclusion, que l’islam dérange, et qu’il paraisse « séparatiste », ce qui n’a jamais été le cas du judaïsme. C’est d’ailleurs ici l’attitude paradoxale de l’islam qui, tout en étant une religion qui veut se répandre spirituellement dans l’univers, cherche également à dominer matériellement, à créer des empires terrestres. Le Ramban explique ainsi le verset relatif à Ishmaël : « Il sera un sauvage parmi les hommes. Sa main sera contre tous et la main de tous sera contre lui » (Beréchit 16,12) : « Ils seront des brigands, tous le haïront ; il s’attaquera à tous les peuples et tous s’attaqueront à lui ». Et Ibn Ezra conclut : « Au début, il triomphera des nations, mais finalement ce sont les nations qui le vaincront ». Ce que la République dénonce dans l’Islam français, c’est de se manifester extérieurement, et de former presque un état dans l’état. Certes, ils ne sont pas des brigands, mais l’Islam radical a bien montré ses possibilités en France. Récemment encore, un professeur qui avait parlé de Mahomet de façon négative a été assassiné.
Sachons toujours être rationnels : l’Islam cherche à dominer le temps et l’espace. C’est ce qui apparaît comme la source du séparatisme, leur prosélytisme et leur difficulté de s’intégrer dans la société moderne. Le peuple juif, certes séparé des nations, comme Avraham Avinou, peut vivre dans chaque époque en harmonie avec l’époque, il n’apparaît pas séparatiste, s’il reste fidèle à sa foi qu’il ne cherche pas à imposer. A ce niveau, il n’est pas négatif pour le croyant de se sentir distinct, mais il sait qu’il s’intègre dans un devenir, dans une Histoire dont il est l’acteur. L’Histoire profonde n’arrête pas, et il importe de sentir qu’elle conduit vers un but final, sans intégration, sans séparatisme, mais fidèle à l’observance. Ce message ne saurait être démenti.