Un jeune soldat israélien s’asseoit sur le sol à côté d’un homme âgé nécessiteux au marché de Jérusalem, écoutant avec grande attention et respect des paroles de Torah.
Ce n’est pas une image d’un autre siècle, bien qu’elle soit antérieure à la pandémie de Covid-19. Sur ce cliché riche de sens et parlant de lui-même, un jeune fantassin de l’armée israélienne (Tsahal), affecté à un bataillon religieux, s’est assis à côté d’un mendiant d’un âge avancé du Chouk Ma’hané Yéhouda, le marché de Jérusalem, pour écouter ses sages enseignements et apprendre de lui pendant quelques minutes éternelles.
Une image qui semblerait de prime abord complètement anachronique, tant la société occidentale est marquée par ce que l’on pourrait appeler un véritable culte de la jeunesse. Que ce soit dans le monde du travail, par le truchement d’opérations de chirurgie esthétique ou dans le domaine du sport par exemple, toute idée de jeunesse est perçue positivement. Un dictionnaire des synonymes français l'atteste de façon éloquente : à "jeunesse", l'on rattache les notions d'enthousiasme, de beauté, de bel âge, de force et de fraîcheur ; à l’inverse, la vieillesse est vécue difficilement et est regardée par le prisme de stéréotypes déplaisants : incompréhension du « nouveau monde », des technologies, allant jusqu’à regarder ses aînés, ‘halila, comme des « fardeaux », dont il faut payer les pensions et les maisons de retraites… Ce même dictionnaire des synonymes enfonce le clou sans vergogne : la vieillesse est assimilée à l'agonie, à la caducité, au déclin et à la sénilité. D'ailleurs, à la sempiternelle question entendue dans les couloirs des entreprises le vendredi matin en France « Tu fais quoi ce week-end ? », un collègue de travail (non juif) me répondait à l'époque, sans aucun trait d'esprit : « J'ai déjà l'après-midi de samedi de perdu, je dois me taper mes croulants », comprenant, non sans amertume, avec un peu plus de loquacité de sa part qu'il avait placé ses parents, pourtant en bonne santé et sains d'esprit, en maison de retraite et qu'il allait leur rendre une visite mensuelle. Tout un programme.
En somme, les seniors gênent cet Occident « décadent », ce qui est paradoxal compte tenu de son infertilité, morale et au sens propre du terme : en 2018, le taux de fécondité était de 1,55 enfant par femme en Europe, largement inférieur au seuil de renouvellement de la population (2,1). Pour simple comparaison la même année, le district juif de Jérusalem tutoyait les 4,5 enfants par femme. En Europe, la vieillesse est mal vécue mais on ne fait pas - ou si peu - d’enfants pour autant. Une civilisation déclinante, actrice active de sa propre extinction…
Le judaïsme s’inscrit aux antipodes de cette vision des choses. Qu’il s’agisse des faits relatés par la Torah, dans son éthique et dans ses lois, notre tradition considère l’âge avancé comme un privilège. Par l’expérience et la sagesse engrangées au fil du temps, le respect dû à nos anciens – le fameux Kavod – n’est pas limité. Ils représentent pour nous un phare dans la pénombre anxiogène des dernières générations, incarnant une inspirante sagesse, et aussi un témoignage de la transmission ininterrompue de la parole Divine reçue au mont Sinaï il y a quelques milliers d’années. Il suffit de les regarder prier, parler de D.ieu ou avec Lui, parfois sans être forcément religieux, pour ressentir profondément la proximité ineffable du divin. Les personnalités les plus en vogue du judaïsme authentique ne sont pas des jeunes vedettes, mais des rabbanites et des rabbins souvent centenaires, ayant atteint un savoir et une sagesse littéralement extraordinaires, forçant le respect de toute une génération à la recherche éperdue de vrais modèles.
Alors que notre tradition orale (Talmud Sanhédrin 97a-98a) rappelle que la génération dans laquelle le Machia’h se révélera sera marquée par l’impudence des jeunes envers leurs aînés, cette photographie nous montre le vrai monde d’après, le monde idéal : les plus jeunes écoutant les plus âgés, avec un infini respect.