L’opposition entre Athènes et Jérusalem, c’est-à-dire entre le paganisme des Grecs et le monothéisme de la Torah, est probablement l’un des thèmes les plus fascinants de l’histoire de la pensée. Opposer deux orientations totalement divergentes relève apparemment d’une analyse superficielle et banale, et pourtant le faire peut nous éclairer, en particulier de nos jours. Il ne s’agit pas, précisons-le, d’une observation fondée sur le passé, même le passé récent. Ce qui va nous faire réfléchir, c’est l’insertion de Hanouka dans la perspective quotidienne, actuelle. C’est Hanouka à l’époque des réseaux sociaux, de la globalisation, que l’on va tenter d’expliquer : Hanouka aujourd’hui, qu’est-ce que cela signifie ?
N’oublions pas que la lumière de Hanouka est le dernier vestige du Temple de Jérusalem, détruit par les Romains il y a deux mille ans, mais souillé par les Grecs deux siècles auparavant, à l’époque hellénistique, où l’influence de l’hellénisme était prépondérante. C’est ce rappel qui nous permet de réfléchir clairement aujourd’hui ! La petite fiole d’huile non souillée face aux réseaux sociaux d’aujourd’hui ! Quel défi ! Quelle réflexion approfondie sur la pérennité de la Torah face aux errements les plus sophistiqués aujourd’hui ! C’est cet affrontement qu’il faut approfondir ! Une lumière qui traverse les siècles face à un monde ultra-obscur, quoique éclairant apparemment une nature rétive.
Expliquons-nous ! Le but des Grecs, de la civilisation hellénique – et par voie de conséquence de notre culture – est d’expliquer le monde, ou plutôt de comprendre la difficulté de cette explication. Les lumières aident le savoir, mais cela n’est qu’une illusion d’optique, car l’explication reste insoluble. En hébreu, le terme « ‘Hachékha » (obscurité) a les mêmes lettres que le terme « Chike’hah » (oubli), et la Grèce, selon la tradition hébraïque, représente l’obscurité, donc l’oubli, donc le manque de sens. Pour le Grec, seul le monde matériel est signifiant, car il n’y a rien au-delà derrière cette matière, aucune Présence spirituelle, « kalos kagatos » – « beau donc bon » résume l’hygiène morale de l’intelligence grecque. La Torah nous enseigne le contraire : c’est le « bon » qui est « beau » : « la grâce extérieure est un mensonge, la beauté physique une vanité » nous dit l’Ecriture sainte (Proverbes – Michlé 31, 30).
Les Grecs donnaient de la valeur à l’extériorité et n’acceptaient pas l’idée de l’intériorité, de la sainteté. Le « Hod », symbole de l’intériorité, chargée de spiritualité – qui se traduit à l’extérieur par « Hadar » (beauté, reflet de la spiritualité). C’est ainsi que se nomme le Etrog (« fruit » et « odeur » à la fois). La Grèce n’accepte pas le « Hod », et c’est pourquoi les Grecs ont souillé le Temple, qui représente le siège, sur terre, de la Présence divine. Dans le cadre proprement matériel, la Grèce peut tenter d’affronter provisoirement le spirituel. Le terme Yavan – Grèce – a une valeur numérique de 66 ; et l’emporte, à ce niveau, sur le terme – Hékhal, partie extérieure du Temple – dont la valeur numérique est 65. Il peut y avoir « victoire provisoire » de l’élément naturel, mais ce n’est qu’un « signe ». Mais le « sens » va au-delà, car il est représenté par le terme (« Cohen » dont la valeur numérique est 75, donc supérieure au chiffre du mot « Yavan ». Le « Cohen », c’est le prêtre qui représente la spiritualité, c’est-à-dire le « sens » de l’activité humaine. Cela explique la découverte de la fiole d’huile, scellée avec le sceau du Grand-Prête. La sainteté, la pureté, la spiritualité ne saurait être souillée par les Grecs, ce qui signifie que le monde matériel, bien qu’apparemment supérieur, ne peut apporter une solution à l’énigme de l’existence. Le SENS est véhiculé par le dépassement de la matière. C’est ici la réponse de Hanouka à la matérialité ambiante : dans cette perspective, aujourd’hui, le signe remplace le sens, et c’est cette option que Hanouka doit affronter. La globalisation, les fake news, les réseaux sociaux véhiculent le mensonge. Il y a d’autant plus de difficulté à lutter contre cet adversaire qu’il apparaît en sourdine, qu’il ne s’affiche pas comme dangereux : il s’infiltre partout, et bien souvent on est content d’utiliser le numérique. Dans la vie moderne, il est difficile de vivre sans utiliser ces réseaux, qui nous renseignent dans les circonstances de notre existence. Mais justement, c’est ici qu’il faut être attentif : utiliser oui, subir leur influence non ! C’est la voie étroite du fidèle à la Torah : on ne peut vivre en dehors de notre temps, d’une part, mais on ne doit pas accepter le joug que ces réseaux nous imposent. La fête de Hanouka est basée sur deux miracles complémentaires : une victoire militaire des Hasmonéens, faibles, sur les armées d’Antiochus, bien plus nombreux, et d’autre part, le miracle évoqué plus haut de la découverte de la fiole d’huile qui n’avait pas été souillée et qui a duré huit jours, le temps de fabriquer une nouvelle huile. Le premier miracle apparaît alors comme une action naturelle – la guerre – qui est effectuée. Le deuxième miracle, lui, transcende la nature, ce qui n’était prévu que pour un jour a duré huit jours. Ainsi devons-nous nous comporter : intégrer les résultats des découvertes, accepter les données modernes, les acquis véhiculés par les réseaux, mais par ailleurs, ne nous laissons pas obscurcir, n’oublions pas la dimension spirituelle de l’Histoire. Au-delà des faits naturels, reconnaissons qu’il existe une Présence inscrite dans l’éternité Qui agit et se reflète au-delà des péripéties de l’instant. Le Rituel, dans le Chemoné Esré, véhicule le récit du triomphe militaire, le Talmud transmet l’évènement transcendant.
A nous il revient de reconnaître comme leçon de Hanouka cette dimension : vivons dans le monde moderne, profitons de ses acquis, ne les refusons pas, sachons aussi ici voir la main de la Hachga’ha, de la providence, mais lisons au-delà : Il Se révèle au-delà de l’immédiatement sensible dans la petite lumière, symbole éclairant et signifiant de l’Histoire