Il existe une idée fixe dans la culture occidentale, basée sur une lecture chrétienne de la Bible selon laquelle la foi en D.ieu serait liée à une haine de l’humanité. Une mauvaise lecture de la faute d’Adam est à la source de cette très grave déviation de la pensée. Un film récent très populaire, des livres publiés par des écologistes semblent se fonder sur le texte biblique, pour expliquer que l’humanité est méchante, qu’elle détruit la planète. Un livre écrit par une des têtes pensantes de l’écologie écrit : « L’humanité disparaîtra, bon débarras ! » Comme l’écrit un éditorialiste, qui fustige cette idée contemporaine, selon cette idéologie, « l’humanité est le mal ». Cette « anthropophobie » (haine de l’humanité), cette détestation de l’espèce humaine se retrouve de plus en plus un peu partout, chez nos contemporains sous la plume essentielle d’écologistes, pour lesquels seule la Terre, la nature est bonne, mais l’homme, lui, détruit cette nature, et ne doit pas survivre… On préconise ainsi toutes sortes d’incitations à l’extinction de l’humanité. La Terre, personnifiée sous le nom de Gaïa (« terre » en grec), qui peut « développer une forme de vie autonome, capable de maintenir ses équilibres et de se défendre contre les humains » (qui veulent la détruire) (Article de l’Express n° 3731 – Janvier 2023, écrit par Gérald Brenner). Une certaine forme d’adoration de la nature ne peut pas apparaître au Juif croyant dans la Torah. Une telle croyance ne peut être considérée que négativement, puisqu’à nos yeux, D.ieu a créé la terre et la nature pour le bien des hommes. Mais c’est la conséquence envisagée par cet éditorialiste, qui dénonce très fortement, assurément cette détestation de l’humanité, et c’est la conséquence qu’il tire de cette philosophie. Il prétend que cette haine pour l’humanité, cette anthropophobie cache en réalité une nostalgie des récits religieux. Le péché primordial de l’humanité, c’est la guerre, la destruction de la nature. L’humanité devrait avoir, selon cette idéologie, la nostalgie d’un temps – précédant la faute d’Adam – où le péché, la destruction du bien et du mal n’existaient pas. « L’arrachement à sa condition édénique a précipité l’humanité dans son histoire faite de malheurs et de développements technologiques… Cette mythologie contemporaine charrie une religiosité qui se dissimule sous les bons sentiments. Lorsque l’on chasse D.ieu par la porte, Il revient par la fenêtre de la fiction » (Article cité supra). Conclusion évidemment totalement erronée, mais qu’il faut connaître, et ne pas se laisser séduire par elle.
Un premier point évident est l’absence contemporaine de toute idéologie constructive, et il existe, de ce fait, une quête qui ne sait pas “vers où” se diriger. Alors, le culte de la nature est une fuite, et d’une certaine façon rejoint la mythologie païenne qui faisait des forces de la nature des dieux. L’évocation de Gaïa est peut-être une allusion inconsciente à ce paganisme. De plus, une seconde grave faute se dissimule ici : selon la Torah, le péché d’Adam n’a nullement fermé définitivement les portes de l’amélioration de l’homme. On retrouve ici, comme on l’a relevé plus haut, la perspective pascalienne de la condition misérable de l’homme. Pour le Juif, l’homme n’est jamais méchant par principe. Il a deux penchants, qui l’attirent : le bien et le mal. C’est à l’homme de lutter, par l’observance de la Torah, pour faire le bien. La Guémara dit : « J’ai créé le penchant au mal, mais Je vous ai donné la Torah comme antidote » (Kidouchine 30b). Il nous appartient de faire le bien, en observant la Torah. Il n’y a nulle perspective pessimiste première pour l’humanité car les nations du monde ont également reçu les sept ordonnances Noa'hides (transmises aux descendants de Noa'h). Nulle prédestination absolue à un pessimisme sur la condition humaine.
Qu’on nous comprenne bien : le journaliste critique avec raison la haine de l’humanité qui circule aujourd’hui surtout parmi les écologistes, mais il fait fausse route car il se base sur une conception pessimiste, dans la religion chrétienne, de l’attitude de D.ieu face à l’humanité.
C’est ce qui explique la troisième et plus profonde erreur : D.ieu est BON, par essence. Le texte des Psaumes nous dit : « Louez l’Éternel, car Il est bon » (Téhillim, 137, 1), et les Sages donnent deux interprétations à ce verset fondamental : « Car D.ieu est bon », ou bien « Car c’est bon de Le louer ». Il est la Source de toute bonté, et Il a créé une bonne création, mais c’est à nous de Le reconnaître, et de ne pas abîmer Sa création.
La perspective anthropophobe n’est qu’un résidu d’une époque vide de valeurs transcendantes. Elle se nourrit certes du besoin de donner un sens (ou de dire qu’il n’y a pas de sens !) et de la difficulté de reconnaître le Créateur. Contrairement à ceux qui disaient qu’il faut imaginer Sisyphe (symbole mythologique de l’absurde) heureux, elle détruit même l’idée de bonheur pour l’humanité. Pour Israël, les promesses prophétiques restent notre apanage. Nous savons qu’il y aura une Révélation qui apportera le bonheur à l’humanité. Cependant, pour y parvenir, il ne faut jamais cesser les efforts, savoir que « le Messie est à nos portes ». On ne saurait mieux conclure cette lecture de la Nature et du rôle de l’homme qu’en citant le texte suivant, écrit par le Rav Elie Munk :
« C’est ici qu’intervient le rôle créateur de l’homme. L’œuvre de la nature une fois achevée, son destin dépend désormais de l’homme. En mettant toute la nature à ses pieds, pour qu’il la domine, D.ieu a livré Son œuvre à l’homme. Il a clôturé le chapitre de la création et a ouvert celui de l’Histoire, qui dépend de l’homme. Que deviendra, dans l’évolution du temps, l’harmonie universelle créée par D.ieu et confiée à l’homme ?
Voilà la question à laquelle l’Histoire doit fournir la réponse. Si l’homme sait maintenir la merveilleuse harmonie de l’ordre divin, ce sont la paix et la félicité qui règnent sur terre et qui se propagent jusqu’aux sphères de la vie animale. S’il la détruit, le monde sombre infailliblement dans le chaos et l’épouvante.
En dernier lieu, il ne s’agit, en quelque sorte, de rien de moins que des destinées de D.ieu sur terre. L’harmonie universelle et la royauté de D.ieu sont inséparablement liées l’une à l’autre, puisque l’harmonie est l’expression terrestre de l’unité divine. C’est par elle que D.ieu fait régner sur terre la concorde et le bonheur et c’est par elle que les hommes reconnaissent Sa glorieuse majesté » (Vers l’Harmonie, p. 22-24).