Il n’est guère nécessaire d’être un profond psychologue pour signaler que la source réelle de la morosité, d’une éventuelle dépression, est fondée sur une triple impression négative : la difficulté de donner un but à l’existence provient d’une part d’une absence de motivation élevée ; de plus, de l'impossibilité de concrétiser une éventuelle signification ; et si, pourtant, elle est concrétisée, cette signification aura-t-elle une durée ? Toute cette réflexion, bien souvent inconsciente, interdit à l’homme contemporain d’émettre des idées originales. Empêtré dans ses chiffres, l’homme moderne a du mal à se libérer : numéro d’identité, numéro de la voiture, numéro de la Caisse d’Assurance, etc. L’ère numérique n’a, évidemment, fait qu’accélérer cette situation. La morosité est bien souvent une conséquence de cette « déshumanisation ». La société moderne n’organise pas cette « descente aux enfers » mais elle l’encourage, sinon directement, de façon passive indiscutablement. De nombreux suicides de jeunes qui n’ont rien à espérer sont à déplorer. Les guerres sont, bien souvent, dues à ces refoulements : nécessité d’agir violemment, qui se heurte à des interdits, sociaux ou économiques.
Il est extrêmement intéressant – et également fort utile – de relever que l’étude quotidienne du Talmud non seulement évite les débordements mais maintient une vie sociale non chaotique, organisée et enrichissante. Ce n’est nullement une panacée qui guérit un malaise, mais un acte éminemment positif, qui prévient, qui évite les débordements. Les Sages ont clairement formulé cette idée : « J’ai créé, dit l’Éternel, le Yétser Hara' (tendance à faire le mal), et Je lui ai donné la Torah (l’étude, l’observance) comme antidote » (Traité Kiddouchin 30b). L’observance crée une discipline : c’est évident. Mais l’étude quotidienne du Talmud répond précisément aux trois desiderata, nécessaires pour satisfaire les besoins spirituels, exprimés précédemment, de notre génération.
D’abord, l’étude du Talmud éveille, interroge, exige une attention permanente. Il ne s’agit pas d’un enseignement académique, prêché par des rabbins anonymes, qui discutent entre eux, se disputent s’il le faut. Il n’y a point ici d’élément personnel, de gloriole, mais seulement d’un désir de faire au mieux la volonté de l’Éternel. Les oppositions d’idées peuvent être violentes, mais elles ne sont jamais personnelles, même si quelquefois les affrontements semblent vifs. Le but est toujours de découvrir la vérité de la volonté divine. C’est ici le second rôle utile de l’étude quotidienne. Il ne s’agit jamais d’une construction arbitraire ou individuelle. Le but est toujours de s’intégrer dans un « ordre » précis, même s’il ne s’agit pas toujours d’un ordre « cartésien », comme un esprit occidental s’y attendrait. Cependant, il y a un SENS, un but constructif, en vue de s’inscrire dans une direction transcendante, qui dépasse le présent. Et c’est là, la 3ème dimension utile de cette étude : nous rapprocher de D.ieu. Il ne s’agit pas d’une construction qui risque de s’effondrer demain, qui serait changeante, éphémère, dépendant d’un cerveau humain. S’attacher à l’Éternel, en étudiant Sa Loi, ne peut être qu’un effort sublime et satisfaisant, et c’est cette option qui nous préserve de l’éphémère, du limité qui menace autrement la pensée individuelle fondée sur le MOI, sur une indépendance intellectuelle. Ce refus de reconnaître une Pensée qui la transcende est à la source des désordres contemporains. C’est le philosophe Emmanuel Levinas qui a su rétablir la véritable échelle des valeurs, en redécouvrant dans le texte talmudique l’écho de la Révélation du Sinaï, et a ainsi ouvert des horizons inexplorés pour nos contemporains. De même, le retour à l’étude et à la pratique d’un Benny Lévy, ou d’un Ouri Zohar, ont, chacun dans son domaine, apporté un éclairage fondamental à cette perspective qui interroge une époque désorientée. C’est le lien avec une Transcendance, c’est-à-dire le troisième volet, seul ce lien réel avec le pan spirituel de l’étude, ce n’est que sous cet aspect qu’un sens peut être donné à notre génération. Retourner à l’étude fut, il y a près de 100 ans, le but du Rav Méïr de Lublin, qui lança la formule du « Daf Yomi », de l’étude quotidienne d’une page de Guémara. Cette dimension, qui nous relie à l’héritage ancestral, unit les Juifs de toutes origines. Cet aspect universel, seul, peut contribuer à donner au fidèle l’impression d’être relié à un Tout, horizontal – aujourd’hui – et vertical – hier et demain – en donnant une dimension métahistorique à l’existence de notre peuple, pour préparer le devenir historique de la découverte du Tout-Puissant par l’humanité entière, le jour où Son règne sera reconnu par l’univers entier. L’étude et l’observance de la Torah, véritable respiration de l’être juif, ont pour but de permettre à Israël d’être la « lumière » qui doit éclairer l’humanité, lui donner un sens, et préparer la venue de l’ère messianique.