L’histoire suivante a paru récemment dans les médias israéliens : un jeune Israélien a décidé de se lancer dans une étude sociologique. Il s’est déguisé en aveugle, s’est stationné à un coin de rue, et a demandé aux passants de lui faire de la monnaie sur un billet de 20 shekels, en lui donnant deux pièces de 10 shekels. Or, le billet qu’il tenait en main était un billet de 200 shekels. L’idée était de vérifier si les gens résistaient à la tentation et l’avertissaient de son erreur, ou lui mentaient en empochant 180 shekels. En vérité, l’idée n’était pas vraiment la sienne, mais celle d’un jeune Américain déguisé en aveugle qui a fait le même test dans les rues aux Etats-Unis. Il a demandé aux gens de lui faire la monnaie sur un billet de 5 dollars, alors qu’en vérité il leur tendait un billet de 100 dollars.
 

Résultats très étonnants aux Etats-Unis

En Amérique, plus de la moitié des passants se sont joués de « l’aveugle ». Ils se sont montrés très aimables, lui ont placé dans la main cinq pièces d’un dollar et sont partis avec le billet de cent dollars. (Juste pour quelques pas, le temps que le comédien leur court derrière, leur annonce qu’il n’est pas vraiment aveugle et qu’eux ne sont pas très intègres…) Plus encore : un homme a subtilisé au prétendu aveugle les cent dollars, a continué à marcher et s’est enfui. Il ne lui a même pas donné les 5 dollars qui lui revenaient.
 

Les résultats en Israël sont totalement différents

Le jeune « aveugle » demanda la monnaie des 200 shekels qu’il présenta comme un billet de 20 shekels à des dizaines de personnes de tous les âges, de tous les niveaux socio-économiques, et les résultats sont remarquables. Tous, sans exception, lui ont fait part de son erreur et l’ont même aidé. Certains lui ont même offert un don de vingt shekels.

Bien entendu, cette histoire nous réchauffe le cœur.

Toutefois, cette expérience, aussi émouvante fût-elle, ne prouve pas ce que l’Israélien et l’Américain ont voulu prouver : la qualité de droiture de l’homme. Elle a peut-être réussi à prouver le bon cœur de ceux-ci par rapport à ceux-là : il apparaît que malgré toutes les divergences d’opinion, les Juifs aideront toujours leurs coreligionnaires. Les Juifs sont de nature compatissante, de père en fils. L’une des différences réside dans le fait que les habitants d’Erets Israël sont en grande partie des Juifs, et les Etats-Unis sont un continent rassemblant des gens de diverses origines qui n’ont rien à voir entre eux (melting-pot).

Mais la compassion, l’assistance et le bon cœur, c’est une chose, la droiture et l’honnêteté, c’en est une autre.


La "compassion juive"

Le professeur Dan Arieli, spécialiste de la science des jeux, a mené de nombreuses enquêtes testant les attitudes de l’homme dans une foule de situations, et a même consacré un livre à ce sujet : « Haémet ‘Al Baémet » « La vérité sur la malhonnêteté », qui traite de la droiture face à la tromperie, et des divers moyens par lesquels l’homme se sert pour arrondir les angles et dévier de la vérité.

Précisons que l’étude d’Arieli ne s’est penchée que sur des groupes non-religieux, et n’a pas pris en compte des paramètres de religion ou de foi, la volonté d’accomplir la volonté divine, et l’idée de la récompense et de la punition divine. Pour tous les autres groupes, il adopte la version de l’économiste Gary Béker, titulaire du Prix Nobel d’économie. D’après lui, la tendance à tromper ou à commettre un acte malhonnête de cette nature est envisagée à partir de considérations rationnelles : cela en vaut-il la peine ou non (et la catégorie d’interdit ou de permis n’entre pas ici en jeu).

Il s’avère qu’en l’absence de foi religieuse, le thème du mensonge et de la vérité, la tromperie face à la droiture, et la malhonnêteté face à l’honnêteté, est lié à deux paramètres simples : l’incitation à tromper/voler/mentir (par exemple une forte somme d’argent) face à la sanction.

D’après cette approche, la société dispose de deux moyens de réduire la criminalité : l’un consiste à augmenter les chances que les criminels et les arnaqueurs soient attrapés, par exemple en installant plus de caméras de surveillance, plus de policiers, plus de transparence, etc. La seconde : accroître les sanctions par des peines d’emprisonnement plus longues, des amendes plus élevées, etc.

Arieli a effectué des expériences au cours desquelles les individus ont eu des occasions d’arnaquer et de gagner de l’argent de manière malhonnête, en répondant par exemple à 20 questions en cinq minutes, sachant que chaque question permettait de gagner de l’argent, mais il leur était possible, après avoir donné les réponses, de réduire la feuille en miettes et de rendre compte honnêtement du nombre de questions auxquelles ils avaient répondu… Il s’est avéré que les gens se sont permis de mentir quelque peu… Ils n’ont pas annoncé 20 réponses, mais ont rajouté cinq questions aux frais de la maison…

De là, Arieli est passé à des expériences au marché.

Un homme demande au vendeur de lui préparer un sac de tomates, et, pendant ce temps, il s’affaire à d’autres tâches. Il compare ce cas à celui d’un client qui demande des tomates et observe la marchandise que le vendeur lui prépare.

