Pointé du doigt par certains observateurs vilipendeurs, le monde 'Harédi (orthodoxe israélien) est raillé pour avoir connu ces derniers jours un taux de contagion important : à Bnei Brak, on a relevé que 1/3 des testés au Covid-19 étaient positifs contre seulement 12% dans la population globale. Pourquoi trouve-t-on chez les 'Harédim le triple de malades répondants aux symptômes du Covid-19 contaminés par la maladie par rapport au reste de la population ? Comment expliquer un tel taux de contamination dans le monde orthodoxe ? Les rabbins ont-ils empêchés l'application des mesures de confinement ?
Avant de tenter de répondre à ces questions, une petite mise au point s'impose. Il faut garder à l'esprit que le monde orthodoxe a moins accès aux déclarations du premier ministre et surtout à l'hystérie collective liée à ce terrible virus. Les relents de condescendance sont toujours les mêmes, c'est le moment de ressortir le redondant syllogisme: les 'Harédim n'ont pas accès aux informations. Ne pas avoir accès aux informations est archaïque. Les 'Harédim sont archaïques. Tenus par des non-juifs, de tels propos seraient vite classés sans suite pour ethnocentrisme aggravé, cette faculté à voir la vie par le bout de la lorgnette que la nôtre a bien voulu nous faire voir. Par contre, lorsque les propos sont tenus par des gens de notre communauté, il faudra leur rappeler qu'avoir un mode de vie en conformité avec les desseins qui sont les Siens et les siens, à savoir, grandir dans la connaissance de la Torah et la crainte du Ciel nécessite quelques sacrifices sur la vie moderne. N'importe quel esprit sain et cohérent est amené à comprendre que se délester des réseaux sociaux et des sites d'informations est une condition sine qua non pour devenir un véritable érudit complet en connaissances de ‘Houmach, de Halakha et de Talmud. C'est à se demander si ces esprits sachants ont érigé le mode de vie occidental (puisqu'on ne peut même pas parler de culture) au rang de sacro-saint. La profanation du monde moderne par les 'Harédim plus que jamais déconnectés doit-il nécessairement les confronter à une meute d'ayatollahs de la bien-pensance occidentale ? Eriger le mode de vie ultra-moderne à une finalité en soi n'est-il pas une vision archaïque de la société ? Car si ce n'est qu'une question de point de vue, aujourd'hui, les orthodoxes ont un temps d'avance bien marqué sur la société moderne qui reste assujettie à ses téléphones, ordinateurs et autres chaînes d'informations anxiogènes en continue. Le plaisir d'être centré uniquement sur l'essentiel se diffuse d'ailleurs lentement dans la grande société en manque de valeurs.
Si les orthodoxes de Jérusalem, Bnei Brak, Modiin Illit et Elad connaissent – en Nissan malheureusement, des scores record en Israël, c'est aussi et surtout pour des raisons démographiques. Lorsque la densité est 4 fois supérieure à celle de Tel Aviv et Jérusalem, cela n'incite naturellement pas à une issue optimiste.
De plus, le mode de vie de ces communautés est connu et archi connu puisqu'il n'évolue pas. Les hommes prient et étudient toute la journée, sont amenés à faire les courses, les femmes travaillent en ville ou dans les grandes villes. Les bus sont utilisés de 5h à 1h du matin. Ces données sont-elles nouvelles pour l'Etat d'Israël ? Le ministère de la Santé a-t-il eu besoin de lancer des grandes enquêtes sociologiques pour le comprendre ?
C'est là que le bât blesse. Les rabbins n'ont pas empêché d'appliquer les restrictions du ministère de la Santé, arrivées au compte-gouttes. A Modiin Illit, le Rav de la ville a lancé un message téléphonique à toute la ville après la mi-mars, les caisses de santé appellent tous les jours. A Bnei Brak, des affiches sur les murs expliquent comment éternuer et toujours bien se distancier. Partout, les gens font ce qui est en leur mesure pour prendre les choses au sérieux, peut-être plus qu'ailleurs, oserait-on dire.
Les rabbins ne sont pas épidémiologues et chaque communauté a fait comme elle a pu avec les instructions qui étaient données par l'Etat. Si le Rav Kanievsky Chlita a dit que l'épidémie serait plus dangereuse sans l'étude des enfants d'Israël c'est parce que c'est une réalité. Personne ne peut faire dire que le Rav a indiqué de négliger les mesures nécessaires. Toutes les écoles restées ouvertes au début des mesures restrictives ont respecté les distanciations de 2 mètres et des classes de 10 élèves. Puis, lorsque les choses ont rapidement évolué, il a été interdit de se rassembler tout bonnement et simplement et ces mesures ont été appliquées dans le monde orthodoxe. Les Guédolim (les grands maîtres de notre génération) depuis le début de la crise ont énormément insisté sur l'obligation d'écouter les consignes du Ministère de la Santé, ce qui revient à dire que ces consignes ont le statut de décision Halakhique. Depuis le début de la crise, l'Etat d'Israël par l'intermédiaire de son premier ministre Binyamin Netanyahu a tiré la sonnette d'alarme. L'à-coup n'était visiblement pas suffisamment franc. Les responsables sont peut-être politiques et non pas religieux.
A l'avenir, il serait préférable d'admettre que puisque nos points de vue n'engagent que nous, il est vain de les transformer en jugements de valeur et d'être insultant vis-à-vis d'une communauté. Pourquoi vivre dans la radicalité et professer avec béatitude une pseudo largesse d'esprit lorsque nos propres mots prouvent une conception du monde empreinte de limites liées à son petit Moi.