« Là, on est dans quelque chose qui relève d'une haine du Juif qui dépasse même l'intérêt de la rue palestinienne. Le but, ce n'est plus d'avoir un État, le but, c'est de tuer des Juifs. »
« Si je peux avoir un peu de colère, c'est en effet contre tous les gens qui sont prompts à pétitionner trois fois par semaine pour tout et pour rien. Je suis surpris quand je vois tous ces grands militants humanistes qui ne disent pas un mot face aux violences indescriptibles et aux massacres qui ont eu lieu dans le sud d'Israël ».
« Lundi 9 octobre, 20 000 personnes ont marché contre le terrorisme en disant : libérez les otages. Mais les grandes voix françaises, les grands généreux qui sont pour toutes les causes, ceux qui trient leurs déchets... Je ne les ai pas entendus, pas vus. À la manif, il n’y avait que des Juifs, à 99%, c'est triste. »
C’est Joann Sfar, le dessinateur français de BD le plus prolifique de ces 20 dernières années, qui parle. Ses parents sont tous les deux Juifs, son père d’origine algérienne et sa mère d’Ukraine. Elle décède alors qu’il a 3 ans et il se réfugie alors dans le dessin, qui apaise toutes ses peines. Après une maîtrise de philo, il est étudiant puis professeur aux Beaux-Arts, et se veut de tous les combats pour les minorités et les opprimés, donc de gauche.
Se définissant comme Juif maghrébin, ayant grandi grandi avec les Arabes, il manifestait il n’y a pas si longtemps avec des amis palestiniens pour leur droit à une terre. Il croyait alors à la cohabitation.
Mais aujourd’hui, profondément bouleversé par les massacres du 7 octobre, il exprime via ses dessins son indignation et sa consternation face aux attaques contre Israël : la notion de terrorisme, un mois après le pogrom de Sim'hat Torah, est déjà inversée, et l’État hébreu accusé des exactions qu’il a subies. L’Europe, qui en matière de génocide en a pas mal à se faire pardonner, cautionne avec une répugnante complaisance ce qu’elle veut entendre, à savoir qu'Israël commet “des crimes contre l’humanité”. Discours si doux aux oreilles d'Essav…
Devant l’absence de réaction des grandes prêtresses des droits des femmes, Sfar s’étonne également :
« Où est la voix des militantes féministes devant les images de ces jeunes femmes à qui on a arraché leur bébé, de ces filles dont on voit les habits ensanglantés ou dont on exhibe le cadavre sur des 4×4 ? Si ça, ça ne vous fait pas réagir, alors arrêtez d'applaudir les déportées lors de marches-anniversaire de la libération des camps ! C'est trop de bonne conscience d'aimer les Juifs en pyjama rayé ou à Auschwitz et de ne pas les aimer quand de temps en temps, ils voudraient qu'on ne les tue pas. »
Joann Sfar est Juif, intimement, et lorsqu’on lui dit d’aimer son prochain, il le prend à la lettre, sans aucun calcul, sans affinités sélectives, de race, de tendance politique ou de religion. Il y a une cause défendable, il y va. Alors que les « potes » du passé, avec lesquels il a fait les manifs au coude à coude, avaient dans leur agenda, il le comprend maintenant, une très longue liste de conditions avant l’amour d’autrui.
Envoyé spécial à Jénine
Né un an après Sfar, à Jérusalem, dans un tout autre décor, de famille irakienne, Zvi Yehezkeli, gradé d’unité de combat de Tsahal, est aujourd’hui le responsable du Desk sur les questions arabes de la chaîne 13 en Israël. Il a réalisé une célèbre série-documentaire, où grâce à son arabe impeccable et un physique oriental, il est entré en contact avec les chefs des islamistes en Europe, et a pénétré leurs nids en Belgique. Il a rencontré et interviewé Arafat, et a vécu des mois infiltré dans la population palestinienne.
Son immense expérience de terrain, sa connaissance parfaite des mentalités et des codes, il les doit à un séjour prolongé chez une famille arabe de Hévron. D’après lui, nous nous sommes complètement fourvoyés sur la problématique du Proche-Orient, et l’état-major israélien n’a pas compris à qui il avait affaire.
« La conception de l’armée et de la direction du pays, après les conflits de 1948 et 1973, était d'éviter une guerre, de mettre en place une politique de "donnant-donnant", de "cessez-le-feu contre victuailles", de "calme contre des permis de travail". C’est une approche complètement erronée, devant une organisation qui veut nous anéantir. Lisez leur charte, écoutez-les parler entre eux, cela ne fait aucun doute.
Historiquement, après la chute du Mur de Berlin et la dislocation de l’URSS, les nations sont entrées dans une nouvelle ère, aspirant à un monde sans frontières, sans religions, sans nationalismes et surtout sans plus de combats armés. C’est dans cette euphorie qu’Israël a cru en la paix, donnant son premier élan à l'autorité palestinienne, alors que la Tunisie et le Koweït l’avaient chassée et qu’elle était au bord du démantèlement.
J’avais demandé à Arafat lors d’une rencontre pourquoi il avait refusé l’offre du premier ministre Ehud Barak, lors de Camp David en juillet 2000, où il devait recevoir 92 % des territoires qu’il réclamait, avec le démantèlement de 63 colonies en Judée-Samarie, plus le contrôle de Jérusalem-Est.
Arafat me répondit alors : "92% égale zéro !" »
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Zvi, laïc endurci, au détour d’une conversation avec un recherché palestinien, il y a 20 ans, changea de cap.
L’homme lui demandait :
« Comment tu te définis ? »
Zvi répondit :
- « Israélien
- Et après ?
- Après… ? Hébraïsant !
- Et après ?
- Après ? Un homme, un humain… »
Et le palestinien de lui dire : « En haut de ta liste, tu dois te définir en premier comme un idiot, car tu peux te faire tuer pour quelque chose que tu ne prends même pas en compte : le fait que tu sois d’abord juif !! »
Yehezkeli ne sortit pas le même de cette conversation, et la remarque de l’arabe fit son chemin. Ce fut le point de départ de son retour aux sources. Il est aujourd’hui pratiquant, affilié à la 'Hassidout Breslev et père de 8 enfants.
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Deux hommes, deux destins, deux frères, Joann et Zvi, sortent de leurs anciennes certitudes, pour trouver la vérité. L’un, Juif français, se repositionne devant l’Occident - Edom - et ses libertés factices ; l’autre, authentique Sabra, pur produit israélien, après avoir compris que Ichmaël répondra systématiquement par la violence aux tentatives de paix, a courageusement repensé sa terre promise et est revenu aux racines millénaires du judaïsme, celles qui donnent tout son sens au pays.
Devant un monde qui se polarise entre le bien et le mal, nous-mêmes ne pouvons nous offrir le luxe des définitions floues et des identités nuancées.