Et en effet, cette expérience prouve que les vendeurs ont servi aux clients qui se sont éloignés des vieilles tomates de deuxième catégorie, tandis que ceux qui sont restés pour surveiller la marchandise se sont vus servir de la marchandise de premier choix. En revanche, lorsqu’un aveugle est venu acheter des tomates, les vendeurs lui ont donné les plus belles tomates. Même cas de figure chez les chauffeurs de taxi : ils ont ajouté des frais à un touriste en pensant qu’ils n’y connaissaient rien, tandis que cela n’a pas été le cas pour un aveugle qu’ils ont pris soin de ne pas exploiter. Les deux hommes étaient en réalité des agents infiltrés pour les besoins de l’enquête. Cela prouve l’argument du début : ne mélangeons pas la bonté et la compassion à l’honnêteté et la droiture. Ce sont deux sujets distincts.


Et nos enfants ?

A présent, penchons-nous sur ce qui fait l’objet de cet article : comment éduquer nos enfants à la droiture et l’honnêteté, leur apprendre à ne pas mentir, ne pas tromper et bien entendu, à éviter de toucher ce qui ne leur appartient pas.

Il y a quelques années, une étude de ce genre a été menée en Israël, sans aveugle toutefois : les journalistes d’investigation du journal le plus répandu du pays ont placé cinq portefeuilles dans dix villes différentes d’Israël. Dans la plupart des villes, les portefeuilles n’ont pas été restitués à leurs propriétaires, bien que le numéro de téléphone du propriétaire y figurât. Dans certaines villes, un portefeuille ou deux sur cinq, ont été rendus. La seule ville où quatre portefeuilles sur cinq ont été rendus était Bné Brak (les enquêteurs du journal ont témoigné que le cinquième portefeuille avait été retrouvé par une travailleuse étrangère…).

Pour le public respectant la Torah et les Mitsvot, c’est bien plus facile, car ici entre en ligne de compte le thème qu’Arieli n’a absolument pas traité : les commandements divins - « Tu ne voleras point », et « Tu t’éloigneras du mensonge ». C’est un paramètre lié à la conscience ainsi qu’au désir de suivre la volonté de D.ieu, d’agir avec Emouna, et de prendre en compte le principe du salaire face à la sanction.

En réalité, il nous faut aiguiser cette conscience chez l’enfant dès l’enfance. Evoquer la crainte de prendre un objet qui ne nous appartient pas, même par erreur, la punition de revenir en réincarnation, et de manière générale, la volonté d’être un Tsaddik, un juste, et non un Racha’, un méchant.

Il est préférable de s’abstenir d’employer des termes comme « mensonge » et « vol », mais plutôt « dévier de la vérité » ou « prendre quelque chose qui ne t’appartient pas ».

Plus l’enfant grandit avec cette conscience interne que cette chose est méprisable, immorale, et met en colère le Saint béni soit-Il, plus il prendra garde à s’éloigner du mensonge et de la tromperie.

Or, certains enfants s’autorisent tout de même à s’emparer d’objets qui ne leur appartiennent pas ou à dévier de la vérité.


La "conscience"

Il existe un moyen d’implanter une conscience chez celui dont la conscience est très limitée. Pour ce faire, il faut comprendre ce qu’est la conscience.

La conscience, c’est un genre de « honte interne », l’homme a honte de lui-même, il est embarrassé de commettre des actes inconvenants. Ce n’est pas lié au fait d’être « pris sur le fait » ou à la punition que l’on risque d’encourir, mais à la volonté de ne pas être mêlé à des actes de cette nature.

Lorsqu’un enfant manifeste des signes de mépris à l’égard de l’argent de ses amis, parents, ou de l’argent dû à l’épicerie, le mieux est d’éveiller ses sentiments de honte dans le but d’enraciner chez lui la honte naturelle (la conscience). Il n’est pas question de faire honte à l’enfant en public, mais de lui parler constamment de la honte terrible engendrée par ses actes. Il serait terriblement embarrassé si l’on connaissait ses actes. Plus l’enfant associera l’acte du vol à la honte, plus il y a de chance que le sentiment de honte se développe en lui, de lui-même, même s’il n’y a aucune chance qu’il soit pris sur le fait.

Si l’on revient sans cesse sur cette idée, on parviendra à s’assurer que l’enfant identifie des actes comme le mensonge et le vol, qu’il assimile à un interdit et à un sentiment de honte. Si ce sentiment est accompagné d’un exemple personnel de prudence face à l’argent de l’autre et face à la vérité, en parallèle à une initiation aux valeurs élevées, à la crainte du Ciel et de la faute, nous parviendrons à inculquer à nos enfants de choisir le bien, non seulement par compassion et bon cœur, mais par droiture qui provient d’une Emouna, d’une foi, et d’une conscience juive.

J’ai raconté un jour que, dans mon enfance, mon père avait l’habitude de me donner à compter de grandes sommes d’argent du Gma’h familial et du salaire des employés de l’institution qu’il dirigeait. Il me disait de prendre garde en comptant, sachant que c’était de l’argent d’autrui, et il était interdit qu’une seule pièce s’égare… Je me souviens d’avoir compté des dizaines de milliers de lires (lorsque j’eus douze ans, la monnaie se transforma en shekel), et d’avoir fait preuve d’une prudence particulière de peur qu’après 120 ans, je sois contraint de revenir en réincarnation. Il est aisé de concevoir que l’idée de prendre un seul billet ne traversa pas une seule fois mon esprit.

Avec du recul, c’était un moyen habile conçu par mon père pour créer une conscience de cette valeur, sans porter atteinte à l’innocence naturelle de l’enfant. Associer l’amour de l’argent propre à la plupart des êtres humains à la prudence extrême face à l’argent de l’autre.

Yated Néeman